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Burkina Faso/Répression des actes de terrorisme : les premiers procès sur fond d’attaques persistantes dans le pays

Les premières audiences du pôle judiciaire spécialisé dans la répression des actes de terrorisme se sont tenues du 9 au 13 août 2021 au Tribunal de grande instance Ouaga II. C’était le premier dossier d’envergure de ce nouveau tribunal depuis le début des attaques djihadistes en 2015. Sur dix dossiers, seulement cinq ont connu leur dénouement.

Cinq jours pour évacuer dix dossiers, soit deux dossiers par jour. C’est la mission de la session de jugement de la Chambre correctionnelle du pôle judiciaire spécialisé dans la répression des actes de terrorisme du Tribunal de grande instance (TGI) Ouaga II. Ce nouveau tribunal connaît son premier dossier d’envergure. Et ce, également pour l’histoire du Burkina Faso. Depuis 2015 où ce pays connaît de multiples attaques terroristes, des présumés terroristes passeront à la barre pour le jugement.

Vu la sensibilité du dossier, la sécurité est renforcée. Depuis l’accès principal du bâtiment, toute entrée est bien filtrée. Une fois dans la salle d’audience, les faits et gestes du public sont suivis de près par la Garde de sécurité pénitentiaire (GSP).

Pour le premier jour, ce sont deux mis en examen qui constituent le premier dossier. Harouna Sinaré et Ousmane Dicko ont fait leur entrée sous le regard stupéfait de l’assistance. Six charges sont retenues contre eux. Il s’agit : association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste ; détention illégale d’arme à feu ; coups et blessures volontaires ; meurtre sur une personne jouissant d’une protection internationale ; destruction volontaire de biens ; faux et usage de faux en écriture publique.

Des motivations

En plus du dossier de Harouna Sinaré et Ousmane Dicko, le second a également été renvoyé. C’est au deuxième jour qu’un dossier a commencé et connu son verdict. Il s’agit d’Amado Abdoulaye Dicko et Adama Nacanabo. Le premier est né au Mali en 1992 et le second à Djibo, dans la région du Sahel au Burkina, en 1983.

Amado Abdoulaye Dicko a déclaré avoir rejoint le groupe Ansar Dine et acheté par ses propres frais une Kalachnikov à 430.000 FCFA. Il a intégré ce groupe armé non par manque de moyen financier ou d’emploi mais « pour défendre la religion et imposer la charia », a-t-il avoué devant la barre.

Quant à son binôme Adama Nacanabo, il était orpailleur avant de rejoindre les rangs d’Ansarul Islam de Boureima Dicko connu avec le pseudonyme « Malam Dicko », surnommé « le père du terrorisme au Burkina ». Ses motivations sont identiques à celles d’Amado Abdoulaye Dicko. Devant les juges, il a affirmé : « Je sais qu’il y a la loi du Burkina Faso mais cette loi ne s’applique pas à notre religion. Nous sommes sortis pour faire appliquer la charia. Nous ne cherchons pas l’argent. Nous cherchons Dieu ».

Lorsqu’une autre « organisation armée » ne partage pas leur idéologie, elle devient leur cible. C’est le cas du groupe d’autodéfense « Koglweogo ». C’est une organisation qu’on retrouve dans plusieurs régions du Burkina notamment dans l’Est, le Centre-Nord et le Sahel. Ils luttent contre le banditisme en appliquant des sévices corporels et une amende à la hauteur de l’infraction commise. A en croire un accusé à la barre, les Koglweogo « ont les armes, ils ne prient pas mais ils aiment maltraiter la population ». Ainsi, ils avaient pour mission d’en découdre avec eux. « La mission était d’attaquer les Koglweogo. Quand nous sommes arrivés, c’était un jour de marché et ils n’étaient pas armés », a déclaré Adama Nacanabo.

