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Au Centre du Mali, les extrémistes décrètent l’école « haram »

Assis au fond d’une maison construite en terre quelque part dans la ville de Mopti, cet élu de la commune de Sah, se montre méfiant. Au téléphone, il y a quelques heures, il a été clair avec nous : « Je parlerai mais je ne veux pas être cité. Si vous venez me voir pour parler de ces gens-là [les jihadistes], je regrette de ne pouvoir vous aider. Nous ne donnons plus d’informations sur eux. Nous avons peur.» Ce genre de réponse est jeté au visage des journalistes venus dans la région, ou au téléphone, par les élus, fonctionnaires et populations, qui ont peur. L’élu a le téléphone scotché à l’oreille gauche depuis quelques instants. Il s’empresse de raccrocher et se tourne vers nous : « Je suis en train de chercher un moyen d’envoyer les élèves à Youwarou ville pour qu’ils puissent passer les examens du DEF (Diplôme d’études fondamentales). Mais il n’y a pas d’argent. » Puis, s’ensuit un long moment de silence qu’il rompe : « Depuis 25 ans, la commune de Sah est un centre d’examens au DEF. Mais, ces soi-disant jihadistes ont brûlé toutes les écoles. »

Le mercredi 24 mai dernier, des jeunes sont venus à Sah, à 30 Km de Youwarou, et ont saccagé deux écoles à coups de tirs d’armes lourdes. A N’Dodjiga, commune dont le chef-lieu est Sah, une autre école a été brûlée. Alertés, selon l’élu, le préfet et le gouverneur n’ont pas réagi. D’ailleurs, le préfet a fui pour se réfugier à Sevaré. « Ils m’ont contacté et ont demandé où j’étais. Ils disent qu’ils sont des musulmans, que tout le monde doit adhérer au Jihad », indique l’élu. Des évènements qui ont provoqué l’émoi à Bamako où l’opposition politique a appelé le gouvernement à « sortir de l’inertie qui le caractérise et surtout à passer des tergiversations aux décisions urgentes et concrètes qui vont dans le sens de la sécurisation des personnes, de leurs biens et de tous les symboles de l’Etat. »

Qui sont-ils ?

A. Kassambara, un cousin de l’élu qui s’est jusqu’ici interdit d’intervenir dans le débat, explique qu’il s’agit de jeunes « qui se réclament du Front de Libération du Macina d’Hamadoun Kouffa [devenu Katiba Macina, ce mouvement s’est fondu dans le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans dirigé par Iyad Ag Ghaly, ndlr]». Ce mouvement et le prédicateur peul qui le porte, restent pourtant entourés d’un certain mystère. L’élu local, lui, dit qu’il ne sait pas qui ils sont en réalité. Mais il connaît certains leaders qui sont originaires de la région. Il y a un mois, ils sont venus à Sah, armés jusqu’aux dents, le Coran en main et ont fait entrer les jeunes dans la mosquée pour leur faire la prêche. « Ils ont dit que c’étaient eux qui avaient attaqué Konna en 2013. Que les gens ont dit qu’ils avaient été exterminés mais qu’ils sont de retour », confie le cousin de l’élu en souriant. Le genre de sourire qu’on arrive à sortir malgré la gravité de la situation. Ce jour-là, ajoute-t-il, ils ont promis qu’ils vont retourner pour brûler les écoles.

Au Mali, les écoles ne sont plus menacées que dans le Nord. Elles le sont aussi dans le Centre du pays, comprenant les régions de Ségou, de Koulikoro et de Mopti, et sur lequel déferle un raz-de-marée de violences depuis fin mars 2012, période à laquelle les premières tueries ont commencé, notamment avec la montée des tensions dans la zone du Seno (pays dogon). Diabali, Niono, Monipé, Tenenkou, Diafarabé, Dioura, Djenné, Macina mais aussi dans certains villages des cercles de Youwarou et de Mopti, il n’y a plus d’école depuis bientôt trois voire quatre ans. Les enseignants ont fui, après les maires, les gendarmes, les percepteurs d’impôts, les agents des eaux-et-forêts.

Les assassinats ciblés dont ont été victimes certains chefs coutumiers et élus locaux soupçonnés, pour la plupart, de collaborer avec l’armée ont achevé de convaincre que le Centre est devenu le nouveau foyer des groupuscules extrémistes violents qui étendent leur contrôle sur les zones abandonnées par l’Etat. « L’Etat a abandonné Youwarou. On dirait que ce n’est pas une partie du Mali. Tous les enseignants sont partis », s’indigne un enseignant que nous avons rencontré à Mopti. Le 26 avril dernier, Amadou Ndjoum, agent de l’Institut national de prévoyance sociale, a été enlevé près de Youwarou par des extrémistes religieux dont on dit qu’ils sont proches d’Hamadoun Kouffa.

La communauté peule, majoritaire dans cette partie du pays, est tournée vers l’élevage traditionnel. Les enfants, déjà versés dans l’apprentissage coranique avant d’entrer à l’école conventionnelle, en sont le plus souvent retirés à bas âge et vont en transhumance. C’est pourquoi, estime Bréma Ely Dicko, chef du département socio-anthropologie de la Faculté des sciences humaines et des sciences de l’éducation qui a participé à l’enquête sur les jeunes jihadistes maliens pour l’Institut d’études de sécurité (ISS, Dakar), « l’occupation des groupuscules extrémistes violents a trouvé un terreau favorable à l’abandon de l’école. ». En avril 2017, un rapport de l’Agence des Nations unies chargée de coordonner les actions humanitaires (OCHA), a estimé à 270, le nombre des écoles fermées dans la région de Mopti.

