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Extorsion et Covid-19 : des nigérians tentent d’enregistrer leurs numéros d’identité nationaux

Par Ope Adetayo

Le 15 décembre 2020, la Commission nationale nigériane a émis une directive selon laquelle toutes les cartes SIM doivent être reliées au numéro d’identification national (NIN) du propriétaire avant la fin de l’année, afin de renforcer la sécurité numérique.

Cette directive émise à la hâte a déclenché une ruée nationale pour enregistrer les numéros NIN dans des foules importantes au milieu d’une pandémie qui s’aggrave, et a donné l’occasion aux responsables gouvernementaux d’extorquer des millions de nigérians.

À l’époque, seuls 42 millions des 198 millions d’utilisateurs actifs de lignes mobiles disposaient d’un NIN, selon une déclaration de la ‘’’National Identity Management Commission (NIMC)’’, l’agence gouvernementale chargée de gérer l’enregistrement des identités. Le processus d’enregistrement d’un numéro est long et fastidieux et peut durer jusqu’à quatre ans.

Precious Obiorah, étudiante à l’université, a cherché son NIN le 2 janvier 2021 dans une église de Festac, à Lagos, utilisée pour accueillir le surplus de monde du lieu d’enregistrement du conseil du gouvernement local.

Elle a tenté de s’inscrire après que le ministère de l’information ait prolongé le délai initial de deux semaines. C’était la première des nombreuses fois qu’elle se rendait sur place dans l’espoir de se procurer son numéro d’identité.

La procédure est censée être gratuite, mais l’expérience des millions de nigérians qui essaient de respecter les délais serrés en dit autrement.

« Avant que je n’y aille, la personne qui m’a envoyée à l’endroit m’a déjà dit que je paierais 2000 nairas (5 dollars), donc j’avais consciemment accepté de payer parce qu’ils n’allaient pas m’enregistrer sans que je ne le fasse », a déclaré Obiorah. « L’autre endroit que je connais, ça coûte 8000 nairas (20,50 $) et vous revenez pour l’enregistrement des semaines plus tard ».

Interrogés sur les allégations d’extorsion et sur l’effet de l’enregistrement de masse en cours sur la lutte du pays contre le coronavirus, les responsables du NIMC n’ont pas répondu.

Diverses images des lieux d’enregistrement montrant une foule—au mépris total des protocoles sanitaires établis par le Centre national de contrôle des maladies—ont fait surface sur le net. Les experts ont tiré la sonnette d’alarme concernant une explosion de cas de coronavirus si l’enregistrement du NIN se poursuit. Cependant, le ministère de l’Information a insisté pour continuer cette activité, trahissant un manque de synergie entre les agences gouvernementales.

Le 2 février, le NIMC a prolongé l’enregistrement jusqu’au 6 avril, mais la panique générale que le processus a déclenchée ne s’est pas encore calmée. Dans la même déclaration, la commission a indiqué que le nombre de NIN collectées par les opérateurs de réseaux mobiles a atteint 56,18 millions.

Si le renforcement de la sécurité du pays a été cité parmi les raisons pour lesquelles le processus d’inscription des NIN doit se poursuivre indépendamment de la pandémie, la relation du Nigéria avec la gestion des données connaît une inefficacité durant depuis des décennies.

Confronté à un manque permanent d’infrastructures numériques, chaque gouvernement nigérian successif a trouvé qu’il était presque impossible de disposer des données d’environ 200 millions de citoyens. « L’état du manque de données précises au Nigéria est tel que même le président ne connaît pas la taille des populations du pays », écrivait le journaliste Yomi Kazeem en 2019.

Afin d’éviter de se rendre plusieurs fois au centre d’enregistrement comme Obiorah, début janvier Alabi Dayo*, un imprimeur indépendant résidant à Lagos dont le nom a été changé sur sa demande d’anonymat, a choisi de verser les 7000 nairas (17,9 dollars) demandés aux responsables du bureau du conseil local d’Agege à Lagos. Ayant besoin d’effectuer une transaction bancaire urgente à l’endroit où la fourniture du NIN est désormais obligatoire, il n’avait guère le choix.

« Ce n’est pas facile avec la foule, j’ai dû utiliser la connexion », a-t-il admis. « Les gens sans connexion et sans argent ont du mal à le faire. Tout le conseil n’avait qu’un ordinateur portable et une imprimante, c’était très lent », a-t-il dit. Après le paiement, il a pu obtenir son NIN le jour même.

Des histoires de corruption comme celle d’Alabi ont suivi le processus à l’échelle nationale tandis que le gouvernement n’est pas intervenu. Alors que des milliers de personnes font la queue pour obtenir leur NIN, l’extorsion se poursuit sans contrôle.

« La question de la corruption massive pendant l’exercice d’enregistrement aurait été carrément évitable si les autorités avaient mis en place des mesures appropriées avant de se lancer dans cette politique », a déclaré Festus Ogun, analyste juridique et militant des droits de l’homme.

« Pour ne rien arranger, les cas d’extorsion et de corruption sont une mise en accusation directe du gouvernement nigérian ».

Dans un avis public publié sur Twitter, le NIMC a réitéré que l’inscription est gratuite et que tout fonctionnaire pris en train d’extorquer est passible de « sept ans d’emprisonnement ». Mais aucun État du Nigéria n’applique cette disposition. « Cela montre complètement que le gouvernement n’est pas sincère dans sa lutte contre la corruption », a déclaré M. Festus.

Obiorah a déclaré que le pasteur qui avait fait en sorte que l’église soit utilisée pour accueillir le surplus de monde n’a pas été surpris par l’extorsion. « Il a mentionné que la police nigériane vous dira que la caution est gratuite mais que lorsque nous nous rendons au poste de police, nous payons quand même et personne ne dit rien. Il a dit que nous ne pouvons pas faire de rapport car il n’y a même pas de reçu ».

Quatre semaines après avoir payé, Obiorah n’a toujours pas reçu son NIN.