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vendredi, 29 mars, 2024

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A la veille d’élections cruciales, le Burkina Faso s’inquiète du terrorisme

Le convoi freine devant un blindé. Les trois pick-ups de la gendarmerie, arrivés à destination se garent sur le bas-côté dans un nuage de poussière. Les gendarmes descendent des véhicules, lourdement, chargés de leurs bardas : casques, gilets pare-balle, fusils d’assauts. C’est la relève.

En arrière du blindé, la gendarmerie. Elle surplombe le village frontalier de Samorogouan au sud-ouest du Burkina Faso. Une région fertile, célèbre pour ses vergers. Bobo-Dioulasso est à deux heures de route, la frontière malienne à 40 km de pistes.

La gendarmerie est vide, dévastée. Devant la brigade, la carcasse calcinée d’un pick-up n’a pas été enlevée. Ici, le 9 octobre, trois gendarmes ont été tués dans l’assaut conduit par 30 à 50 hommes.

L’affaire a débuté le 7 octobre. Deux bergers ont alerté le chef d’un village voisin. « Ils ont dit qu’ils avaient été victime de séquestration par des individus armés qu’ils ne connaissaient pas », dans une zone reculée, à une vingtaine de kilomètres de là, selon le commandant Natama, qui dirige l’enquête. Mal ligotés, ils sont parvenus à se libérer et se sauver. Seulement, un troisième berger n’a pas eu leur chance.

« La brigade a détaché dans la nuit trois éléments qui sont allés en patrouille dans la nuit dans cette zone », ajoute le sous-lieutenant Théophile Bonko. « A un moment, ils ont vu des phares qui venaient qui ressemblaient aux individus qui avaient dû enlever les bergers peuls. Les trois éléments se sont retirés un peu en bordure de la route, de façon à ne pas se faire repérer ». Après avoir appelé du renfort d’Orodara, ils ont tendu une embuscade, mais les mystérieux suspects se sont évanouis dans la nuit en abandonnant leurs motos. Le lendemain, les gendarmes ont emmené les engins à Samorogouan. Le corps du troisième berger, égorgé, a été retrouvé dans la journée.

L’attaque a eu lieu la nuit suivante. Les hommes armés se sont positionnés dans la nuit noire autour de la gendarmerie. Ils ont attendu 4 heures du matin pour attaquer. L’état de la gendarmerie témoigne de la violence des combats. Les assaillants avaient une mitrailleuse. Les balles de gros calibre ont percé les murs. L’attaque a duré entre 45 minutes et deux heures, selon les témoignages. Trois gendarmes et un assaillant ont été tués.

« Je n’avais jamais vu quelque chose comme ça », dit un commerçant. Un autre habitant affirme que des habitants ont fui en brousse, ou refusaient d’aller aux champs les jours suivants. « Il y avait une psychose dans la région », abonde le sous-lieutenant Bonko.

C’est la deuxième fois, en quelques mois qu’une gendarmerie est attaquée au Burkina Faso. La dernière fois, en août, des hommes armés ont tué un gendarme à Oursi. Une action délibérée. Le reste des effectifs avaient été appelé sur une fausse alerte pour les faire sortir. L’un des assaillants a lancé : « C’est nous Boko Haram », selon un témoin. Dans la même région du Sahel, à Tambao, un Roumain, agent de sécurité d’une mine de manganèse, a été enlevé en avril. Le groupe Al-Mourabitoun, de l’Algérien Mokhtar Belmokhtar a revendiqué l’enlèvement en mai.

Cette fois, aucune revendication. Mais une source sécuritaire soupçonne le Front de libération du Macina. Treize suspects ont été arrêtés. Des Burkinabè et des Maliens, selon le ministre délégué à la Sécurité, Alain Zagré. En ratissant la zone dans les jours qui ont suivi, les forces de sécurité ont trouvé, dans une forêt, « des armes, des munitions, des GPS. Nous avons aussi récupéré des chambres à air et de l’engrais-urée. Quand on parle d’engrais-urée, qui rentre dans la composition d’explosifs, ça donne quand même une idée sur l’intention de ceux qui étaient dans le secteur ». Et puis des vivres abandonnés en très grande quantité ont aussi été découverts. De quoi tenir un certain temps. Ces hommes voulaient-ils installer un camp dans cette région reculée, bien irriguée, à la végétation impénétrable et située près de l’axe conduisant de Bobo-Dioulasso à Ségou ?

Face à cette menace, le ministère des Affaires étrangères français déconseille désormais formellement à ses ressortissants de s’approcher de la frontière malienne.

Au Burkina Faso, enclave épargnée par le terrorisme jusque-là, la menace est prise très au sérieux. D’autant que le pays est fragilisé par les récents événements. Le général putschiste Gilbert Diendéré entretenait des relations privilégiées avec les groupes du nord du Mali. Le RSP, la garde présidentielle qui a conduit le coup d’Etat, assumait de nombreuses missions de renseignement. L’armée et les services de renseignements sont aujourd’hui en pleine restructuration.

Début novembre, les chefs d’Etats-majors du G5 Sahel et de la France se sont réunis à Ouagadougou. Ils ont signé une Charte de fonctionnement du Partenariat militaire de coopération transfrontalière (PMCT). Elle prévoit notamment des « dispositifs permanents de coordination des frontières et d’organisation d’opérations conjointes transfrontalières », selon un communiqué du gouvernement. « Elle les engage également à partager les informations et renseignements qui peuvent avoir un intérêt dans le cadre de la lutte contre le terrorisme dans la région ».

Pour les élections de dimanche, 25 000 hommes sont déployés. Des retraités ont été appelés en renfort. Chacun des plus de 17 000 bureaux de vote doit être doté d’un agent de sécurité, selon le commandant Evrard Somda, en charge de la sécurité des scrutins. Les frontières seront fermées. Et une « surveillance aérienne et terrestre des frontières » sera assurée. Enfin, des patrouilles renforcées ont été mises en place.

A Samorogouan, le calme est revenu. Deux blindés sur la colline gardent les environs. Les patrouilles rassurent la population et la vie a repris dans les champs. Mais un habitant glisse : « De l’autre côté de la frontière au Mali, il y a cette situation qui nous affecte. On est très inquiets. On voit bien le mode opératoire des terroristes. On ne maitrise jamais ça. Ils peuvent entrer dans une foule et se faire exploser en faisant beaucoup de victimes ».