Le Burkina Faso fait face à une crise sanitaire sans précédent qui tend à faire oublier les attaques terroristes dans le Sahel, le Nord et l’Est du pays. Avant l’apparition de la pandémie, la ville de Djibo était déjà coupée de la capitale depuis janvier 2020.
Les groupes armés ont imposé un blocus « rien ne rentre, rien ne sort« , selon Sidiki Tamboura, natif de Djibo et coordonnateur du réseau des associations du Soum. La situation humanitaire au Burkina Faso a connu une forte dégradation suite aux différentes attaques terroristes dans cette partie du pays. Plus 150.000 déplacés internes à Djibo, 60.000 à Arbinda à 90 km de Djibo, selon le Conseil national de secours d’urgence et de réhabilitation (CONASUR). Sept communes sur les neuf (09) que compte la province du Soum sont quasi inexistantes.
Sur le terrain, les populations sont « prises en tenaille » entre les terroristes et les forces de défense et de sécurité (FDS). « Si vous collaborez avec l’armée, les terroristes vous tuent, si vous ne collaborez pas, vous êtes complices, voilà comment nous vivons ici », confie un habitant qui préfère garder l’anonymat. Après l’assassinat du député-maire, Oumarou Dicko par des hommes armés non identifiés en novembre 2019, la ville a sombré davantage dans le mutisme. « Nous préférons le travail à la parole, et les jeunes font un travail dans ce sens » nous dit le remplaçant du défunt maire.
Pourquoi personne ne veut s’exprimer sur la situation ? « Nous avons peur de l’armée et aussi des terroristes », précise un habitant de la ville. « Les hommes armés viennent nous tuer et s’ils partent, l’armée vient et elle ne pose pas de questions. Si les militaires vous trouvent dans un périmètre jadis occupé par des hommes armés, ils vous considèrent comme complices et c’est fini pour vous » ajoute-t-il.
Selon l’ONG Human Rights Watch, 31 personnes auraient été exécutées à Firguindi, secteur 7 de Djibo par les forces de défense et de sécurité en avril dernier. Le ministère de la défense a promis l’ouverture d’une enquête sur ces événements suite au rapport de l’organisation de défense des droits de l’Homme.
Namssiguiya – Djibo, un tronçon infernal
Sur cet axe de 25 kilomètres situé sur la nationale 22, les groupes armés sont présents, ils arrêtent et fouillent les véhicules de transport à la recherche d’éventuels fonctionnaires de l’État. Ils refoulent les camions qui ravitaillent Djibo en vivres. Depuis environ deux mois, tous ceux qui arrivent, descendent et marchent à pieds jusqu’à Djibo. Quelques fois, c’est sous haute escorte militaire que les camions parviennent à ravitailler la ville en produits de consommation.
L’économie locale basée principalement sur l’élevage est durement touchée par l’insécurité. Toutes les autres activités qui se greffent au marché à bétail de Djibo, l’un des plus grands de la sous-région ouest-africaine, sont paralysées. Des marchés spontanés se créent en dehors du marché à bétail. Souvent, les propriétaires vendent leurs animaux à moitié prix pour pouvoir faire face aux besoins de leur famille.
« Les marchés locaux de céréales et de bétail ne sont pas fonctionnels ou fonctionnent au ralenti, car non fréquentés par les fournisseurs, les collecteurs et aussi peu fréquentés par les ménages qui manquent de revenu », souligne un rapport du Réseau des systèmes d’alerte précoce contre la famine.
Toujours selon le document, « la dégradation des moyens d’existence du fait de l’insécurité, la détérioration de la consommation alimentaire et de la situation nutritionnelle avec de prévalence au-delà du seuil d’alerte, exposent les personnes déplacées internes et ménages hôtes pauvres des provinces du Soum, du Loroum, de l’Oudalan, du Sanmatenga et du Bam à l’insécurité alimentaire aiguë, avec des risques d’extension aux provinces du Séno, du Yagha, de la Gnagna et de la Komondjari entre avril et mai 2020 ».
Le camp de réfugiés dans le viseur
Le 2 mai dernier, selon un communiqué du gouvernement, un gendarme a été tué et un autre porté disparu dans l’attaque de leur poste à Djibo. Le ratissage a mené les FDS dans le camp des réfugiés maliens de Mentao, faisant 32 blessés parmi les réfugiés. Les autorités ont déploré « l’opération de ratissage qui s’en est suivie, s’est heurtée à la résistance de certains réfugiés, provoquant ainsi des incidents » peut-on lire dans la note.
Située à environ 16 kilomètres de Djibo, le camp des réfugiés de Mentao qui abrite 6 500 pensionnaires est indexé depuis quelques temps par les populations suite aux attaques d’hommes armés non identifiés aux encablures du camp. En rappel, tous les postes de police érigés dans ce camp ont subi des attaques et, à ce jour, aucun poste de sécurité ne s’y trouve.
Après l’attaque de Splendid Hotel en janvier 2016, la méfiance s’est installée entre les populations du Soum et les occupants du camp des réfugiés maliens. Lors d’un point de presse, en mars 2017, le chef d’état-major général adjoint de la gendarmerie, le colonel Serge Alain Ouédraogo a déclaré que « Mimi Ould Baba Ould Cheikh et Ibrahim Ould Mohamed, anciens pensionnaires du site de réfugiés de Mentao, à Djibo, entendus par des enquêteurs burkinabè, ont révélé leur implication dans les attaques du 15 janvier 2016 à Ouagadougou.»
Depuis lors, après chaque attaque aux alentours de Mentao, les suspicions s’accentuent. « Mentao est une zone peu boisée. Il est facile de faufiler dans les arbres pour disparaître. C’est peut-être pourquoi les groupes armés ont choisi cette localité pour tendre des embuscades et préparer des attaques contre les FDS. Ces gens savent quelque chose mais, ils ne collaborent pas », s’indigne un villageois avant d’ajouter que « s’ils quittent ici, vous verrez la fin des attaques ». Cependant, le camp se vide de ses occupants qui viennent en masse à Djibo.
Soutenir les populations en proie à l’insécurité
Les ressortissants du Soum se mobilisent pour venir en aide aux populations qui vivent sous blocus imposé par les groupes armés. L’une des dernières initiatives est la création du Groupe d’action pour le Soum (GAS). L’objectif est de « mener des actions humanitaires et sociales au profit des populations éprouvées, de proposer des solutions pour le retour de la sécurité et de contribuer à une meilleure collaboration entre FDS et les populations locales », explique le coordonateur du GAS. Le 14 mai dernier, une délégation de cette association Groupe était sous haute escorte à Djibo pour des dons de vivres.
Au Burkina Faso, « à la date du 25 mars 2020, 838 548 personnes avaient été contraintes de fuir leur domicile, soit une augmentation de 7,54% par rapport à la situation du 29 février 2020. (…) Avant la fermeture des écoles pour contenir le Coronavirus (COVID-19), 339 909 élèves étaient déjà privés d’accès à l’éducation, du fait de la fermeture de 2 512 écoles en raison de l’insécurité », indique un rapport du Bureau de coordination des affaires humanitaire de l’ONU.
Fin mai, une cinquantaine de personnes ont été tuées dans différentes attaques à l’Est et au Nord du pays.
A. Koné
*Réalisé avec le soutien du Programme Sahel de l’IMS, financé par DANIDA.
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