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Au Mali, la difficile mise en route de l’entrepreneuriat jeune

« Il y a tellement de choses à faire au Mali que les gens quittent leur pays, où le marché est saturé, pour venir prendre nos millions ici. », dit Akim Soul à propos de nombreuses entreprises créées par des étrangers installés au Mali. Ce jeune fringant de 24 ans a créé Akim Soul Agency, une agence de relations publiques et d’événementiel, il y a bientôt deux ans. «Le problème est que même si tu as le potentiel, ça ne t’avantage pas. Parce que les Maliens ne sont pas réputés dynamiques », ajoute Bessiba Raïssa Dakouo, qui a lancé il y a un mois un blog critique gastronomique.

Samedi 18 mars, quelque part dans l’enceinte du Parc national de Bamako, ces jeunes entrepreneurs évoluant qui dans la communication et la mode, qui dans l’évènementiel, se sont donnés rendez-vous pour échanger sur leurs activités respectives, mais aussi pour « fusionner nos énergies pour que nos lampes ne s’éteignent pas avant même de s’allumer », lance Akim Soul de son vrai nom « Ibrahim Guindo ». Ils font partie de ces jeunes pour qui l’entrepreneuriat est l’un des rares remèdes disponibles à la question de l’emploi des jeunes et une solution miracle aux problèmes de développement. Selon le Fonds monétaire international (FMI), le taux de non-emploi des jeunes est de 11,3% (2015) au Mali.

Efforts insuffisants

Pourtant, depuis début 2000, nombre d’institutions et de programmes -entre autres le ministère de l’Emploi des jeunes, l’APEJ, l’ANPE- ont vu le jour au Mali pour faire face à la question de l’emploi des jeunes. Le premier programme, l’Agence nationale pour la promotion de l’emploi des jeunes (APEJ), forme et accompagne les jeunes porteurs de projet.

Le 1er janvier 2015, une autre initiative a été lancée par le gouvernement en collaboration avec la Banque mondiale: le Projet de développement de compétence et emploi des jeunes (PROCEJ). Ce projet vise à faire la promotion de l’entrepreneuriat jeune. Contrairement au premier volet qui s’occupe de l’éducation pour l’emploi, notamment en créant des filières agro-alimentaire, froid et conservation, BTP, peau et cuir, mécanique agricole dans les instituts de formation professionnelle, le deuxième fait la promotion de l’entrepreneuriat pour les jeunes déscolarisés et non scolarisés évoluant dans les domaines tels que le maraîchage, l’artisanat…

Selon Drissa Ballo, Coordinateur du Procej, il y avait 70 000 candidats dont 10 000 ont été sélectionnées. Au final, sur les 10 000, 3 600 jeunes ont été sélectionnés et ont reçu une subvention de 300 000 francs CFA en plus de la possibilité de bénéficier d’un crédit de 1 200 000 francs CFA maximum. Il y a aussi une compétition des plans d’affaires destinées aux jeunes diplômés. « Il faut reconnaître que l’Etat fait des efforts mais ce n’est pas suffisant pour absorber toute cette masse de jeunes, environ 300 000, qui arrivent chaque année sur le marché de l’emploi, et sans qualification pour la plupart. », estime-t-il.

Pour Cheikh Amadou Diagana, la création de ces structures et projets dédiés à la promotion de l’entrepreneuriat jeune est une bonne démarche. Mais, poursuit-il, les secteurs clés au Mali étant l’agriculture, l’élevage, l’éducation, la santé, ces institutions devraient être dédiées au développement. « On a faim, on est malade, mal formé. Notre problème, c’est l’éducation. Les entreprises manquent de collaborateurs. C’est vrai que ces institutions sont partout, mais répondent-elles à nos besoins ? En réalité, c’est des menteurs. Il n’y aura rien. Tout ce qu’on aura, on l’aura créé, cherché ».

Faiblesses des approches

L’économiste et ancien diplomate qui dirige le Centre Sènè, Abdoulaye Niang, connu pour ses positions tranchées sur les questions économiques, est quant à lui critique : « L’ingénierie internationale qui a amené ce modèle d’entrepreneuriat jeune est en pilotage automatique par rapport au problème réel qui se pose pour la création de la croissance globale. Malgré tout ce qu’ils ont dit, on va d’une crise à une autre. C’est l’aggravation. Il faut trouver des solutions de rechange aux politiques existantes. Cela ne peut être trouvé que lorsque nous avons une meilleure compréhension des causes profondes de la crise, qui est en réalité sociale. »

Il ajoute : « Les structures dédiées à la promotion de l’entrepreneuriat qu’ils ont créées font partie d’un modèle de pilotage automatique. Parce que le problème fondamental est que l’entrepreneuriat est un domaine réservé, pas à vous les agents économiques nationaux ou régionaux (africains) mais à ceux qui sont dans les entreprises de multinationales. Et ces entreprises de multinationales sont généralement celles qui sont enregistrées sur le marché financier mondial, qui ont accès au crédit d’investissement et qui donc provoquent le mouvement du capital d’investissement des industries, des gestionnaires, des ingénieurs et des ouvriers qualifiés vers une communauté de localité où vous, vous vous trouvez pour développer davantage sa capacité de production de richesses et d’emplois des investisseurs des multinationales enregistrées aussi dans les paradis fiscaux. »

