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A la frontière du lac Tchad, dernier sanctuaire de Boko Haram au Niger

« Sous peu, Boko Haram ne sera plus qu’un souvenir ». Le gouverneur de la région de Diffa (sud-est du Niger), Dan Dano Mahamadou Laouali esquisse un sourire. Son discours fait écho à celui des plus hautes autorités nigériennes. Le ministre de l’Intérieur, Mohamed Bazoum, a affirmé lui-même que les combattants de Boko Haram sont « complètement en déperdition ».

Le gouverneur précise : « Dans la zone de la Komadougou Yobé (rivière qui sépare le Niger du Nigeria sur 150 kilomètres), ils ne sont plus que quelques égarés qui divaguent. Le gros des combattants sont dans le lac. Mais je crois que ce n’est plus qu’une question de temps. Pour ceux qui sont décidés à rentrer, la main est toujours tendue. Ils peuvent venir (pour profiter d’un programme d’amnistie), on va les accueillir. Pour ceux qui font les têtus, le travail de l’armée continue ».

Le lac, refuge de Boko Haram, est à trois heures de route du gouvernorat. Il faut dépasser l’aéroport où stationnent des hélicoptères militaires et deux avions de chasse Soukhoï qui infligent de lourdes pertes aux insurgés. La nationale 1, un goudron impeccable, oblique vers le nord-est, à travers la plaine nue. Cette immense route traverse tout le « Niger utile », où vivent la majorité des Nigériens.

Une immense et étroite bande au sud du pays, écrasée entre l’aridité du Sahara, au nord, et la frontière nigériane, au sud. Dans la région de Diffa, les motos ont été interdites et ce goudron est presque vide.

En revanche, les bas-côtés se sont peuplés de réfugiés qui se massent dans des sites spontanés. Ils sont arpentés par de nombreux éleveurs en quête d’un peu de sécurité. Mais ils redoutent une crise pastorale en raison de la trop grande concentration de bétail et ils doivent aussi lutter contre la multiplication des vols.

Finalement, à Kitchendji, le goudron né 1200 km plus à l’ouest vient mourir dans le sable. Une piste bifurque sur la droite en direction du lac. Un bon véhicule est nécessaire pour rouler dans le sable. Il faut aussi les autorisations nécessaires pour franchir les check-points, gardés par des pick-ups surmontés de mitrailleuses. Un dispositif qui rassure les populations.

Moins d’incursions de Boko Haram

Avant Bosso, Ali Daoudou, qui habite le village de Toumour, se réjouit : « Maintenant, il y a la sécurité ». Le problème, c’est surtout qu’il n’y a « pas assez à manger ». Le maire de la commune, Mani Orthé Boucar, va dans le même sens : « Il y a moins d’incursions et on nous signale de moins en moins la présence de Boko Haram. Vraiment, ça va maintenant ». Il confirme que « les gens sont à court de vivres ». L’insécurité a empêché les cultivateurs de se rendre aux champs et perturbé les déplacements des éleveurs.

Quelques mois plus tôt, la situation était inquiétante. Début juin 2016, Toumour a vu affluer des milliers de personnes fuyant une attaque de Boko Haram sur Bosso, plus à l’est, vers le lac Tchad. Les insurgés s’en étaient pris aux forces de sécurité, tuant 24 soldats nigériens et deux soldats nigérians, avant de piller la ville pour emporter vivres et médicaments.

Selon le bilan officiel, seul un civil avait été tué. Certains des habitants fuyant les terroristes avaient marché 25 kilomètres dans le sable et la chaleur. De quoi raviver les souvenirs de février 2015, quand Boko Haram avait fait irruption pour la première fois au Niger, en s’attaquant à Bosso. Des centaines d’insurgés avaient alors été tués par les troupes nigériennes et tchadiennes. La ville s’était déjà vidée une première fois.

Aujourd’hui, beaucoup sont revenus. L’eau et les communications ont été rétablies. Reste l’électricité. A l’arrivée du couvre-feu, Bosso est plongée dans le noir.

A l’entrée de la ville, de beaux plants de poivrons poussent sur ces terres fertiles. Les fruits entassés forment de grandes tâches cramoisies. Cet « or rouge » fait la réputation de la région. Un cultivateur, courbé sur ses plants, s’arrête un instant pour expliquer qu’il n’a plus peur d’aller dans ses champs pendant la journée.

