Par Ahmed Coulibaly
ABIDJAN – La chambre d’appel de la Cour pénale internationale a confirmé mercredi les acquittements de 2019 de l’ancien président ivoirien Laurent Gbagbo et de son ministre de la Jeunesse Charles Blé Goudé, marquant ainsi la fin officielle de leurs procès à La Haye. Alors que les partisans de Gbagbo à Abidjan ont célébré, des politiciens de tous bords ont exprimé un optimisme tiède quant au fait que leur retour potentiel pourrait être une occasion en or d’instaurer une paix plus permanente pour la Côte d’Ivoire.
Détenus depuis décembre 2011 à la CPI, Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé étaient accusés de crimes contre l’humanité commis lors des violences postes électorales de 2010 après la présidentielle. A l’issue du procès, la procureure de la CPI, Fatou Bensouda, avait réclamé l’annulation des acquittements, mais les preuves à leur encontre n’étaient pas assez solides.
Un cadre du parti au pouvoir, le RHDP, qui a demandé à ne pas être nommé, espère que « la libération de ces deux personnalités politiques pourrait faciliter le processus de réconciliation déjà entamée par le gouvernement ivoirien », a-t-il déclaré, faisant valoir que Gbagbo est une force politique épuisée. « Tout va dépendre de la teneur de leurs propos, qu’ils ne soient pas belliqueux. Et le Rhdp reste majoritaire et nous l’avons démontré lors des élections législatives en raflant la majorité au parlement. L’opposition est divisée et Laurent Gbagbo ne pourra les unir. S’il le pouvait, même à distance il le ferait », a-t-il déclaré.
Pour les observateurs de la vie politique ivoirienne, la réconciliation reste le grand chantier auquel peuvent contribuer activement les deux hommes. Pour le journaliste et politologue Mamadou Ouattara, « Cette libération pourra contribuer à n’en point douter à la décrispation de la situation sociopolitique . Il est vrai qu’il y a d’un côté les familles des victimes qui ici réclament justice. Aux acteurs politiques, ils leurs revient, gouvernement et opposition, de véritablement s’accorder. »
Ouattara a noté que le gouvernement doit prendre l’initiative pour que la paix fonctionne. « Il faut laisser de côté ses intérêts personnels et délivrer le peuple ivoirien de ses vieux démons. Je compte particulièrement sur la bonne sagesse de nos autorités pour faciliter cela. »
L’ancien président Henri Konan Bedié, qui dirige le parti d’opposition PDCI, a approuvé. Il a tweeté que « l’acquittement de ces deux personnalités et leur retour définitif en Côte d’Ivoire vont certainement contribuer à la décrispation de la vie politique nationale. »
Un avis soutenu par Soumahoro Maïmouna, étudiant à l’université Houphouët Boigny.« Dans leurs dernières interventions Laurent Gbagbo et Blé Goué parlaient de réconciliation. Je pense que quand ils vont arriver non seulement ça va permettre de situer les responsabilités et ça donnera une autre ambiance à la vie politique ivoirienne » a-t-elle dit.
Jean Bonin, vice-président du FPI et porte-parole du parti a affirmé que Gbagbo n’a plus beaucoup d’emprise politique sur qui que ce soit. « Je ne pense sincèrement pas que l’arrivée de Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé changeront quelque chose au plan politique. Parce que depuis le déclenchement de la crise interne au FPI il n’a jamais chercher à s’impliquer pour régler le problème, Bien au contraire », a déclaré M. Bonin à Sahelien.com, en référence au FPI qui s’est divisé entre les partisans de Gbagbo et ceux de Pascal Affi N’guessan.
Selon Ali Doumbia, jeune leader et homme politique de l’Union pour la démocratie et la paix (UDPCI), cet acquittement n’est pas une surprise. « Sa libération montre tout simplement que le procureur de la Cour n’a pas pu prouver la culpabilité de monsieur Charles Blé Goude et de Monsieur Laurent Gbagbo. Mais cela ne prouve pas qu’il entièrement innocents. Les grandes victimes sont les populations, car il faudra un jour qu’on sache qui a été à la base de ces tueries », a déclaré M. Doumbia.
Certains observateurs se méfient d’un trop grand optimisme et pensent que le retour de Gbagbo pourrait conduire à une plus grande instabilité politique dans le pays. Deux premiers ministres et principaux hommes de confiance du président Alassane Ouattara sont morts au cours de l’année dernière, et la pandémie a dévasté la célèbre croissance économique de Ouattara. Les tribunaux ivoiriens pourraient rouvrir les affaires pénales nationales contre Gbagbo et Blé Goudé.
Selon Eric Djaty, journaliste et observateur de la vie politique ivoirienne, les acquittements de Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé relancent les calculs politiques : « A un moment où le pouvoir Ouattara est plus que jamais fragilisé avec le récent décès de son premier Ministre Hamed Bakayoko, les dés sont redistribuer et les règles du jeu risquerait de changer dans les prochains mois. Ce sera un véritable marathon entre l’opposition et le gouvernement en place pour la conquête et la reconquête du terrain politique entre le FPI – PDCI (EDS) et le RDR anciennement RHDP. La justice ivoirienne va t’elle ressortir son dossier de condamnation ou la laisser dans les placards pour la paix ? La question reste toujours posée. »
Finalement, c’est à Gbagbo et Blé Goudé de décider de la voie qu’ils veulent suivre à leur retour au pays. S’ils rentrent en montrant une réelle volonté de réconciliation, leur popularité pourrait augmenter et leur pouvoir politique pourrait recommencer à croître.
Mais si leurs actions montrent le contraire, il est probable que l’administration du président Ouattara fera tout son possible pour les maintenir dans leur position politique isolée. Gbagbo a une lourde tâche à accomplir s’il tente de revenir sur la scène politique. Il n’est plus à la tête du parti fracturé qu’est le FPI, qui compte lui-même moins de 30 sièges au Parlement, contre 130 pour le RHDP.