Selon les chiffres du Club entrepreneuriat du Mali (CEMA), 95% des entreprises créées disparaissent trois ans après « faute d’encadrement, de réseautage, d’accès au marché et à cause du poids de la fiscalité », explique Cheik Oumar Soumano, manager général du club. Du 25 au 26 mars, le club, en partenariat avec le Conseil national du patronat du Mali (CNPM), le Réseau des entrepreneurs de l’Afrique de l’Ouest (REAO), organisera le Forum économique des jeunes entrepreneurs (FEJE). Le but recherché, explique M. Soumano, est de discuter des problèmes auxquels les jeunes entrepreneurs sont confrontés et mettre en place un réseau, qui s’appellera « Réseau des jeunes entrepreneurs du Mali ». Au cours du forum, seront animés des panels intitulés « le financement innovant » (les business angels, crowdfunding, love money), « la fiscalité des entreprises », « l’encadrement des jeunes entrepreneurs », « la responsabilité sociétale des entreprises ».

Pour Etienne Fakaba, économiste et directeur du Centre de recherche et d’analyse politique et économique du Mali, ces forums n’apporteront pas de grands changements, car il y en a eu beaucoup d’autres avant : « Ce n’est pas ce qu’il faut pour le chômage des jeunes. Les problèmes sont connus de tous. Les formations ne sont pas adaptées, les jeunes qui ont la chance d’aller à l’extérieur n’ont pas accès au financement à leur retour à cause du taux d’intérêt sur le crédit, la lourdeur administrative, la fiscalité. Il n’y a pas d’encadrement et d’accompagnement de l’Etat », dit celui qui désormais est le Conseiller chargé des questions économiques à la Présidence.

Aussi, propose-t-il la suppression des structures comme l’APEJ, l’ANPE qui, à l’en croire, « coûtent des budgets énormes pour un résultat médiocre », pour créer à leur place des centres d’incubations notamment dans les régions pour permettre aux jeunes de se former sur place ainsi qu’une banque d’investissements publique.

« Chacun a son point de vue mais je pense qu’il faut plutôt changer d’approche, répond Cheikh Oumar Soumano. Il faut que les entreprises sortent de l’informel, il faut revoir le poids de la fiscalité, permettre aux entreprises d’avoir accès au marché au lieu de leur donner de l’argent. Il faut repenser les missions de ces structures. Ce sont des outils créés avant la crise et, depuis, les réalités ont changé. » Pour sa part, il propose la création d’une prime à la perte d’emploi, revoir le lourd dispositif du financement qui ne répond pas aux besoins des jeunes entrepreneurs ainsi que la caution de soumission. « Aussi, les structures de promotion de l’emploi devrait miser davantage sur la sensibilisation, créer dans les universités une cellule d’insertion, travailler avec le service des ressources humaines pour déterminer les profils qui ne sont pas sur le marché et créer des filières de formation en entrepreneuriat. »

L’Etat doit faire plus

« On a besoin de se réunir, de net-worker, de partager, tant que ce n’est pas politisé », estime Cheikh Amadou Diagana à propos du Forum économique des jeunes entrepreneurs. Il figure parmi les jeunes entrepreneurs réunis au Parc national. Ce jeune sénégalais, la vingtaine à peine passée, vit au Mali depuis un an et a créé l’agence de communication Cat Digital, qui est sa deuxième start-up. A l’incubateur CREATEAM, sis à Badalabougou où nous l’avons rencontré, le jeudi 16 mars, il travaille avec des jeunes sur leur projet. Pour lui, même si le Mali regorge de potentialités, il n’en demeure pas moins vrai qu’il accuse un certain retard sur d’autres pays comme le Sénégal, le Kenya, notamment en termes d’accès à Internet, à l’électricité.

Une façon d’interpeller l’Etat dont, confie-t-il, il n’aime pas parler : « Je ne supporte pas l’Etat. On ne lui demande pas de donner de l’argent, mais d’assainir l’environnement, nous donner la sécurité, nos quitus, l’Internet, l’électricité. Ici, l’Etat ne fait pas l’effort pour assainir l’environnement. Il ne se bouge pas assez. L’Etat m’exaspère ». Il relève qu’un entrepreneur dans le domaine du E-commerce, par exemple, ne peut mettre sur son site le système de paiement en ligne : aucune banque au Mali n’est inscrite à PayPal. Il faut dire que la question du financement reste un caillou dans les chaussures des jeunes entrepreneurs.

M. Diagana est on ne peut plus clair : « Les banques, les porteurs de projets, les institutions sont tous des menteurs. Ici, les banques sont commerciales, elles veulent gagner de l’argent, faire un retour sur investissement et demandent une trésorerie forte, une garantie. Il faut que les porteurs de projets arrêtent d’aller vers les banques. ». Mais il n’y a pas que ça. Il relève aussi que l’environnement des affaires est différent au Mali. « Tout se passe par le réseau : je connais un tel, qui connaît un tel, qui connaît un tel. », déplore-t-il. « Il faut qu’on dise la vérité aux jeunes. L’entrepreneur, c’est un comportement. La vérité est que c’est des nuits blanches, le stress, le doute. La différence entre les entrepreneurs, c’est la maîtrise du domaine. C’est un schéma long, difficile, qui demande énormément de soutien non seulement financier mais aussi moral », conclut M. Diagana.

Boubacar Sangaré