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Mali : Kayes, le don de la migration

En cette fin de matinée du jeudi 20 avril, le soleil est inclément dans le ciel de la ville de Kayes et brûle la terre. Quelque part à « Légal Ségou », un quartier de la ville, Omar est occupé à réparer un sac à dos dont la chaine a lâché. Pour le moment, c’est tout ce qu’il sait faire. Mais, « j’attends de partir en France, bientôt. Il n’y a rien ici, tout le monde part. En tant que Soninké, je dois moi aussi partir pour parcourir le monde, me faire de l’argent »,  affirme-t-il, les yeux fixés sur le sac qu’il peine encore à réparer. Des propos qui caractérisent l’état d’esprit ambiant. 

Dans cette région, située à environ 600 km au nord-ouest de Bamako, la capitale malienne, la migration est un phénomène social qui rythme les conversations à longueur de journée. Comment va-t-il rallier l’Europe ? « Par la mer comme les autres, Omar. Je connais des amis qui sont morts il y a quelques mois lors de la traversée mais ma conviction est que tout est une question de destin. » Des amis, des cousins et d’autres inconnus continuent de mourir dans la méditerranée.

Le décompte macabre se poursuit loin des projecteurs des médias, avec le naufrage des embarcations de fortune au large des côtes libyennes, au bord desquelles se trouvent des jeunes originaires de la région. En juillet 2015, 110 jeunes maliens y ont péri. Ils étaient, quasiment, tous du cercle de Bafoulabé, au sud-est de Kayes. Mais les jeunes continuent de partir, confie Ali, chef d’escale dans une compagnie de transport.

« Pour ce qui concerne la région de Kayes, la migration est un fait culturel, car les Soninké qui sont majoritaires ici, sont de grands voyageurs. Les premières vagues de départ des années 1973-1974 étaient consécutives à la sécheresse, les gens partaient vers les pays de la sous-région. Ils ont ensuite commencé à se tourner vers l’Europe, notamment la France vers 1984 », explique Demba Thiam, 62 ans, coordinateur de l’Association des migrants de retour à Kayes (AMRK). Créée en 1997, l’AMRK s’occupe de l’accueil et l’orientation des migrants de retour ainsi que de la sensibilisation sur le phénomène de l’émigration clandestine. Au siège de l’Association non loin du marché, cet ancien ingénieur agronome, le visage bouffé par  la barbe, travaille sur les questions de migration depuis 1995.

Facteurs divers

Selon Sega Sow, directeur de l’Agence de développement régional (ADR), il s’agissait d’une « migration alimentaire » : « Nous sommes dans une zone sahélienne, la pluviométrie n’est pas à la hauteur des attentes. Surtout dans le nord de Kayes où elle tourne autour de 500 à 600 mm par an. Et la plupart des migrants partent de cette zone pour chercher d’autres moyens de subsistances, aider la famille. »

En 2016, le rapport national sur le développement humain, intitulé « Migration, développement humain et lutte contre la pauvreté au Mali », réalisé par le gouvernement et ses partenaires internationaux, explique le phénomène par le manque d’opportunités d’emplois, l’insuffisance des revenus et la nécessité d’un apport extérieur. En plus de la baisse des productions et la pauvreté. Mais elle est aussi liée, selon le rapport, à des considérations socio-culturelles dans la région. « A Kayes, rester est contraire à la mentalité et à la logique », indique le rapport qui ajoute, par ailleurs, que 7% des migrants maliens en Europe viennent de cette région.

« L’Egypte est le don du Nil, la région de Kayes est le don de la migration. », lance, large sourire aux lèvres, Boubacar N’Diaye, chef du service technique au Conseil régional de Kayes. Lui, situe l’origine du phénomène  à l’époque de l’empire du Ghana : « Depuis cette époque, les Soninkés ont une tendance naturelle à sortir, à aller voir ce qui se passe ailleurs. Mais d’autres facteurs s’y ajoutent,  les aléas climatiques et les situations conjoncturelles et structurelles notamment avec les injonctions données dans le Programme d’ajustement structurel des institutions de Breton Woods ».

Progressivement, ceux qui sont à l’extérieur ont développé leurs villages, donc la région.  Ils ont investi dans les infrastructures socio-sanitaires de base (écoles, centres de santé, mosquées, adduction d’eau…) avant la décentralisation des communes, car explique Demba Thiam, « l’Etat était superbement absent de la région ». A travers des associations de ressortissants créées partout où ils se trouvent, les migrants cotisent pour réaliser ces investissements. C’est le cas par exemple à Fégui, à la frontière du Mali et du Sénégal, un village d’environ 5 000 habitants dans le cercle de Kayes dont la plupart des ressortissants vivent en France. Dans cette zone, l’Association « Donner un sourire à Figui », composée principalement de la 3e génération de migrants de la commune vivant en Europe, y a réalisé des projets de gestion des eaux grises, de déchets solides, de pavage des artères principales.

