Par Caleb Okereke
Lagos, Nigéria – Le Nigéria attend 100 000 premières doses du vaccin Pfizer-BioNTech pour février, d’après Dr Faisal Shuaib, directeur de l’Agence nationale de développement des soins de santé primaires du pays.
Pourtant, l’une des dernières fois que Pfizer s’est lancé dans une administration massive de ses médicaments au Nigeria, il a tué 11 enfants par un traitement expérimental administré sans le consentement des parents. Cette expérience est l’une des raisons du scepticisme de certains nigérians à l’égard des vaccins contre le coronavirus que le pays cherche à se procurer.
La dernière fois que Paul Adebayo a pris un vaccin lorsqu’il était enfant, c’était il y a plus de dix ans. Aujourd’hui, cet enseignant de vingt-quatre ans vivant à Lagos, au Nigéria, déclare qu’il ne prendra pas de vaccin contre le coronavirus lorsque le pays en recevra un.
« Je pense que ces vaccins n’ont pas encore fait leurs preuves », dit-il. « L’efficacité n’a pas été prouvée ».
Le Nigéria a officiellement rapporté plus de 122 000 cas de Covid-19 et enregistré 1 507 décès, bien que ces chiffres soient considérés comme beaucoup plus élevés car les tests ne sont pas aussi répandus.
Une variante du virus a été récemment découverte à Lagos, et le nombre de cas ainsi que le taux de mortalité ont augmenté.
« Dieu nous a protégés, il n’y a pas moyen qu’il nous abandonne à la onzième heure », a déclaré M. Adebayo en réponse à la possibilité de contracter le virus s’il ne prend pas le vaccin.
Adebayo n’est pas le seul à être réticent à se faire vacciner. Seyi*, un cinéaste populaire de Lagos, au Nigéria, partage les sentiments d’Adebayo et pense que les vaccins constituent une entreprise lucrative qui n’a pas été correctement testée.
« Sur combien de personnes a-t-il été testé pour savoir s’il fonctionne ? » dit Seyi. « Il y a juste une bousculade autour. On dirait que c’est une entreprise à but lucratif et que tout le monde essaie de gagner de l’argent au final », a-t-elle expliqué.
Les messages diffusés à la télévision demandant aux gens de ne pas prendre le vaccin ont inondé l’internet ces dernières semaines, tout comme les messages laissant entendre que le vaccin est un outil de l’antéchrist, et que Bill et Melinda Gates étaient en réalité l’incarnation de ce dernier.
L’hésitation du Nigéria à se faire vacciner et la désinformation qui l’entoure trouvent leurs racines dans un passé récent. En 1996, Kano, un État du nord du Nigeria, a connu une épidémie de méningite, la pire d’Afrique à l’époque.
Sans le consentement adéquat des parents, Pfizer (une des entreprises qui fabrique un vaccin contre le coronavirus) a administré un médicament expérimental « Trovan » à 100 enfants, tandis que 100 autres enfants ont reçu de la « ceftriaxone ».
Cinq enfants sont morts du Trovan et six de la ceftriaxone. De nombreux autres ont subi des lésions cérébrales, des troubles de l’élocution ou une paralysie.
En 2003, les dirigeants du nord du Nigéria ont exhorté les parents à ne pas permettre que leurs enfants soient vaccinés contre la polio car le vaccin pouvait être contaminé par des agents anti-fertilité et cancérigènes. Ce conseil est similaire à celui qui, des années plus tard, a entouré le vaccin contre le coronavirus au Nigeria.
« Je pense que la réticence des gens est basée sur le fait que le vaccin a été développé trop rapidement et pourrait être dangereux », dit Ihekweazu, ajoutant qu’il y a également beaucoup de méfiance envers le gouvernement au Nigeria.
« Il doit y avoir une communication systématique avec les Nigérians, au niveau de la base [et] au niveau communautaire, en utilisant des porte-parole de confiance pour communiquer sur la sécurité du vaccin », dit-elle.
