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mardi, 16 avril, 2024

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Au Niger, des élections tendues et décisives pour l’avenir du pays

La foule en bleu et orange grossit et s’agglutine. Toutes les places à l’ombre son occupées. Une enceinte diffuse de la musique haoussa. Des jeunes exécutent des pas de hip-hop en faisant voler la poussière. Plusieurs ont tracé des croix sur leurs pommettes, pour imiter les scarifications de leur favori à la présidentielle nigérienne : Hama Amadou.

Abdoul Abdelaziz contemple le spectacle d’un oeil satisfait, bien calé au fond d’un siège en plastique. Il est arrivé en avance au meeting du Moden Fa Lumana. A côté de lui, le parti vend des chemises, t-shirts, affiches, autocollants, sacs, fanions, badges, médailles. Même des baskets. Partout, la tête de Hama Amadou, comme pour le faire exister. Car il ne sera pas là. Cet ancien Premier ministre, qui a contribué à faire élire Mahamadou Issoufou en 2011, est détenu depuis qu’il est rentré au Niger, en novembre. Il est accusé dans une affaire de trafic de bébé. Son parti dénonce une arrestation politique, pour l’empêcher de défier le président sortant, Mahamadou Issoufou. Ses détracteurs répondent qu’il est un justiciable comme les autres.

De prison, Hama Amadou s’est tout de même présenté. Ses lieutenants mènent campagne pour lui. Leur slogan : « De la prison, à la présidence ». Ils n’hésitent pas à comparer leur candidat à Nelson Mandela.

Abdoul est un fervent admirateur d’Hama Amadou : « Les gens l’aiment. Pas parce qu’il dépense de l’argent pour les faire venir. C’est le contraire, c’est les militants qui lui fournissent de l’argent. Les gens l’aiment à cause de Dieu ». Abdoul traduit les paroles de la chanson que diffuse la radio : « Hama, c’est toi qu’on aime, c’est toi qu’on aime pour notre pays ». La chanson est d’Hamsou Garba. Elle a été arrêtée puis relâchée pour ses propos subversifs, selon ses proches.

A l’autre bout de la ville, dans le stade, se tient un autre meeting. Ibrahim Yacouba a réuni environ 20 000 personnes parées de rouge et jaune, ses couleurs. Il n’hésite pas à affirmer que « la compétition n’est pas loyale et pas honnête ». Pour lui, ses « adversaires utilisent les moyens et l’appareil de l’Etat pour neutraliser des candidats ». Et d’ajouter : « Malgré la jeunesse de notre parti, nous leur faisons peur ! ».

Désormais, la capitale du Niger a regagné son calme, après trois semaines d’effervescence. Les fanions et affiches, qui ornent la ville, témoignent de l’imminence du vote. La campagne électorale s’est arrêtée et Niamey attend le vote.

Comment s’est déroulée la campagne ? « Très bien », pour Hachimou Chinkafa, chargé de communication du président. Sans surprise, au parti de Hama Amadou, Seydou Niandou Abdoul Kader, qui dirige une structure de réflexion et de mobilisation, ne partage pas cet avis : « On nous a empêché de faire campagne. Tous les grands lieux de Niamey nous ont été interdits, les jeunes aux couleurs du parti ont été intimidés par des policiers, on a bloqué des containers de matériel électoral. Depuis l’avènement de la démocratie, c’est la campagne la plus agitée qu’a connu le Niger ».

Souley Adji, sociologue politique, à l’université Abdou Moumouni, tempère : « La campagne a été plus ou moins pacifique. Il y a eu quelques tensions, mais dans l’ensemble ça s’est bien déroulé. Il n’y a pas eu de tension très vives ».

Il dresse cependant un bilan peu flatteur du mandat de Mahamadou Issoufou : « Il n’y a pas eu assez d’avancées. Le coût de la vie est trop cher, une grande masse vit dans la misère, les frais d’éducation et de santé sont trop élevés, il n’y a pas assez de services sociaux. Bref, sur le plan social, c’est un échec total. Quant à la sécurité, il y a des tensions, des populations déplacées, des villages vidés », notamment dans la région de Diffa menacée par Boko Haram.

