Roch Marc Christian Kaboré n’y est pas allé de main morte. Son “coup KO” – comme l’ont scandé ses supporters – a assommé Zéphirin Diabré et les douze autres prétendants au trône de Kosyam, le palais présidentiel burkinabè. « Roch » a obtenu dès le premier round 53,49% des suffrages de la présidentielle. Zéphirin Diabré, son principal challenger, n’en a obtenu que 29,65%. Kaboré a ainsi confirmé la prédiction qu’il martelait dans les stades pendant sa campagne. Mais il a aussi démontré qu’il avait la maîtrise du ring politique. Comment expliquer une telle domination ?
Dans son camp, on rappelle volontiers qu’il est une star politique au Burkina Faso, qu’à côté, ses adversaires ne font pas le poids. Venu d’une famille influente (son père était ministre, les Burkinabè persiflent parfois qu' »il a appris à marcher en s’appuyant sur un frigo »), Kaboré grimpe les échelons dans le sillage de Blaise Compaoré. Il est partout : Premier ministre, président du CDP (ex-parti présidentiel), président de l’Assemblée nationale… Son visage s’ancre dans les esprits de tous, là où celui de Zéphirin Diabré, absent de l’arène politique pendant une dizaine d’années, reste mal connu ou associé au rôle de technocrate qu’il a longtemps assumé aux Nations-Unies.
Kaboré « a une expérience monumentale. Quand on regarde bien la logique électorale, on s’aperçoit qu’en Afrique la population a tendance à choisir ceux qu’ils ont déjà vus à l’oeuvre. C’est un déterminant essentiel », estime Abdoulaye Soma, président de la société burkinabè de droit constitutionnel. L’agrégé de droit ajoute qu’il y a « des déterminants dont on ne veut pas parler, comme le déterminant ethnique ». Dans un pays largement Mossi, le Bissa Zéphirin Diabré aurait été défavorisé.
La machine MPP
De plus, Kaboré est un homme du consensus. Jamais fâché avec personne. « Il a eu à gérer des situations compliquées avec succès. Il a toujours évité des clashs. Il a un fond rassurant, juge Raogo Antoine Sawadogo, ex-ministre et politologue, qui a battu campagne pour, son parti, le Mouvement du peuple pour le progrès (MPP). Finalement, sa seule brouille bien connue aura été avec Blaise Compaoré et son clan en 2012. Deux ans plus tard, il passe à l’opposition et fonde son parti, le MPP. Dix mois après, c’est l’insurrection.
Compaoré parti, le MPP se révèle alors une redoutable machine à écraser les scrutins. Roch Marc Christian Kaboré est entouré de deux autres poids lourds : Salif Diallo, ex-stratège de Blaise Compaoré, conseiller du président nigérien Mahamadou Issoufou, et Simon Compaoré, l’ancien maire de Ouagadougou qui a le contact si facile. « Ce n’est pas un succès solitaire. Il a autour de lui de vaillants lutteurs qui savent aller au charbon ou chercher des alliances », poursuit Raogo Antoine Sawadogo. A eux trois, ils fauchent l’herbe sous les pieds du CDP, récupérant des réseaux éprouvés quand ils étaient au pouvoir.
Mais comment comprendre qu’après l’insurrection d’octobre, les électeurs aient fait d’un pur produit du régime leur champion ? Une source diplomatique invite à renverser la question : y aurait-il eu une insurrection sans le passage de Kaboré et 75 membres du bureau politique national du CDP vers l’opposition ? Pour cette source, l’insurrection populaire a été largement « mythifiée ». Comme un écho aux déclarations des fidèles de Blaise Compaoré. Ils ont toujours laissé entendre qu’on leur avait porté un coup sous la ceinture, que l’insurrection avait été manigancée par leurs anciens compagnons passés au MPP.
A demi-mots, la mission d’observation de l’Union européenne (MOEUE) ajoute que le combat n’était pas très équitable. Rien à redire sur la transparence des scrutins, mais dans sa déclaration préliminaire, elle pointe que la campagne a été marquée par « une forte disparité de moyens entre les candidats ». Ainsi, « Roch Kaboré du Mouvement du peuple pour le progrès (MPP) et Zéphirin Diabré de l’Union pour le changement (UPC), dans une moindre mesure, ont bénéficié d’une visibilité disproportionnée ». Pour le professeur Soma, cette domination financière, loin d’être jugée comme déloyale, serait plutôt perçue comme un signe de bonne santé par les électeurs.
Sur le terrain, cela s’est traduit par des meetings géants. Le MPP n’a pas lésiné, se payant les prestations de la diva malienne Oumou Sangaré, des chanteurs Burkinabè Floby et Nigérian Davido. La MOEUE a également relevé « un contournement de l’interdiction de distribution de matériel électoral, à travers l’omniprésence de t-shirts de couleur orange, sans logo et image du candidat, arboré par la grande partie des sympathisants, dans les meetings du MPP ». Pour Fatimata Korbéogo, députée élue de l’UPC de Zéphirin Diabré, le MPP a utilisé les mêmes méthodes que le CDP. Elle grince : « Il y a beaucoup d’argent qui a été déversé. L’électorat été manipulé par le MPP ».
Limites de la victoire
Mais le MPP n’a pas obtenu un double KO. Aux législatives, il n’a décroché que 55 sièges sur 127, à 9 sièges de la majorité absolue. « En Afrique et au Burkina Faso, le vote est moins institutionnel et idéologique que personnel. Il témoigne de rapports sociaux que les électeurs entretiennent avec le candidat », estime le professeur Soma. Ainsi, il ne serait pas étonnant de « voter pour un camp à la présidentielle et un autre à des législatives qui se déroulent en même temps. Cela peut expliquer cette distorsion ».
Pour Salif Diallo, « ce sont les performances réelles d’un parti créé il y a moins de deux ans » et le mode particulier de scrutin à la proportionnelle « favorise les formations moindres ». Il se garde toutefois de mentionner les résultats honorables du CDP. Comptes gelés, interdit de participer à la présidentielle, ses leaders exclus des législatives, le parti de Compaoré a obtenu 18 sièges et constitue la troisième force à l’Assemblée nationale. Pour constituer une majorité, le MPP doit s’allier avec de petits partis.
Tous les regards sont maintenant tournés vers les sankaristes qui ont décroché 5 sièges à l’Assemblée nationale. Salif Diallo leur a ouvert la porte en rappelant qu’ils sont de « la même famille idéologique ». Les contreparties pourraient être intéressantes et ces derniers semblent se montrer tentés. Reste que leur leader, Bénéwendé Sankara, est l’un des avocats de dossiers sensibles (Thomas Sankara, Norbert Zongo…) dans lesquels les noms de cadres du MPP, à l’époque au sein du régime Compaoré, pourraient apparaître.