FR | EN

Français | English

mardi, 24 décembre, 2024

|

34.2 C
Bamako
31.2 C
Niamey
32.1 C
Ouagadougou

|

18:13

GMT

Burkina Faso : à Djibo, les populations entre inquiétudes et interrogations

Les attaques contre les populations civiles et les positions des forces de défense et de sécurité (FDS) ont pris de l’ampleur, ces derniers temps, au Burkina Faso faisant des dizaines de morts et des milliers de déplacés internes. En plus de l’insécurité, la famine guette les populations des villes et villages assiégés par les groupes armés terroristes. Dans certaines zones, les terres cultivables sont réduites à plus de 40% et les prix des produits de grande consommation ne font qu’augmenter.

À Djibo, la situation est de plus en plus alarmante. Depuis janvier 2022, la ville est de nouveau coupée du reste du pays. « Ils nous ont fait descendre du car et après avoir contrôlé nos identités, ils ont dit de repartir à Ouaga », raconte un passager qui se trouve toujours à Bourzanga, à 50km de Djibo, sur la route nationale 22, depuis trois mois. Selon le chauffeur d’une compagnie de transport qui a requis l’anonymat, des hommes armés leur ont donné un dernier avertissement. « Ils nous ont clairement dit que même si on acceptait d’être escorté par les militaires, ils allaient nous attaquer. Leur chef nous a dit que les militaires ne pourront pas nous escorter tout le temps, et c’est mieux pour nous de ne plus revenir par ici « , a-t-il indiqué. Et d’ajouter : « nous n’allons pas prendre de risque parce qu’ils ont enlevé et tué un de nos collègues conducteurs. »

Alimata, mère d’un bébé de trois mois, se demande comment ira –t-elle retrouver son bébé. « Je suis allée à Kongoussi, localité située à 100 km de Djibo, pour prendre mon salaire de fin du mois de janvier vu qu’il n’y a aucune agence ouverte à Djibo. J’ai donc laissé mon bébé croyant pouvoir revenir quelques heures après. Mais hélas, quand j’ai pris mon argent, je voyais des cars qui repartaient à Ouagadougou et on nous annonce que la route est barrée par des hommes armés non identifiés. J’ai voulu marcher pour regagner Djibo, mais des gens m’ont dissuadé. C’est un bébé de trois mois seulement… Cette dernière phrase Alimata l’a prononcée tout en larmes. »

Pénurie d’eau

Depuis la dégradation de la situation sécuritaire au Burkina Faso, les groupes armés terroristes imposent un nouveau blocus à la ville de Djibo. « Les groupes armés ont saboté les réseaux de téléphonie mobile. Pendant un mois, personne ne peut émettre, ni recevoir des appels. Chaque jour, nous rentrons dans nos maisons après des coups de feu. Il n’y a pas d’heure précise. Ils viennent à tout moment de la journée ou la nuit. Après des tirs nourris, ils regagnent la brousse. En début du mois de mars 2022, les habitants des secteurs à la périphérie de Djibo ont été sommés de quitter. Actuellement, Djibo ne compte que quatre secteurs sur les dix qui existaient. Les installations de l’ONEA (Office national de l’eau et de l’assainissement, ndlr) ont été détruites », témoigne un habitant de Djibo.

D’autres témoignages d’habitants indiquent que toutes les réserves d’eau ont été détruites à la roquette. Aujourd’hui, les populations font face à une pénurie d’eau. Les quelques puits creusés à la main au bord du barrage de Djibo sont inaccessibles. Certains ont été sabotés par ces hommes armés dans le but d’empêcher le ravitaillement en eau des populations, affirment nos interlocuteurs. A certains endroits, des femmes, après avoir puisé l’eau, ont remarqué des traces de carburant et l’huile de vidange. « Comment des gens arrivent à rentrer dans le centre de la ville sans que l’armée ne réagisse alors que le détachement militaire est présent ? », s’interrogent des habitants. Le 8 mars 2022, la station radio “La voix du Soum” a reçu la visite d’hommes armés. Les installations de la radio ont été détruites et du matériel emporté.

« Ils ont dit qu’ils combattent pour la religion musulmane, mais ils tiennent des musulmans qui n’ont ni arme, ni force. Quelle religion demande de tuer les gens de faim et de soif? », s’est indigné un religieux d’une soixantaine d’années. Avant de conclure : « même un animal ne doit pas être tué de soif. »

Pourquoi ce regain de violences à Djibo ?

Les hostilités ont repris après les élections présidentielles de 2020. Les attaques sont devenues plus sanglantes. Une personne ressource de la localité qui a souhaité garder l’anonymat confie à Sahelien.com que les groupes armés pointent du doigt l’armée burkinabè de violation des accords. Il ajoute que des membres des groupes armés étaient enlevés et portés disparus, ce qui n’était pas du goût des leurs camarades qui trouvent que l’accord était une ruse pour les éliminer. À l’en croire, certains avaient entendu dire qu’un des points de l’accord était « que chacun vaque à ses occupations et que personne ne touche à l’autre. Une sorte de cessez-le-feu. »

Faut-il négocier encore ?