Outre la confiance, il y a un problème plus immédiat pour le Nigeria : mettre la main sur les doses de vaccin contre le coronavirus.
Les 100 000 doses de Pfizer devaient initialement arriver en janvier, mais elles sont maintenant attendues en février. Le Dr Shuaib a déclaré dans une interview avec Bloomberg que les vaccins seront acquis par l’intermédiaire de COVAX, une initiative visant à obtenir une distribution équitable et soutenue par l’Organisation mondiale de la santé et d’autres partenaires privés.
Ce premier envoi, selon le Dr Shuaib, est destiné aux travailleurs de la santé du Nigéria en première ligne et aux hauts responsables politiques.
En janvier, le ministre nigérian de la santé a également annoncé que le pays recevrait 10 millions de doses d’un vaccin contre le coronavirus en mars, même si l’on n’a pas précisé quel vaccin est attendu et qui le financera.
Vivianne Ihekweazu, directrice de Nigeria Health Watch, une organisation qui cherche à influencer la politique de santé au Nigeria par la plaidoirie et la communication, déclare que la réponse du pays aux vaccins, comme celle de la plupart des pays, a dû être réactionnaire, tant dans le choix que dans le déploiement des vaccins.
« Historiquement, chaque fois qu’il y a eu une épidémie, il a fallu plus de 10 ans pour mettre au point un vaccin », dit-elle. « Ce que le gouvernement du Nigéria, comme beaucoup d’autres gouvernements, doit faire, c’est chercher les réseaux de distribution qu’ils vont utiliser pour déployer le vaccin ».
Le Nigéria prévoit de vacciner jusqu’à 40% de ses 200 millions d’habitants contre le coronavirus en 2021, mais Ihekweazu pense que même l’objectif de 20% fixé par COVAX n’est peut-être pas réaliste.
« 20% au Nigéria, c’est 40 millions de personnes, alors réfléchissez à la logistique, combien de temps faudrait-il pour vacciner 40 millions de personnes ? », a-t-elle expliqué.
« Le réseau routier au Nigéria n’est pas le meilleur. Nos installations sanitaires sont très fragmentées », a-t-elle déclaré, faisant remarquer que « la deuxième dose est donc un exercice logistique supplémentaire ».
Le stockage est également un problème. Le vaccin Pfizer que le pays attend en premier a des directives de stockage strictes et doit être conservé à une température de -70 degrés Celsius.
Moderna et AstraZeneca offrent la possibilité de températures légèrement plus élevées, le premier doit être stocké à environ -20 degrés et le second entre -2 et -8 degrés.
Alors que le Dr. Shuaib a déclaré que le Nigéria a acquis trois congélateurs ultra-frais pour stocker le vaccin Pfizer attendu le mois prochain, il a ajouté que le gouvernement prévoit d’obtenir des vaccins contre le coronavirus qui sont plus faciles à stocker à long terme.
L’électricité pour alimenter ces congélateurs reste également une préoccupation. Le Nigéria a une puissance installée de 12 522,0 MW, mais seulement 1 864 MW sont distribués aux nigérians et plus de 95 millions vivent sans électricité.
Il y a deux semaines, les autorités sanitaires du Nigéria ont mis en garde contre la circulation de faux vaccins contre le coronavirus qui, selon elles, étaient déjà présents dans le pays. Le marché noir des tests Covid-19 a connu un essor l’année dernière.
Il reste à voir comment le Nigeria va surmonter les obstacles liés aux vaccins contre le coronavirus, mais une chose est sûre pour Seyi, elle ne le prendra pas.
« Je pense que la science doit commencer à traiter le corps de chacun individuellement un peu plus que ce truc générique qu’elle fait et qui nous regroupe tous. Nous ne pouvons pas tous être les mêmes », a-t-elle déclaré.
*Le nom de Seyi a été changé pour protéger son identité.