Par Aïda Dramé
Près d’un an après le début de la pandémie, la mise au point de vaccins en un temps records est porteuse d’espoir pour certains, et de risque pour d’autres. Alors que les pays occidentaux se ruent vers les vaccins Pfizer et Moderna, plusieurs pays africains semblent, pour l’instant, se tourner vers le vaccin chinois Sinopharm. Après les Seychelles, le Zimbabwe, l’Égypte, la Guinée équatoriale et le Maroc, place au Sénégal qui a débuté il y a trois semaines sa campagne de vaccination avec 200.000 doses de ce vaccin.
Entre enthousiasme et scepticisme, la polémique est manifeste au sein de l’opinion publique.
Chez une frange de la population, la nouvelle est accueillie positivement. « C’est le collectif qui doit primer sur l’individu. Il ne s’agit pas que de « moi ». Il s’agit de mes parents qui sont âgés. Je pense d’abord à leur bien-être, a déclaré un internaute du nom de Moussa, lors d’un direct sur Instagram. Rien que pour cette raison, je me ferai vacciner et inciterai [tout le monde] à le faire sans plus tarder ».
Bigué Marcelle, chef de projet au centre de recherche Legs Africa est du même avis. « Je crois qu’il faut se vacciner plutôt que de jouer à la loterie avec le virus, affirme-t-elle. Je suis d’accord que ce dernier est politisé, mais aujourd’hui c’est la seule solution efficace qu’on a. ».
Babacar Lo, étudiant au département de sociologie à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, est assez choqué par la réticence de certaines personnes à se faire vacciner. « Cela me surprend que cela puisse être l’objet d’un débat, a-t-il lâché. Lorsque vous aurez un membre de votre famille qui va décéder des suites de la Covid-19, vous n’hésiterez pas à vous faire injecter ces doses ».
Mohamed Dieng, médecin à l’hôpital Aristide le Dantec, confie quant à lui : « Des études scientifiques sérieuses et concluantes ont été réalisées. En tant que personnel de santé, la concurrence des laboratoires ne nous intéresse pas. Tout ce qui nous intéresse, c’est de prévenir cette maladie et d’arrêter cette hécatombe. Pour le bien-être du plus grand nombre, vaccinons-nous ».
Au-delà des théories du complot renforçant la désinformation qu’on observe çà et là, spéculant entre autres que les vaccins contre la Covid-19 ont été conçus pour stopper la croissance démographique africaine, la méfiance de certains sénégalais est en partie alimentée par le fait qu’il y avait une familiarité déjà observée avec la chloroquine. Un peu après le début de la pandémie au Sénégal, de nombreuses pharmacies étaient en rupture de stock de ce médicament, tant la demande était intense après les déclarations du Pr. Didier Raoult sur ses bienfaits dans le traitement du coronavirus.
D’après Alice Desclaux, médecin anthropologue au Centre Régional de Recherche et de Formation à l’hôpital de Fann à Dakar, cela s’explique par le fait que ce médicament a déjà été utilisé par bon nombre d’Africains durant leur enfance, en plus d’être perçu comme relevant de la « catégorie des phytoremèdes africains ». « Elle est souvent considérée, à tort, comme issue de la quinine, et comme similaire à d’autres remèdes végétaux décrits aujourd’hui comme des traitements traditionnels africains du paludisme (Azadirachta indica, Artemisia) », explique-t-elle, dans son étude ‘Covid-19 : En Afrique de l’Ouest, le vaccin n’est pas le nouveau magic bullet’.
En plus, rajoute la médecin, « bon nombre de médias le présentaient comme un médicament validé sur le plan scientifique en Afrique. Les médecins ou pharmaciens qui ont exprimé une mise en garde face à sa promotion comme anti-Covid, très minoritaires, n’ont pas créé de controverse publique ».
Quoiqu’une étude dirigée par Raoult lui-même avait conclu que l’usage de chloroquine n’a pas changé « les besoins en oxygénothérapie, le transfert aux soins intensifs et le décès » dans les patients traités, dans l’imaginaire sénégalais la chloroquine constituait le remède idéal. Alors que concernant les vaccins, certains ont l’impression d’être des « cobayes ».
Certaines personnes, un peu moins méfiantes, fustigent davantage le manque de communication du gouvernement que la fiabilité du vaccin.
« Pour quelle raison je vais me faire vacciner alors que je ne connais même pas les tenants et les aboutissants ? Notre président se devait au moins d’assurer une communication effective à ce propos mais il ne l’a pas fait, je ne vais pas me lancer dans l’inconnu », indique une femme de ménage prénommée Awa. Un avis partagé par Dr. Elhadj Mbaye, consultant auprès de l’Organisation mondiale de la santé, qui estime que « le problème n’est pas le vaccin mais la communication autour de celui-ci ». « Les gens ont besoin d’être écoutés et d’avoir des réponses à leur questions, précise-t-il, ce qui n’a pas été assez fait ».
Cela étant dit, Souleymane, étudiant en cinquième année au département de pharmacie à l’école Saint Christopher pense qu’en fin de compte, « malgré toute cette polémique, on se fera tous vacciner tôt ou tard ».