Auteur du livre « Les immigrés maliens en France : commerçants et entrepreneurs en région parisienne », Brema Ely Dicko est le chef du département socio-anthropologie de la Faculté des sciences humaines et des sciences de l’éducation de Bamako (FSHSE). Pour lui, ce n’est pas le développement qui va empêcher les jeunes de partir.
Sahelien.com : Quels sont les facteurs qui sous-tendent le phénomène de la migration dans la région de Kayes ?
Brema Ely Dicko : Ce sont les mêmes facteurs dans le monde entier. Ils sont d’abord historiques : sous la colonisation, il fallait payer l’impôt en numéraire alors qu’au début c’était en nature. Les « Kayesiens », n’ayant pas d’argent, étaient obligés d’aller à Abidjan, dans les plantations arachidières du Sénégal, pour travailler, gagner de l’argent et venir payer l’impôt. Et le reste de l’argent était remis au chef de famille. Aussi, les économies de nos pays étant liées aux aléas climatiques, les gens étaient obligés de migrer pour diversifier les ressources de la famille. La région de Kayes a été touchée par les vagues de sécheresse en 1973-1974, et en 1984-85. Donc, la pluviométrie étant mauvaise, les récoltes n’étant pas bonnes, certains ainés de la famille ont été obligés de migrer pour aller travailler comme saisonniers dans les pays voisins. Si on remonte loin dans le temps, il y a beaucoup de Maliens (tirailleurs) aussi qui ont participé à l’effort de guerre en 1914-1918 (première guerre mondiale, ndlr), et en 1939-1945 (seconde guerre mondiale, ndlr). Parmi eux, figuraient des ressortissants de Kayes dont certains sont restés en France, notamment dans les villes côtières comme Le Havre, Marseille, Bordeaux. Ainsi, ils ont servi de tête de pont pour les générations futures. Les gens partent pour gagner leur vie, pour soutenir les familles. Dans ce cas, la migration devient une sorte de soupape de sécurité pour les familles. Il ne faut pas perdre de vue la dimension culturelle, je ne l’ai pas évoquée tout de suite parce que ce n’était la raison au départ : la migration était d’abord économique. Le fait qu’elle soit maintenant ancrée dans les mœurs, dans les habitudes, les gens ont fini par faire de la migration une sorte de levier pour atteindre une certaine mobilité sociale. Au point que pour les originaires de la région de Kayes, elle est devenue quelque chose de fondamentale qui participe à la formation de l’homme. C’est pourquoi on dit souvent que la migration est devenue constitutive de l’identité soninké.
Sahelien.com : A Kayes, les migrants ont beaucoup investi dans les infrastructures socio-sanitaires bien avant la création des communes. L’absence de l’Etat est-elle une explication à cet état de fait ?
Brema Ely Dicko : Disons que c’est Bamako contre le reste du Mali. L’Etat est finalement absent partout. S’agissant de la région de Kayes, la situation est particulièrement difficile parce que c’est une zone semi-désertique où tout reste à faire. L’Etat a fait peu de choses comme ailleurs dans le reste du pays. Et ceux qui sont partis se sont vus dans l’obligation de faire quelque chose. C’est l’absence de l’Etat qui explique que les émigrés aient investi dans les services sociaux de base qui sont normalement du ressort de l’Etat.
Sahelien.com : Comment peut-on aujourd’hui évaluer l’impact économique du phénomène de la migration dans la région de Kayes ?
Brema Ely Dicko : C’est difficile à évaluer. Il y a une étude remontant à 2012, qui dit que les ressortissants de la région ont envoyé 120 milliards de francs CFA. Quand vous regardez la destination de cette somme colossale, c’est beaucoup plus dans les besoins de la famille : nourriture. Donc, c’est difficile de quantifier cela. On sait que ça a permis à de nombreuses familles de survivre. Ensuite, selon certaines études, environ 5% sont investis dans du productif : création de petits commerces, maraîchages, métiers. Cela n’est qu’une petite portion de la somme transférée.
Sahelien.com : Est-ce à dire qu’il y a nécessité de réorienter ces investissements ?
Brema Ely Dicko : Les communautés migrantes elles-mêmes ont pris conscience de cela dans le cadre de la convention co-développement signée en 2000 entre la France et le Mali. La cellule de co-développement qui a été mise en place a collaboré avec les associations de migrants en France pour voir comment orienter les investissements vers du productif. Dans ce cadre, une quinzaine de bourses ont été données à ceux qui avaient des projets d’entrepreneuriat pour venir au Mali, pour s’enquérir de la situation, des opportunités d’investissements, les contraintes. Donc, de plus en plus, au sein de la communauté migrante il y a cette réflexion et ce besoin d’investir dans du productif.
Sahelien.com : Pensez-vous cela pourrait être une solution pour retenir les jeunes ?
Brema Ely Dicko : Non. Même si on développait le Mali pour en faire les Etats-Unis d’Afrique, les gens vont partir. La preuve, c’est que les Français partent en Australie, au Canada, les Américains viennent en France et ailleurs. Partir est un droit. La mobilité est inscrite dans les gênes de l’homme. Et d’ailleurs si on a pu peupler la terre, c’est par la migration. Les gens finiront toujours par partir, parce qu’on voit que malgré le développement il y a des disparités énormes en termes de salaire, de santé, de bien-être, d’opportunité. Les gens partiront pour différentes raisons. Le développement n’empêche pas le départ.
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