Par Aïda Dramé
Quel est ce pays où frappe la nuit la loi du plus fort ? Ces mythiques paroles de Michel Berger, ne cessent de passer en boucle dans mon esprit lorsque je pense aux récents évènements qui se sont déroulés au Sénégal. Entre arrestations arbitraires, violences policières, censure de certaines chaines télés et radios, sans compter la misère dans laquelle vit une frange importante de la population, le mal est profond.
Mais de tous les maux auxquels la population sénégalaise est confrontée, il y en a un qui a été occulté durant les manifestations : la culture du viol. Celle-ci implique, entre autres, de normaliser, voire excuser le viol. Elle se manifeste par l’utilisation d’un langage misogyne, l’objectification du corps féminin et la glorification de la violence sexuelle, créant ainsi une société où les femmes ne se sentent pas en sécurité.
L’élément déclencheur des récentes émeutes au Sénégal a été l’arrestation, pour « trouble à l’ordre public », du principal leader de l’opposition et président du parti PASTEF, Ousmane Sonko alors qu’il se rendait au tribunal à propos d’une affaire de viol l’opposant à une jeune femme dénommée Adji Sarr.
D’elle, on ne sait pas grand-chose, si ce n’est que c’est une orpheline vivant dans la précarité et qui serait, d’après certains témoignages, « une fille aux moeurs légères », « provocatrice », « frivole », « manipulatrice » pour ne citer que ces qualificatifs dégradants. Depuis le début de cette affaire, on dirait qu’elle n’est plus considérée comme une personne à part entière. Oui, Adji est dans l’esprit de certaines personnes « une moins que rien » ou tout au mieux « un instrument politique » dont le corps aura juste servi à des stratagèmes.
Mais très peu croient son récit de la nuit au salon de massage Sweet Beauté où, selon elle, Ousmane Sonko l’a violée. Cette méfiance intervient alors qu’Adji elle-même a déclaré qu’elle se rétracterait si Ousmane Sonko jurait sur le Coran qu’il ne s’était rien passé entre eux cette nuit-là.
Comme l’a récemment indiqué le frère d’Adji Sarr, dans une interview accordée à leral.net : « C’est à la justice de faire la lumière sur cette affaire. Mais je ne peux m’empêcher de me demander pourquoi la ferveur avec laquelle on défend Ousmane Sonko n’est pas la même que celle que l’on déploie pour penser que Adji Sarr aurait pu dire la vérité ? »
On devine la réponse : c’est parce que elle est une femme. En tant que femme, peu lui accordent le bénéfice du doute lorsqu’elle dit avoir été violée. En tant que femme l’opinion publique invalide de facto son récit. En somme, en tant que femme non seulement sa parole ne vaut rien mais en plus elle se fait taxer de tous les noms inélégants imaginables.
Prenons par exemple sa dernière sortie médiatique. Alors qu’elle était en train de réexpliquer au journaliste le déroulé des événements, maintenant ainsi ses accusations de viol—on constatait, sur les réseaux sociaux, les réactions les plus abjectes les unes que les autres. Certaines personnes ont insulté sa mère, d’autres l’ont traitée de prostituée. Certaines sont allées encore plus loin, la menaçant en direct sur le live Facebook. Sur Twitter, ses propos ont été tournés en dérision.
Après une publication de Radio France Internationale informant qu’il y a eu huit morts dans une fusillade aux États-Unis, un internaute a commenté qu’« Adji Sarr [était] aux États-Unis », insinuant ainsi qu’elle était la cause de tout ce bourbier qui a récemment eu lieu au Sénégal. Un autre a tweeté : « Ce qui se conçoit mal s’énonce de façon ambiguë et les mots pour le dire arrivent difficilement », indiquant que le discours de Adji Sarr est si décousu qu’il serait difficile de la croire.
Quelques internautes, quoique minoritaires heureusement, sont même allés jusqu’à promouvoir son viol. « Tu devrais être fière même qu’Ousmane Sono t’ait violée, ça fait de toi une potentielle future première dame clandestine » ; « Ousmane Sonko a pu violer toutes les filles du monde cela ne change en rien notre amour pour lui » ; « Un homme n’est pas défini par le viol qu’il fait subir à une femme » ; « On peut être un violeur et être bon », a-t-on pu lire sur la toile.
Sans aucune gêne, des gens ont écrit ces ignominies, sans se soucier de l’impact que cela pouvait avoir sur la santé mentale des victimes de viol, qui essaient de guérir de leur traumatisme et/ou l’ont gardé enfoui, par crainte d’en parler.
A défaut d’être neutre, il aurait été facile d’être emphatique et de soutenir Adji Sarr. Elle reste une victime d’une société où le patriarcat est maître. Toutes les femmes sénégalaises le sont !