Le soleil est haut et Bosso semble endormie. La ville est tranquille, mais le conflit a laissé des cicatrices. Un bâtiment à côté de la préfecture est criblé d’impacts de balles. En ce moment, « on n’a pas tellement de soucis, il n’y a plus d’attaques, on n’entend plus les tirs intempestifs de nuit ou de jour », selon le secrétaire général de la préfecture. Lamine Ousmane est là depuis plus de quatre ans. Il a d’abord vécu l’arrivée de soldats nigérians en déroute et de réfugiés venus de Malam Fatori, tout proche, avant que Boko Haram finisse par s’en prendre à sa ville. Aujourd’hui, il trouve qu’« à un certain niveau, on est comme immunisés ».

Au centre de santé, le médecin chef adjoint du district, Moukaila Hassan, écoute paisiblement la radio, allongé sur une natte. « Les gens sont calmes », observe le docteur qui « souhaite que Bosso redevienne ce qu’elle était avant ». Si la situation sécuritaire s’est améliorée, les gens restent marqués par ces événements. Il y a « beaucoup de cas de stress post-traumatique. (…) C’est lié à ce que les gens ont vécu : ils ont été terrifiés et sont perturbés ».

Des rires proviennent du marché. Quelques clients déambulent sous les regards intimidants de soldats tchadiens. « Regardez tout ce qu’on trouve. Les produits viennent des jardins des villageois autour et on peut aussi passer des commandes à Diffa », s’enorgueillit une vendeuse, assise derrière ses légumes. « Maintenant, il y a du mieux, on se sent protégés ».

Les populations attendent la reprise des activités commerciales

Mais les ballets de camions transportant le poisson fumé du lac, autre richesse de la région, n’ont pas repris. Et Adam, un habitant de Bosso, se plaint : « Il n’y a aucun travail. On ne peut rien ramener à manger. Là-bas, vers le lac, tout est bouclé. Il y a beaucoup de gens qui attendent qu’on rouvre les routes ».

Car après Bosso, la piste est bloquée par les soldats. Il est formellement interdit d’aller plus loin en direction du lac. Toute personne dans le lac est potentiellement un ennemi. Les marécages et îlots ont été évacués en quelques jours, début mai 2015.

Objectif : empêcher les complicités, séparer la population des insurgés. Hassan Malam Laminou, un vieux Yedina, l’ethnie qui peuple les zones humides du bassin du lac Tchad, décrit une « évacuation précipitée, mal organisée et inopportune ».

Selon lui, les populations sont parties « dans une pagaille indescriptible », se retrouvant « sur la terre ferme, souvent sans eau, ni nourriture et sans abris et perspectives d’avenir ».

Selon l’ONG nigérienne Alternative espaces citoyens auteure d’un rapport, plus de 30 000 personnes ont fui en pirogue, puis à pied, abandonnant leurs biens. L’ONG avait dénoncé « une mauvaise gestion de la situation sécuritaire et humanitaire ».

Désormais, Bosso est donc la dernière frontière avant ce sanctuaire de Boko Haram. Un habitant glisse : « Boko Haram est tout proche, à seulement cinq kilomètres, bien cachés dans la forêt. Maintenant, nous on est habitués. Ce sont nos parents, nos enfants. On est obligé de rester vivre avec eux. ».

Au-delà, le lac offre un maquis idéal dans lequel Boko Haram s’est peu à peu infiltré. « Les anciennes rébellions de chez nous, au Niger, se sont cachées dans cette partie, où la présence de l’Etat n’est pas significative », explique Hassan Malam Laminou.

La partie nigérienne du lac est composée de marécages semi-permanents, de bancs et d’îles. Quand le lac est au plus bas, il peut y avoir jusqu’à 200 îles qui forment un immense labyrinthe. C’est un territoire particulièrement fertile qui attirait des populations des pays voisins et même au-delà.

En raison de cet isolement, difficile de savoir ce qu’il s’y passe aujourd’hui. Selon Hassan Malam Laminou, 200 à 300 éléments de Boko Haram se trouveraient aujourd’hui dans la partie nigérienne de la cuvette nord du lac, partiellement désertée.

De grandes forêts de prosopis barrent la route aux blindés et masquent les combattants éparpillés. Ils bénéficient aussi de ralliements ou de complicités de populations du lac qui leurs permettent de circuler dans les marécages et d’emprunter le dédale de couloirs inondés avec des embarcations discrètes propulsées par de simples perches ou des moteurs.

Ainsi, alors que les éléments d’Abubakar Shekau, retranchés dans la forêt de Sambisa, semblent en difficulté, cette autre branche, dirigée par Mamman Nur et Abou Mosab Al Barnaoui reste difficile à déloger. Des éléments de Shekau en déroute auraient même rejoint ceux du lac Tchad, selon plusieurs sources locales.