Sur la route, Abdoulaye, chauffeur de taxi, peste : « Je ne vais pas voter. Ils nous ont tous déçus. Le Niger est un pays riche et nous sommes pauvres. Je ne vais pas perdre cinq minutes pendant lesquelles je pourrais gagner de quoi nourrir une famille. » Le Niger se classe dernier, 188e sur 188 pays, à l’Indice de développement humain (IDH) des Nations unies.

Néanmoins, « l’action du président et du gouvernement a beaucoup contribué à booster l’investissement », relève Seydou Souley, économiste, entrepreneur et journaliste. La « commande publique a bénéficié à de grosses entreprises et créé des emplois ». Mais « les retombées n’ont pas été jusque dans le coeur de la société ». Il pointe un manque de répartition des richesses et un problème récurrent de corruption, malgré des efforts en début de mandat.

Qu’importe, Hachimou Chinkafa assure que les Nigériens apprécient que le « Niger soit un ilot de paix » dans une région troublée. Du coup, vu que « Mahamadou Issoufou a fait 36% en 2011 au premier tour, à quoi il faut ajouter son bilan et le soutien de 44 partis, nous pensons que le coup KO est possible ».

Cette promesse de gagner dès le premier tour cristallise désormais la tension autour du scrutin. De l’avis de nombreux observateurs interrogés, il est presque impossible de gagner dès le premier tour. « Ce n’est pas possible, (…) sauf en cas de hold-up », assure Souley Adji. Au Niger, « il y a toujours deux tours. Le pays est trop fragmenté, cela tient à son histoire socio-régionale et ethnique ». A quoi s’ajoute que plusieurs grands partis s’opposent frontalement à Mahamdou Issoufou. Trois poids lourds (l’ancien président Mahamane Ousmane et les ex-Premier ministres Seyni Oumarou et Hama Amadou) se sont d’ailleurs engagé à faire front commun contre le président sortant au second tour.

Enfin, Mahamadou Issoufou aurait perdu de la popularité en s’affichant au côté de François Hollande, après les attentats de Charlie Hebdo, estime Hamidou Saïdou de l’ONG Alternatives espace citoyen. Au Niger, pays très islamisé, l’opinion n’aurait pas accepté qu’il soutienne un journal qui avait blasphémé. « Mahamadou Issoufou n’a ni la sympathie des politiciens, ni des populations », juge ainsi Hamidou Saïdou. « Je ne vois pas comment il pourrait gagner au premier tour ». L’opposition, à l’image du militant du Moden Fa Lumana Seydou Niandou Abdoul Kader, prévient donc : si Mahamadou Issoufou gagne dès le premier tour, « on ne va jamais l’accepter. Ca voudrait dire qu’il y a eu une fraude ».

Samedi, la Cour constitutionnelle a autorisé le « vote par témoignage ». Cette procédure permet de voter sans pièce d’identité. Il suffit d’avoir deux personnes attestant de l’identité du votant. Or, le vote par témoignage concerne environ 1,5 million d’électeurs sur 7,5 millions d’inscrits. L’opposition dénonce le fait que des milliers de cartes d’électeurs, fausses ou non distribuées, circulent et pourraient être utilisées. Samedi soir, le président de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) a d’ailleurs réaffrimé que le vote par témoignage serait autorisé.

Au PNDS de Mahamadou Issoufou, on argue qu’il n’y aura pas de fraude, car la commission électorale est transparente. Mais « le risque de tricherie est évident », assure Hamidou Saïdou. Or « les gens n’accepteront pas n’importe quoi ». Il dit redouter des violences post-électorales. Ainsi, la « sincérité des élections déterminera l’avenir de ce pays. On est à un moment décisif ».