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Covid-19 au Mali: l’analyse du sociologue Aly Tounkara

Après l’annonce des deux premiers cas de la maladie à coronavirus, le Mali a pris certaines mesures comme l’instauration du couvre-feu. «Un tel couvre-feu me paraitrait limité en terme d’impact positif pour contrer ce fléau», indique l’enseignant chercheur. Il répond aux questions de Sahelien.com.

L’instauration du couvre-feu est-elle, selon vous, une mesure efficace pour lutter contre la pandémie?

Un tel couvre-feu me paraitrait limité en terme d’impact positif pour contrer ce fléau. Dans le contexte malien, les retrouvailles qu’elles soient sociales, culturelles ou religieuses sont un témoignage éloquent du degré d’affection, de solidarité et de cohésion. Comment dans un tel Etat, un couvre-feu pourrait permettre à l’Etat de s’assurer de la maitrise de la pandémie. A mon entendement, l’idée est à saluer, mais quand on l’interroge en terme d’efficacité, en terme d’utilité, malheureusement, le couvre-feu ne peut pas constituer une solution palliative à cette pandémie. On sait pertinemment que le Mali vit dans un état d’urgence de 2015 à aujourd’hui. Lequel état d’urgence n’a aucunement empêché tous ces cortèges liés aux mariages, aux baptêmes à d’autres formes de retrouvailles. Une des difficultés qu’éprouverait l’Etat central du Mali à comment imposer son diktat au peuple, malheureusement cette légitimité à recourir à la violence, à la force qui est propre à tout Etat. Cette violence légitime, malheureusement dans le contexte malien, l’Etat peine à l’asseoir, l’Etat peine à imposer ce marqueur sur l’ensemble des populations. De ce fait, le couvre-feu du point de vue institutionnel est à saluer, mais du point pragmatique, en terme d’utilité, en terme de cohérence au regard de ce qu’on a connu malheureusement, ses impacts seraient tout à fait limité, le fait de pouvoir contenir ce virus qui est déjà présent sur le territoire.

Dans le contexte malien, pensez-vous qu’on puisse aller vers un confinement, comme ça se passe dans beaucoup de pays ?

Confiner le peuple malien, c’est de le pousser à assister à ses propres funérailles. Quand vous regardez aujourd’hui, le quotidien auquel le Malien, l’écrasante majorité font leur budget. Les gens vivent au quotidien, il faudra qu’on travaille le lundi pour assurer le condiment du mardi. Un tel peuple qui serait dans une misère absolue, comment peut-on avancer l’hypothèse de confinement. Je pense fondamentalement qu’il y a un effet domino. C’est vrai qu’ailleurs on n’en fait, donc rien d’étonnant que l’idée soit proposée aux populations maliennes. Mais fondamentalement le confinement dans le contexte malien, tout laisse entendre qu’il est impossible. Au delà des retrouvailles liées au social, au culturel, au confessionnel, il faut le rappeler, les différents moyens de transport, les différentes activités qui sont exercées par l’écrasante majorité des populations sont des éléments très probants qui laissent entendre que l’hypothèse du confinement ne peut être aucunement soutenue dans le contexte malien au regard de ces différentes réalités. Lesquelles réalités font que les gens vivent au jour, le jour. Vous voyez à combien, l’effet domino, le fait que l’occident l’a fait, de vouloir aussi l’implémenter dans le contexte malien me paraît une méconnaissance du quotidien des Maliens, me paraît à la limite un déni de l’évident. En aucun moment, en aucune circonstance, au nom d’aucune épidémie, on ne peut procéder à un confinement de communautés aussi fragilisées, de communautés qui vivent dans une misère absolue.

En tant que sociologue, quelle solution peut-on envisager dans ce cas ?

Je pense fondamentalement, ce que les gens doivent garder à l’esprit, au-delà des contraintes objectives liées à la non-possibilité de confinement, de comprendre les mesures sanitaires, certes annoncées sont avant tout personnelles.  Laver ses mains, ne pas serrer les mains d’autrui, s’éloigner d’autrui dans la mesure du possible. Ça, ce sont des choses qui sont à la portée de chaque individu. Que les gens comprennent respecter les mesures sanitaires, on ne le fait pas pour le président de la République, on ne le fait pour aucune autorité. Moi, je peux comprendre aisément qu’on peut rompre avec nos habitudes de grin, de baptême, de funérailles, d’ailleurs même de mariage. Il faut que les gens comprennent que toute modification profonde touche impérativement à ce qu’on peut appeler l’ordre social établi. A un moment donné de l’histoire, il faut accepter que l’ordre soit contesté. Aujourd’hui, ne pas se rendre à un baptême, ne pas se rendre à un lieu de funérailles, ne pas se rendre à un mariage, certes, cela peut être perçu par l’autre comme une non manifestation de solidarité. Mais au regard des exigences sanitaires, sécuritaires et même de fragilité du système sanitaire, je pense que s’abstenir de se rendre à ces différents lieux mentionnés me paraît aussi une des solutions aussi qui restent à la portée de tout le monde.

Propos recueillis par Sory Kondo