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Djenné: comment un jeune forgeron prône les valeurs ancestrales pour faire parler des groupes armés

Depuis le début de l’année, les pourparlers qui étaient en cours entre les différents groupes armés de la localité de Djenné ont abouti à la signature d’un accord de cessez-le-feu le 1er août dernier sous l’égide du Centre pour le dialogue humanitaire et grâce à la médiation d’un jeune forgeron qui a toujours œuvré pour le retour de la paix dans sa localité. Depuis, la libre circulation des personnes et des biens est une réalité. Les foires hebdomadaires arrêtés pendant plus de deux ans dans certains villages reprennent timidement mais quelques cas de violation de l’accord sont à signaler.

En cette période de crue, l’accès à la ville de Djenné reste très difficile. Les travaux du barrage-pont devant relier l’est et l’ouest de la ville ont pris du retard suite à une attaque le 08 mars 2018. Des groupes électrogènes et autres engins lourds ont été brûlés sur le chantier. Les travaux ont repris après une opération de sécurisation de la zone par les Forces armées maliennes (FAMa). A moins donc de passer par Dioro (région de Ségou), il faut impérativement traverser les cours d’eau qui entourent la ville soit par bac ou par pirogue. De quoi créer une activité temporaire pour des jeunes en quête d’emploi comme Ali, 24 ans, originaire de Djafarabé. Il passe ses journées dans sa petite pirogue à moteur accostée de l’autre côté de la rive.

Dès qu’ils aperçoivent un véhicule, Ali et ses camarades accourent pour proposer aux passagers, la traversée contre la somme de 200 francs chacun. « Le bac ne travaille pas la nuit, c’est donc l’occasion pour nous de gagner un peu plus d’argent. Les gens sont obligés de garer leurs véhicules ici et revenir les chercher dans la journée pour les faire traverser par bac», explique-t-il. Selon Ali, son gain journalier varie entre 5 et 10.000 francs et qu’ils sont une dizaine à faire ce métier à chaque période de crue.

« Un pacte de non-agression »

A Djenné, nous avons rendez-vous avec Komani Konaté. Depuis le début de la crise, ce forgeron s’appuie sur les valeurs ancestrales pour faire la médiation entre les parties en conflit. Les pourparlers entre les différents groupes armés de la localité ont abouti à la signature d’un accord le 1er août 2019 sous l’égide du Centre pour le dialogue humanitaire et aussi grâce à la médiation de ces hommes dont le travail n’est pas toujours mis en avant, à l’image de Komani Konaté. Ce quadragénaire est très connu dans le cercle de Djenné pour les actions qu’il entreprend dans le cadre du retour à la paix dans sa localité. « Je suis forgeron, donc j’ai la légitimité de parler avec tous les groupes armés de la localité qu’ils soient Peuls, Bambara ou même Dogon. Ils m’écoutent tous parce que je suis leur serviteur et leur forgeron », se réjouit-t-il. Et de poursuivre : « ici, plusieurs familles peulh étaient parties, mais nous avons fait en sorte qu’elles reviennent et regagnent leur maison. Aujourd’hui, elles sont très nombreuses à revenir sans être inquiétées

Komani Konaté a également contribué à la libération d’otages dans le cercle de Djenné, qu’ils soient Donso ou civils. L’accord signé le 1er août fut officialisé quelques jours plus tard lors de la visite du Premier ministre, Dr Boubou Cissé. Selon Komani, cet accord est le résultat de plusieurs mois de négociations, « mais la visite du Chef du gouvernement a failli créer un problème. C’est quand le Premier ministre est arrivé à Djenné que nous avons fait en sorte qu’il soit mis au courant que le conflit qui sévit dans notre cercle entre le groupe Donso et djihadistes, nous agriculteurs et éleveurs peulh. Nous avons fait la paix, si les autorités n’ont pas pu faire leur travail pour nous réconcilier, c’était à nous de trouver la solution. C’est cet accord que nous avons présenté au Chef du gouvernement. Mais nous avons entendu par la suite qu’il est venu à Djenné réconcilier les parties», indique-t-il.