À cette question, les avis sont partagés. « Il y avait eu des négociations et après, le pire s’est installé. La solution militaire a montré ses limites pendant que les populations souffrent » ont réagi certains habitants. Pour d’autres, il faut négocier pour trouver un terrain d’entente. « Ce qu’il faut admettre, c’est que les groupes armés ont une avance sur le renseignement. Ils ont infiltré la population au point que personne ne veut parler de peur d’être tué. »

Entre 2017 et 2018, plusieurs civils ont perdu la vie parce qu’ils étaient soupçonnés de collaboration avec les militaires. « L’interprète de la brigade de gendarmerie de Djibo a été assassiné avec son fils dans sa maison parce qu’il était soupçonné de donner des informations sur les mouvements des hommes armés. Si vous êtes ami d’un gendarme ou d’un militaire, vous serez tué », a-t-on appris auprès des habitants. C’est le cas de Hamza Tamboura, un jeune d’une vingtaine d’années, assassiné dans une buvette par deux hommes armés.

Selon les informations recueillies, ces derniers jours, l’armée s’est déployée dans les zones sensibles de la ville comme au niveau des puits creusés par les populations – et qui étaient assiégés par les groupes armés – en vue de leur permettre d’avoir de l’eau.

« La ville est remplie de militaires qui nous demandent de limiter nos déplacements pour notre propre sécurité », a déclaré un habitant de Djibo. Il ajoute que « l’armée travaille dans le silence et c’est compliqué pour les militaires d’intervenir dans la ville ». Le 17 mars 2022, une dizaine de présumés terroristes ont été arrêtés par les militaires dans la ville de Djibo et plusieurs autres neutralisés.

À l’issue de son premier Conseil des ministres, le 18 mars dernier, le gouvernement de la transition a tenu à rassurer l’opinion de sa détermination à lutter contre l’insécurité. Lionel Bilgo, ministre de l’éducation nationale et porte-parole du gouvernement a indiqué, au sortir du Conseil, que « la stratégie militaire est en train de se déployer sur le terrain» et que les FDS travaillent de sorte à «juguler» cette situation. Et de souligner qu’il y a des stratégiques militaires mises en œuvre qu’on ne peut pas expliquer au public pour, non seulement garantir la sécurité des forces de sécurité et de défense qui sont déployées sur le terrain, mais aussi garantir le résultat de cette action».

Lire aussi : Burkina Faso : à Djibo, « la situation est un peu calme, mais il reste beaucoup à faire pour que ça s’améliore »

Rappel

Fin 2016, les premières attaques des groupes armés terroristes ont débuté dans la province du Soum précisément à Nassoumbou où, un détachement militaire a été visé par une attaque ayant fait une dizaine de morts. Située à 210 km de la capitale Burkinabè et à moins de 100 km de la frontière du Mali, c’est dans cette province qu’est né le premier groupe armé dénommé Ansaroul Islam, avec à sa tête, Ibrahim Malam Dicko. Il a été proche d’Amadou Kouffa, l’un des chefs du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (JNIM) aux côtés d’Iyad Ag Ghali.

Ibrahim Malam Dicko est mort en 2017 à la suite d’une opération militaire dans la forêt de Foulsare. Son frère Jaffar Dicko le remplace à la tête d’Ansaroul Islam. Des enlèvements de civils soupçonnés de donner des informations aux militaires, des embuscades et assassinats de leaders avaient lieu presque chaque jour. Sur la route nationale 22 (RN22), entre Djibo et Ouagadougou, le maire de la ville de Djibo a été assassiné avec quatre de ses compagnons alors qu’ils se rendaient à Ouagadougou.

Le guide religieux du Soum a été enlevé sur ce même axe et retrouvé mort 48 heures après. En 2019, les groupes armés contrôlaient les véhicules de transport à la recherche de fonctionnaires de l’Etat. Leurs cibles particulières sont les enseignants et les membres forces de défense et de sécurité. Tous les fonctionnaires avaient quitté la zone pour se retrouver dans des endroits sécurisés. L’absence de l’Etat avec la fermeture du tribunal de grande instance de Djibo et les institutions bancaires ont compliqué la vie des populations.

Aussi, la police nationale avait replié sur Ouagadougou prétextant un manque d’armements pour faire face aux groupes armés. Le chapelet de d’événements malheureux s’agrandit de jour en jour. Toujours en 2019, les groupes armés ont réussi à couper la ville du reste du pays. Aucun camion de transport n’entre à Djibo pendant plusieurs mois. En octobre 2020, les négociations avec les groupes armés ont abouti à un accord. Le contenu de ces négociations n’a pas été dévoilé.

A. Koné