Plus de 1 000, selon Issa Kansaye, maire de la commune urbaine de Mopti, qui déplore la pléthore que cette situation d’insécurité crée dans les écoles se trouvant dans les zones non touchées de la région. Il ajoute que les enseignants fuient même les zones qui ne sont pas encore touchées, conscient qu’ils ne courent aucun risque d’être sanctionnés par l’Etat.

Nouvelle phase dans l’extrémisme violent

Les écoles étant fermées, certains parents envoient leurs enfants dans les zones à l’abri de l’insécurité vers le sud pour y poursuivre leur scolarité. Mais il ne s’agit que d’une portion congrue. Fin connaisseur de la région, Bréma Ely Dicko ajoute que la fermeture des écoles dans le Centre par les jihadistes prouve à  suffisance qu’une autre phase a été franchie dans l’action extrémiste violente. « On est dans une sorte de compétition idéologique, explique-t-il à Sahelien.com. L’idéologie des jihadistes est le salafisme, l’école conventionnelle véhicule l’image de l’occident où les gens sont tournés vers le monde. Si cette école conventionnelle est fermée, il ne restera que l’école coranique. Les enfants n’y ont souvent qu’une connaissance ‘récitative’ du Coran, et ne savent même pas prier. Il est facile de les manipuler. Ces extrémistes religieux font tout pour que les deux écoles ne puissent pas cohabiter. »

L’idée d’une concurrence idéologique est partagée par beaucoup d’observateurs dans la région. Pour ce coordinateur d’une ONG présente à Sévaré, ayant requis l’anonymat, certains parents d’élèves, surtout les Peuls de la région, pensent que « l’école conventionnelle apprend le monde, tandis que le Coran apprend le paradis, l’enfer. Pour eux, l’école conventionnelle dénature l’homme. » Dans une récente étude « Centre du Mali : enjeux et dangers d’une crise négligée », publiée en mars 2017, Adam Thiam a constaté qu’alors que les écoles conventionnelles sont fermées, les écoles coraniques explosent. Il écrit que la réforme du curriculum de l’école coranique est une « question devenue pressante avec la montée de l’extrémisme religieux (…) C’est donc toute la question de l’avenir professionnel de ceux qui ont suivi le cursus de cet enseignement qui se pose avec acuité. »

La situation sécuritaire dans le Centre est telle que l’Onu a décidé d’y déployer bientôt une force de réactions qui sera composée essentiellement de casques bleus sénégalais. Dans la région, l’attitude de l’Etat face aux agissements des extrémistes religieux lui a filé une mauvaise réputation. Les extrémistes religieux gagnent de plus la confiance des populations, qui se sentent victimes d’abandon de la part de l’Etat. A Dialloubé, à 50 km de Mopti et dans d’autres villages alentour, ils ont des check-point. « Ils arrêtent les voitures de transport collectif, font descendre les passagers et leur font la prêche pendant une ou deux heures, raconte cet enseignant qui a fui Tenenkou pour rentrer à Mopti. Ils disent aux chauffeurs de ne pas mélanger les hommes et les femmes. Ils brûlent les voitures personnelles. A Mopti, il suffit de traverser le fleuve pour être en face de l’insécurité. »

Avenir hypothéqué

« Si l’Etat ne fait rien, tout le monde va adhérer. Les jeunes partent s’entrainer avec eux tous les jours », confie Hamadi, qui a eu maille à partir avec les groupuscules extrémistes à Toguerekoumbé le jour où 4 travailleurs de la Croix-Rouge ont été enlevés et pour la libération desquels il dit être intervenu. A Dogo, à 60 Km de Mopti dans le cercle de Youwarou, d’où il est originaire, l’école est fermée depuis 2012, bien avant l’assassinat du chef de village, Amadou Issa Dicko, en 2015. « Ils disent que l’école des blancs est haram, ils préfèrent l’école coranique. Tous les jeudis, ils prêchent à Dogo, appliquent la charia notamment pour régler les différends entre les populations. Même le jeudi 25 mai dernier, ils étaient à Dogo », ajoute-t-il en affichant l’air de celui qui est dépassé dans sa compréhension. Pourtant, il pense comme beaucoup d’autres dans la région, que les autorités savent où les extrémistes religieux se trouvent.

Ceux qui ont saccagé les écoles à Sah sont retranchés dans une forêt sur la route qui mène à Youwarou, selon l’élu, qui explique que pour retourner dans sa commune, il devra faire comme beaucoup d’autres élus : négocier avec les représentants des extrémistes violents qui se trouvent un peu partout dans la région, notamment dans les zones inondées. Il ajoute qu’en cette période, où il y a la décrue, est idéale pour une intervention militaire. «  Si l’Etat n’intervient pas, qu’il forme les jeunes dans les villages et ceux-ci feront le boulot. », laisse-t-il entendre. « Ce n’est pas comme ça que se passe. La difficulté est que ces groupes sont composés de jeunes originaires de ces mêmes villages. Vous voyez à quel point c’est difficile ! », répond une source militaire malienne.

De l’avis de beaucoup d’observateurs, la situation (déplorable) des écoles dans le Centre est la preuve que l’Etat est faible malgré les efforts consentis. L’éducation, un droit pour chaque personne, y est bafouée. L’avenir des enfants est hypothéqué. Pour Brema Ely Dicko, le gouvernement devait créer dans les zones sûres des centres temporaires de scolarisation et donner des « primes de zones » aux enseignants restés sur place. « Ces enfants privés d’éducation ne peuvent aspirer à une mobilité sociale. Ils vont exercer le même métier que leurs parents et risquent de basculer dans le fanatisme et de véhiculer l’idéologie quand ils seront grands. »

Boubacar Sangaré, envoyé spécial

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