L’Association a aussi fait installer des puisards au niveau des artères principales pour prévenir les maladies comme le paludisme, avec l’appui de l’ONG ENDA Tiers-Monde, localisée dans la ville de Kayes. Sawadi Diallo, chargé de projet à ENDA-Mali à Kayes souligne que « Donner un sourire à Fégui »  poursuit  d’autres initiatives comme l’électrification du centre de santé, la mairie,  le centre d’accueil, l’école, la medersa et les différentes mosquées au niveau de la commune, ainsi que les artères principales qui ont été pavées. Elle se propose aussi d’équiper le centre de santé en appareils d’imagerie médicale.

Le processus d’électrification a commencé en 2016, avec l’appui de « Electricité Sans Frontières ». « Le développement à la base dans les communes est le fruit des migrants », estime-t-on à l’Agence de développement régional (ADR). « L’Etat fait quelque chose mais c’est insuffisant et les besoins vont croissant », confie Sega Sow, directeur de l’ADR, qui n’a pas tari d’éloges sur l’apport des migrants durant l’entretien qu’il a voulu accorder à Sahelien.com.

En 1997, a eu lieu à Kayes une table ronde, soutenue par la Coopération française, au cours de laquelle a été initié un projet « co-développement » dans lequel les migrants participent au financement des actions de développement de leur territoire. Elle était dirigée par Tiébilé Dramé, leader du PARENA et ministre des Zones arides et semi-arides à l’époque. « Ils sont partis du constat que malgré toute la manne financière que les migrants envoient, ça ne bougeait pas dans la région », décrypte Mme Maguiraga Mariam Camara, qui a dirigé pendant 13 ans la cellule de Kayes du GRDR (Migration, citoyenneté, développement). Une association de droit français, créée suite à la rencontre de coopérants français, qui avait travaillé dans le bassin du fleuve Sénégal (Tabacounda, Guidimakan, Kayes) en 1963. S’en suivra, en 2008, le forum économique « éco-8 », organisé par le Conseil régional, pour présenter toute la niche de richesses que la région possède et pousser les migrants à investir.

D’importants transferts monétaires

Les transferts directs vers la région de Kayes s’élèvent à près de 21 milliards de francs CFA par an, selon le Conseil régional. Selon Boubacar N’Diaye, de 1997 à 2011, les migrants ont participé au financement de 544 projets concernant l’eau, 152 dans le domaine de l’éducation, 302 projets d’infrastructures, 49 projets de santé. A cela, il faut ajouter la création de 133 activités génératrices de revenus : moulins, coopératives, boucheries, camions benne etc.

L’Agence de développement régional a recensé 480 associations de migrants en France qui sont formalisées et qui forment aujourd’hui la Coordination des associations de développement des cercles de la région de Kayes en France (CADERKAF). La Coordination a signé un partenariat tripartite avec le Conseil régional de Kayes, le Conseil régional de la Région Île de France dans le cadre de la coopération décentralisée : 7 lycées publics ont été informatisés dans le cadre de ce partenariat, et des projets d’électrification sont en cours. « L’impact est là, mais je ne sais pas si on peut l’évaluer en termes économiques. C’est difficile de trouver des indicateurs, d’autant que l’objectif de départ de ces migrants était de soutenir la famille », nuance Mme Maguiraga Mariam Camara.

Réorienter les investissements

Aujourd’hui, le relais dans le développement de la région a été pris par la coopération décentralisée. Au niveau du Conseil régional, on réfléchit à la façon de réorienter les investissements des migrants vers des projets productifs dans le cadre du développement économique et régional « que nous sommes en train de promouvoir. » « Notre stratégie est de mobiliser la diaspora kayesienne autour de projets productifs. C’est à cela que nous travaillons avec la CADERKAF. Les migrants ont aussi des expertises qu’ils nous transfèrent.  La plupart des coopérations signées à travers la région ont été suscitées par les migrants», explique M. N’Diaye. Cela permettra de donner de l’emploi aux jeunes, et ainsi de les « fixer ».

Mais, en dépit de tous ces investissements socio-sanitaires, le problème du désenclavement de la région reste un casse-tête chinois pour les associations de migrants. Pendant l’hivernage, « l’évacuation sanitaire des malades pose problème à cause de l’état des routes. Le transport entre un village et la ville de Kayes peut coûter le double du trajet Bamako-Kayes », déplore Sawadi Diallo. Les agriculteurs villageois qui produisent sont confrontés au même problème : ils ne peuvent pas transporter leurs produits et être compétitifs sur le marché de la ville de Kayes.

Une situation qui semble inhiber les efforts des migrants. Chaotique, parsemée de crevasses et de trous, la route de Kayes secoue les véhicules, et brise le dos de leurs passagers.

Boubacar Sangaré (Kayes, envoyé spécial)

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