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Burkina Faso : à Djibo, « la situation est un peu calme, mais il reste beaucoup à faire pour que ça s’améliore »

La vie reprend progressivement dans la ville de Djibo, située à 200 kilomètres, au nord de la capitale burkinabè. Une ville qui a été sous embargo djihadiste et plusieurs fois, la cible d’attaques sanglantes des groupes armés qui y sévissent depuis 2016.

Sur la route nationale 22 menant à Ouagadougou en passant par Kongoussi, un blocus avait été imposé par un groupe d’hommes armés semant terreur et désolation parmi les civils et dans les rangs des Forces de défenses et de sécurité (FDS), précisément entre le village de Mentao jusqu’à l’entrée de Namsiguia.

Longue de 12 kilomètres environ, cette partie avait le redoutable nom de « couloir de la mort ». Des débris de véhicules détruits par des engins explosifs improvisés (EEI), des cannettes de boisson et des morceaux de bouteilles témoignent de l’atrocité des attaques subies par les populations sur ce tronçon. C’est sur le même axe que l’ex-député-maire de Djibo, Oumarou Dicko et les trois autres occupants de son véhicule ont trouvé la mort dans une embuscade en novembre 2019. Quelques mois plus tôt, le grand Imam de Djibo, El Hadj Souaibou Cissé a été enlevé et assassiné alors qu’il revenait de Ouagadougou dans un car de transport en commun. La commune était coupée de la capitale et du reste des autres villes.

« On peut dire qu’il y a une accalmie dans la localité« 

Depuis quelques temps, Djibo est accessible et la vie reprend peu à peu. El Hadj Tamboura Boukary, le chef de terre se réjouit de cette accalmie. « Avant, c’était très compliqué, on ne pouvait pas aller à Ouaga. Maintenant, nous rendons grâce à Dieu, les gens circulent librement. Les populations commencent à se fréquenter. Il y a eu un moment où le couvre-feu était à 19 heures, ensuite 22h. A présent, c’est à minuit que le couvre-feu débute. Nous avons trop souffert. Mais maintenant ça va, si cela continue, le couvre-feu sera définitivement levé ».

Qu’avez-vous fait pour que la situation s’apaise ? « Nous avons fait des prières régulièrement. Les gens se rassemblent chez l’émir, chacun cotise ce qu’il peut. La somme collectée est acheminée dans les différentes mosquées de la ville pour demander à chacun de faire des Douâa (invocation) pour le retour de la paix », répond le chef de terre.

La situation a commencé par s’améliorer le jour où les djihadistes sont venus « rassurer » les populations. Le mercredi 21 octobre 2020 aux environs de 10 heures, des membres des groupes armés ont envahi les boutiques et les petits commerces de la ville sans leurs armes. Ils tentent de rappeler ceux qui fuyaient pour trouver refuge. « Ne courez pas ! Nous sommes venus faire la paix, nous sommes venus demander pardon » lançaient certains d’entre eux, selon des habitants rencontrés sur place. Sidiki Tamboura, président du Cadre d’initiative locale pour le développement économique et sociale(CILDES) était ce jour à Djibo. « La situation a surpris tout le monde parce que la population n’ayant pas été associée, ça a été une surprise générale. Les gens sont rentrés tôt parce qu’ils ne comprenaient pas ce qui se passait. Il y a eu la peur parce que si vous n’avez pas été associés, si vous ne savez pas quels ont été les tenants et les aboutissants, c’était assez difficile. Mais, depuis cette journée à l’heure où je vous parle, on peut dire qu’il y a une accalmie dans la localité. En dehors de certains incidents isolés, la ville de Djibo n’a plus connu d’attaques comme auparavant. La situation a donné de l’espoir aux gens même si on n’a pas tous les contours, on se dit que quelque chose a été fait pour améliorer la situation », a-t-il témoigné.

Des négociations

Dans les coulisses, il y a eu négociation entre les groupes armés et les autorités du pays en vue de parvenir à une accalmie. Mais avec qui et comment ? Le chef de canton de Djibo dit ne pas être associé, néanmoins, il appelle les deux parties à trouver un consensus en acceptant de continuer à négocier. « Je ne peux pas dire que je suis impliqué au premier plan. Peut-être qu’il y a eu des actions qui ont permis de faire les négociations, mais on n’était pas informés », indique le chef de canton de Djibo.

