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Burkina Faso : crise alimentaire, l’autre menace pour les déplacés internes

L’escalade de la violence a obligé plus d’un million de personnes dont 453.000 depuis le début de l’année, à fuir leur foyer, selon les autorités. Ceci affecte les moyens de subsistance des personnes déplacées et des familles d’accueil.

Près de sa case, Mariam pile le mil afin de préparer le diner pour sa famille de sept membres, tous des déplacés et installés, depuis neuf mois sous des abris de fortune près de Dori. Au quartier Wendu de Dori, ils sont plus de dix mille déplacés venus pour la plupart d’Arbinda ayant fui les attaques armées. Ils ont échappé aux balles des groupes armés en abandonnant tous leurs biens.

Sur leur nouveau site, ils attendent encore des aides humanitaires pour nourrir leurs familles comme Mariama qui a fui son village avec dix autres personnes. « Mon mari a vendu tous ses animaux pour nourrir les enfants et il n’a plus rien », dit-elle. Dans la ville de Dori, l’arrivée massive des personnes déplacées complique davantage la situation alimentaire.

Issa Dicko est responsable du bloc 1 des déplacés internes au quartier Wendu. Il aide à recenser ceux qui sont dans la même situation que lui. Sous le hangar, au milieu de sa cour, des femmes, des hommes en âge avancé attendent d’avoir à manger ou à s’inscrire sur la liste des bénéficiaires. « Nous manquons chaque jour de nourriture. Il faut demander pour manger, c’est comme ça ici tous les jours », indique Issa.

A Dori, de nouveaux déplacés arrivent presque chaque jour. Amadou Hama est parti de chez lui à Pétabouli et ne souhaite plus y retourner. Il est témoin d’une attaque d’hommes armés qui ont surgi un jour de foire. « Ils tiraient sur tout le monde. Nous avons eu la chance, nous avons dormi dans la brousse avant de marcher 90 kilomètres pour nous retrouver à Dori. Nous n’avons rien emporté. Tous nos biens sont restés là-bas », souligne-t-il.

Insuffisance de l’aide

Dans la localité, les déplacés internes manquent d’abris. Certains ont pu avoir des tentes offertes par le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), d’autres à l’aide de nattes, ont érigé un logement de fortune. Les plus chanceux sont ceux qui sont accueillis dans des familles.

Les habitants de Dori qui partagent logement et nourriture par solidarité avec les déplacés risquent de faire face à une crise alimentaire à cause de la menace qui pèse sur les moyens de subsistance. « Il faut que les gens soient chez eux pour pouvoir cultiver. Ils n’ont même pas accès à leur champ. Nous aurons une crise alimentaire que les déplacés vont subir en janvier et mars prochain parce qu’ils n’ont pas leur champ pour cultiver alors que c’était leur seule activité pour pouvoir nourrir leur famille. Et pour les éleveurs, beaucoup ont perdu leur bétail », a indiqué à Sahelien.com, Ousmane Amirou Dicko, émir du Liptako joint par téléphone.

Les agriculteurs qui ont pu cultiver à Dori  se félicitent d’une bonne pluviométrie et espèrent faire des bonnes récoltes. Mais ces dernières seront insuffisantes pour couvrir l’année. « La récolte sera bonne si les pluies continuent ainsi pendant dix jours. Une culture de subsistance qui ne garantit pas la nourriture durant toute l’année. Mon mil de l’année passée est fini et si je gagne bien cette année également, je peux consommer avec ma famille pendant 3 mois pas plus, et après, si j’ai de l’argent je vais acheter du mil au marché. Chez nous ici c’est comme ça », déplore un paysan.

Une campagne agricole perturbée

En revanche, il se plaint du pâturage des animaux dans les champs, dont la plupart appartiennent aux déplacés. « Nous sommes accueillants et nous compatissons à leur sort mais quand ils laissent leurs animaux paître dans nos champs, certains d’entre nous comprennent mais avec d’autres, ce n’est pas évident », ajoute notre interlocuteur.

Dans l’ensemble, la campagne agricole a pris un coup en raison de la dégradation de la situation sécuritaire. Le 29 janvier 2020, 39 civils ont été tués à Silgadji dans le Soum par des hommes armés. Là aussi, c’est après un ultimatum de 72h que les assaillants sont revenus exécuter froidement des civils un jour de marché.

Depuis lors, le village de Silgadji s’est complètement vidé de sa population. Certains déplacés sont restés à Kongoussi à 100km de la capitale. D’autres ont préféré continuer à Ouagadougou où ils ont trouvé refuge dans des quartiers non-lotis. Dans un rapport publié le 18 août dernier par l’ONU, le nombre de personnes ayant fui leurs foyers du fait des violences a atteint un million au Burkina Faso.

Le gouvernement burkinabè aidé par les partenaires tente d’apporter une réponse à la crise à travers divers dons mais le nombre croissant des déplacés rend l’équation alimentaire plus dure à résoudre.

Pour soutenir les populations au Burkina Faso, au Mali et au Niger, plus de 1,7 milliard de dollars d’aide humanitaire ont été promis par les bailleurs de fonds, lors d’une conférence virtuelle organisée, mardi 20 octobre 2020. « Une fois débloqués, les fonds permettront d’aider quelque 10 millions de personnes pour le reste de l’année 2020 et jusqu’en 2021 en matière de nutrition et d’alimentation, de services de santé, d’eau et d’assainissement, de logement, d’éducation, et de protection et de soutien aux victimes de violences basées sur le genre », précise l’ONU sur son site web.

Insécurité et élections

Depuis le 2 février, Maïga Ali a quitté son village Gorgadji situé à 50km de Dori avec plusieurs autres habitants après l’assassinat d’une vingtaine de civils dont le major du centre de santé. « Les assaillants sont d’abord venus nous dire de quitter le village et que s’ils revenaient nous trouver ici, ils allaient tous nous tuer. Nous ne savions pas où aller. Ils sont revenus le 1er février dans la nuit. Ils tiraient sur tout le monde même dans les concessions. Nous avons trouvé refuge à Dori après 57 km de marche dans la même nuit », relate Ali.

Huit mois après cette attaque, une vingtaine de civils ont été tués dans le même village dans la journée du 14 octobre dernier. Certains étaient repartis pour cultiver leurs champs. Sur l’axe Dori-Gorgadji jusqu’à l’entrée d’Arbinda, ce sont environ une dizaine de villages qui se sont vidés de leurs habitants ayant fui les attaques terroristes.

Les défis sont énormes à un mois de l’élection présidentielle couplée aux législatives prévue le 22 novembre prochain. Selon la Commission électorale nationale indépendante (CENI), plus de 6 millions de Burkinabè sont attendus aux urnes. « La CENI a la responsabilité d’organiser les élections dans tous les villages mais elle n’a pas les moyens d’assurer la sécurité. Ce n’est pas de gaieté de cœur qu’un certain nombre de villages n’ont pas été couverts », avait affirmé Newton Ahmed Barry, président de la CENI lors d’un point de presse en septembre dernier.

En attendant l’ouverture de la campagne électorale le 31 octobre, dans les localités où règne l’insécurité, les populations ne se sentent pas concernées par le scrutin. « Beaucoup de gens viennent chez moi. Leur problème, ce sont les vivres, les tentes, les couvertures et matelas, de l’eau, du savon, la santé, le logement, ils n’en ont pas. Ils veulent que leur sécurité soit préservée, tout ce qui est possible pour vivre dans une dignité et prévoir leur retour dans leur village », souligne l’émir du Liptako.

A. Koné

*Réalisé avec le soutien du Programme Sahel de l’IMS, financé par DANIDA.

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