Un autre point soulevé par notre interlocuteur est le processus de DDR (désarmement, démobilisation et réinsertion). « Le Premier ministre disait qu’après son départ, les travaux de DDR vont commencer. Nous lui avons clairement dit que pour le moment, nous ne sommes pas dans la logique du DDR. Nous avons parlé de cessez-le-feu et le reste suivra.  À notre grande surprise, les militaires ont commencé ce même jour à retirer les armes des Donso. Nous avons parlé avec le chef du gouvernement, moi-même, je suis encore le médiateur donc les Donso ont pu récupérer leurs armes », souligne-t-il.

Komani Konaté reconnait des limites et admet que malgré ses efforts, le conflit est loin d’être fini. Les écoles sont toujours fermées dans beaucoup de localités et c’est grâce souvent aux Donso que certains établissements parviennent à ouvrir, précise-t-il. Au Mali, 920 écoles restent fermées privant 276.000 enfants d’éducation d’après le dernier rapport du Bureau de la coordination des Nations unies (OCHA).

Les chefs religieux et coutumiers jouent également leur partition

Dans la ville de Djenné, les notabilités ne ménagent aucun effort pour le retour de paix et la cohésion sociale selon l’imam de la grande mosquée, Alphamoye Djeyté. « Quand le problème du Centre est survenu, nous avons beaucoup œuvré pour la paix en faisant des prières, des conférences et d’autres initiatives pour le retour de la paix. Ce qu’il faut, c’est de se dire la vérité et de craindre Dieu. Chaque lundi et vendredi, on se réunit pour faire des bénédictions », indique l’imam. Il ajoute que la situation s’est améliorée suite à l’accord. « Nous sentons la paix dans la ville, parce qu’avant et aujourd’hui ne sont pas pareils. Il était difficile avant de parcourir un à deux kilomètres hors de la ville sans être inquiété. Mais aujourd’hui, même une femme seule, peut se promener de ville en ville, de jour comme de nuit. On sent les bénéfices de l’accord parce que la foire hebdomadaire est plus fréquentée aujourd’hui qu’avant ». Il prône le règlement pacifique du conflit et le retour aux valeurs.

Pour le chef du village, « rien ne vaut la paix, si les gens s’entendent, tout ira bien ». Ce conflit, selon lui, les a surpris. «On ne l’a pas cherché et on ne s’y attendait pas non plus. Ça été une surprise. Tout ce que nous faisons aujourd’hui pour qu’il y ait la paix et la cohésion sociale, c’est d’aider les jeunes dans leur travail pour qu’ils puissent gagner leur vie, et qu’on restitue aux chefs de village leur pouvoir d’antan. Nous faisons des bénédictions nuit et jour pour le pays et des sacrifices sans l’aide de personne », dit-il.

Le mercredi 16 octobre, notre rencontre avec des jeunes guides touristiques – désormais au chômage à cause de la situation qui prévaut- à côté de la mosquée de Djenné a coïncidé avec le passage des hommes en tenues de chasseurs Donso. Seuls ou à deux sur des motos et avec leurs fusils et amulettes, ils se dirigeaient vers la sortie de la ville. Après renseignement, nous avons appris que les Donso des communes et cercles de Djenné avaient une assemblée générale dans un village situé à  environ 16 km de la ville. C’est ainsi que nous avons décidé de les rejoindre.

Dans la « tanière » des Donso

Sur place, nous n’avons pas eu de difficultés à les approcher. Ils étaient plus d’une centaine à se réunir dans un endroit relativement boisé. C’est le brouhaha, des éclats de rire, bref, l’ambiance était bon enfant. Mais au-delà de tout ce vacarme, ces hommes armés sont sur le qui-vive.