Dans l’optique d’imposer « leur religion et la charia », les groupes armés sont contre l’Etat et ses représentations dans les localités. C’est ce qui explique la destruction de certains édifices. Un présumé a avoué à la barre que leur objectif consiste à contraindre l’Etat à accepter la charia.

Parmi les motivations pour s’enrôler dans les groupes djihadistes, l’argent n’est pas à exclure. Mahamoudou Diallo dit Houdé est né en 1996 au Mali. Ce cultivateur est tombé entre les mains de la force française Barkhane au cours d’une opération anti-terroriste en décembre 2019 à Ariel, dans la région du Sahel. Un test chimique a permis de retrouver des traces de poudre de balles sur ses mains et son habit. Cela déduit qu’il a tiré à une arme en moins de 72 heures. Interrogé par le juge d’instruction, il a indiqué être venu au Burkina Faso pour le compte du groupe armé Dawla Islam (Etat islamique dans le Sahara) contre la somme d’un million francs CFA s’il adhère, et deux millions, s’il participe à un combat. Avec un ton élevé, il a demandé au tribunal de lui apporter les preuves des charges retenues contre lui.

Une victime insatisfaite

Sur les dix dossiers inscrits pour la présente session, seulement cinq ont été jugés. Un accusé est relaxé au bénéfice du doute. Quatre dossiers ont vu des condamnations allant de 10 à 21 ans de prison ferme. Sur deux dossiers où les victimes se sont constituées en partie civile, seulement une s’est présentée à la barre.

A.D, une victime d’actes terroristes, est un enseignant et directeur d’école dans la région du Centre-Nord. Une nuit, il a reçu la visite de l’équipe d’Amado Abdoulaye Dicko et Adama Nacanabo.Il a été dépouillé de ses biens avant de voir sa maison et son école incendiées. Ses bourreaux sont condamnés à 20 ans de prison ferme assortis de 15 ans de sûreté.

Dans sa réclamation, A.D a demandé 4 302 094 FCFA comme dommage et intérêt. Selon le verdict, les deux coupables doivent lui verser 2 975 094 FCFA.Cette décision lui laisse un goût amer.« Je ne suis pas tout à fait satisfait du verdict, notamment sur ce qu’on devrait me rembourser comme perte. Ce qu’ils m’ont proposé ne me convient pas », nous confie-t-il.

Il ne s’est pas contenté de critiquer. « Je propose de bien analyser les dégâts que j’ai subi. Déjà le traumatisme que j’ai vécu n’est pas quelque chose dont on peut estimer le prix. Voilà pourquoi je disais que la prise en charge de ma santé psychique, je ne pouvais pas évaluer », précise la victime. Et d’ajouter : « Jusqu’au moment où je suis, à mon nouveau poste, quand j’entends les bruits de moteur la nuit, je suis apeuré. Des fois, je me cache pour voir de qui il s’agit avant de me ressaisir. Ce sont des peines que je continue de vivre ».

Appréciations du procès

Alors que certains observateurs saluent la tenue de ce procès pour son caractère historique, d’autres citoyens ne partagent pas cette opinion. Surtout pas ceux qui ont suivi les débats durant les cinq jours. Selon G.T, on ne devrait même pas juger ces personnes. « Ce sont des criminels ! Comme c’est la vie, le juge a fait ce qu’il pouvait », a-t-il affirmé, avec un air agacé. A la question de savoir si ce jugement s’adapte au contexte burkinabè, notre interlocuteur répond par la négative. « Non ! En tant que Burkinabè, si tu tues mon parent et que tu sors, je ne peux pas te laisser parce que c’est carrément contraire à ce que nous voulons. Ces gens, on devrait les condamner à mort », a-t-il insisté.