Dans la foulée de cette accalmie, un cadre de concertation a été mis en place pour contribuer au retour définitif de la paix, selon le chef de canton. « Ce qu’on souhaite, c’est d’être impliqué parce que c’est aussi le rôle des chefs coutumiers de faire en sorte que la paix revienne. Aujourd’hui, on a mis en place un cadre de concertation qui comprend les chefs coutumiers et religieux. La situation est un peu calme, mais on pense qu’il reste beaucoup à faire pour que ça s’améliore, c’est pourquoi ce cadre a été créé », précise-t-il.

« S’il y a des gens qui ont pris les armes et qui reviennent, c’est avec les populations, ils vont vivre. Il faut maintenant voir comment travailler pour qu’il y ait plus de confiance entre ceux qui sont revenus et ceux qui sont restés, parce qu’il y a eu certaines situations où il y a des velléités de vengeance, il y a tout un tas de choses qu’il faut travailler et là, ça doit forcément passer par les populations, les personnes ressources. Le tout militaire ne peut pas résoudre le problème. On a vu ce qui s’est passé ailleurs, il faut allier la question militaire, le développement et le dialogue », préconise le président du cadre d’initiative locale pour le développement économique et sociale de Djibo.

Au marché à bétail, le mercredi 11 août dernier, deux hommes en moto sont passés près de nous. Barbes longues, pantalon au-dessus des chevilles, ils ont contourné l’objectif de notre caméra pour éviter d’être dans le champ. Un jeune homme s’approche de nous et chuchote à l’oreille « ce sont eux, ne les filmez pas, ils n’aiment pas ça ». Il s’agissait en fait « d’ex-combattants armés ou du moins certains éléments qui ont accepté les pourparlers. Ils entrent à Djibo faire le marché tous les mercredis sans leurs armes et se replient dans les villages après les courses », nous confie une source. Et d’ajouter que dans les zones où ils sont présents, « outre l’interdiction de couper la barbe, la consommation de l’alcool et de la cigarette est strictement interdite. Ils exigent des hommes, le port de pantalons courts. Les femmes doivent obligatoirement porter des hidjab (voiles) de préférence noirs. Nous circulons librement pourvu que ces règles soient respectées. Ceux qui ne respectent pas les règles sont fouettés ou souvent amenés dans un ‘Markassa’ (une sorte de base) érigée dans une forêt où se trouve le juge ». Ce dernier prononce la sentence au contrevenant qui recevra par la suite, la sanction à la hauteur de son forfait. Autrement dit, c’est l’application de la charia qui y prévaut.

« On va vers une situation assez difficile… »

Pour l’analyste Serge Oulon, la situation peut s’aggraver si les négociations ne sont pas bien menées. « On va vers une situation assez difficile parce que dans l’immédiat, il y a cette accalmie relative mais le revers de la médaille, ce qu’on proclame officiellement que le Burkina est une République laïque, on voit que sur le terrain, on a des individus qui imposent leur loi. Même dans la ville de Djibo, il y a des secteurs où aucune force de sécurité ne se s’y aventure et ces parties sont laissées à la merci de ces groupes armés. Si on laisse les gens faire ce qu’ils veulent et dans la négociation, on n’a pas pris en compte un quelconque programme de désarmement ou de réinsertion, on court le risque vers un lendemain encore plus difficile. Tout le monde sait que quand on négocie, ce n’est pas que la parole, il y a des contreparties financières. Quand l’argent va finir, certainement qu’on va retrouver les armes pour encore monnayer cette situation. Ça devient un fonds de commerce pour certains. Il y a aussi le risque que ça joue sur la mobilisation des forces armées parce que si vous avez cette situation, on peut se dire qu’on tombe dans la facilité et qu’on peut négocier encore et avoir la « paix ». »

Au plan national, il est prévu un forum de réconciliation du 17 au 23 janvier 2022, a indiqué mercredi, le porte-parole du gouvernement Ousséni Tamboura. Début juin dernier, le ministre d’Etat en charge de la réconciliation nationale et de cohésion sociale, Zéphirin Diabré, avait annoncé au cours d’une conférence de presse, six grands axes de la réconciliation au Burkina Faso. Il s’agit de la réconciliation socio-politique, la réconciliation socio-communautaire, la réconciliation sécuritaire, la réconciliation économique et financière, la réconciliation administrative et la réconciliation civique.

Sahelien.com

*Réalisé avec le soutien du Programme Sahel de l’IMS, financé par DANIDA.

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