Assis sur une natte et adossé à un tronc d’arbre, le chef des Donso de cette localité (Donsoba) Mamadou Sagara revient sur les raisons qui les ont poussés à prendre les armes. « Le conflit a commencé quand ils (djihadistes) sont venus ici pour prêcher. Cela n’a pas été un problème, mais c’est lorsqu’ils voulaient entrer dans nos mosquées avec leurs chaussures et armes que nous avons refusé parce qu’il n’y a pas ça chez nous. Nous nous savons que cela ne fait pas partie de la religion puisqu’on est né trouver la religion ici. Chez nous à Djenné, personne ne peut prétendre venir nous apprendre la religion parce qu’elle existe ici, il y a très longtemps depuis plus de 1500 ans » a-t-il expliqué. Et d’ajouter: « c’est comme ça que tout a commencé, un jour très tôt le matin, ils sont venus nous dire qu’ils vont détruire notre village. On a dit qu’on n’est pas d’accord et qu’on va se lever et si on se lève, ça ne va pas être  facile. On a informé tout le monde ici et ailleurs et ceux de Kouakourou. Tout le monde est sorti et quand ils nous ont vus, ils ont pris peur ».

Depuis ce moment-là, souligne Amadou Diarra, l’un des leaders des Donso de Gania, « on a remarqué que quand nos gens vont  au champ, ils sont enlevés. Quand ils vont en brousse pour chercher du bois, ils disparaissent. Certains font un jour, d’autres deux jours avant d’être relâchés. Certains ne sont plus retrouvés ». Et de poursuivre: « c’est  ce qui nous a poussé a convoqué une réunion pour en discuter et de convenir que ces évènements nous dépassent. C’est à la suite de cela que nous nous sommes organisés. Après, ces mêmes individus armés sont revenus nous dire de fermer les écoles et d’autoriser seulement les médersas (écoles coraniques), de se débarrasser de tout ce qui a trait avec les Blancs sinon, on ne pourra pas être en bons termes avec eux… C’est ainsi que nous avons dit qu’on ne fermera pas nos écoles et on a commencé la sécurisation de notre zone tout en ripostant aux attaques. Ils ont voulu s’en prendre à nous mais on les a chassés. Ils ont tiré sur nous en tuant deux de nos personnes et blessant trois autres. »

Selon Sagara et Diarra, la goutte d’eau qui a fait déborde le vase, c’est lorsque les djihadistes sont allés couper la route aux participants de la traditionnelle cérémonie de pêche collective au marigot de leur village. « Une fois, nous avons fait une semaine, du dimanche au dimanche à les combattre sans répit et chaque jour on enterrait nos morts. C’est à la suite de tous ces agissements que nous avons érigé des camps partout pour nous défendre », relate Amadou Diarra.

Les Donso confirment qu’il existe bel et bien un accord de cessez-le-feu entre eux et les djihadistes. « Quand ils ont vu leur force affaiblie face à nous, ils ont demandé un cessez-le-feu et à mettre fin aux enlèvements de nos animaux et vice versa. Mais qu’on arrête de nous interposer entre eux et les autorités, étant donné qu’au départ, ils ont affirmé qu’ils ne nous combattaient pas et que ce sont les autorités qui sont les cibles. Ils ont chassé le commandant des eaux et forêts et ensuite se sont retournés contre nous. Compte tenu de tout ça, on a demandé comment peut-on dialoguer parce que les autorités sont des nôtres », souligne Amadou Diarra.»

S’il y a une accalmie dans la ville de Djenné, ce n’est pas le cas dans plusieuros localités de la région du Centre du Mali où le nombre de personnes déplacées internes fuyant les violences a quasiment quadruplé entre mai 2018 et mai 2019, selon OCHA-Mali.

Sory Kondo

*Réalisé avec le soutien du Programme Sahel de l’IMS, financé par DANIDA.