Quant à Madi Belem, un étudiant en Droit mais dans la peau de gestionnaire de parking au TGI Ouaga II, il n’apprécie pas les peines. Durant ce procès, la lourde peine est de 21 ans. Pour lui, « s’ils ressortent, ils peuvent vouloir continuer. Si on les emprisonnait à vie, cela allait être mieux ». Malgré la relaxe d’un accusé au bénéfice du doute, Madi Belem est sceptique : « On dit que le doute profite à l’accusé. Je ne sais pas s’il est réellement innocent. Même si la loi ne l’a pas condamné, cela ne veut pas dire qu’il n’est pas terroriste ».

« Un ouf de soulagement » pour le Burkina Faso

Pour comprendre les enjeux de ce procès historiques, nous nous sommes rapprochés du journaliste d’investigation, Atiana Serge Oulon. Il a écrit un livre intitulé « Comprendre les attaques armées au Burkina Faso : profils et itinéraires de terroristes ». Pour lui, le profil permet de comprendre les motivations. « Il y a ceux qui ont été radicalisés, ceux qui ont été contraints de rejoindre les rangs et ceux qui pensent avoir une vie meilleure en rejoignant ces groupes armés terroristes », précise-t-il.

Il partage sa lecture de la situation en ces termes : « A travers ce procès, c’est l’Etat de droit qui s’affirme et c’est l’entrée en jeu de la justice dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Il faut la lutte contre le terrorisme au-delà de l’aspect militaire et voir une vision globale par rapport à cette lutte. » En organisant ce jugement,  Atiana Serge Oulon estime que le Burkina Faso remplit une part de ses engagements internationaux parce que la tenue de ce procès permet d’enlever une préoccupation.

Depuis quelques temps, le Burkina Faso fait l’objet d’interpellation sur la situation des droits humains par rapport au fait qu’il y a plus de 800 personnes en détention à la Prison de haute sécurité (PHS) pour des faits liés au terrorisme. « Ça fait un ouf de soulagement en quelque sorte pour des dirigeants qui pourront avoir des réponses assez claires s’il y a des interpellations ».

Attention à « une mauvaise communication sur la compréhension des jugements »

Laurent Kibora est unexpert en sécurité et développement. Il pense que les verdicts sont un grand pas pour le Burkina Faso dans le respect des droits humains et de la bonne gouvernance démocratique mais aussi « la première grande victoire » du pays dans la lutte contre le terrorisme. Face à une quelconque crainte de représailles, il se prononce : « Il est peu certains que les verdicts dissuadent les représailles mais une mauvaise communication sur la compréhension de l’objet des jugements qui n’est ni une vengeance ni un règlement de compte pourrait occasionner des représailles si les terroristes sentent que c’est pour leur nuire. »

L’auteur du livre « Action de développement du système national de sécurité: analyse prédictive des attaques terroristes au Burkina Faso : quel scénario de sortie de crise ? (Tome 2) » pense qu’en plus du jugement, il faut une action d’accompagnement. « Les condamnations sont pédagogiques quand le coupable regrette son crime et décide de se racheter en faisant amende honorable. Dans ce procès des présumés terroristes, le principal défi c’est d’amener les terroristes à regretter leurs crimes et pour cela les condamnations à elles seules ne suffisent pas mais doivent être couplées ou accompagnées d’actions socio-économiques de réparation de la part des condamnés vis-à-vis des victimes. »

A travers ce premier procès, le Burkina Faso a certains éléments pour mieux comprendre les motivations des groupes armées. Depuis 2016, le Burkina Faso compte plus de 2000 morts et plus de 600 attaques. La dernière attaque des groupes armés terroristes, le 18 août 2021, sur l’axe Arbinda-Gorgadji dans le Soum (nord du pays), a fait 80 morts dont 65 civils, selon un dernier bilan officiel. A la date du 31 juillet 2021, le Burkina enregistre plus d’un million (1.368.164) de Personnes déplacées internes (PDI), selon le gouvernement.

Alpha Diallo

*Réalisé avec le soutien du Programme Sahel de l’IMS, financé par DANIDA.

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