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Fleuve Niger : un patrimoine en péril

Changement climatique, pollution, rareté des ressources, ensablement, dragage, les menaces qui pèsent sur le fleuve Niger au Mali sont nombreuses.

Sur les berges du fleuve Niger à Bamako, Abba Tiemanta prépare sa journée de pêche. Avec ses enfants, ils remettent en état leurs filets de pêche en espérant avoir quelques prises, car depuis un moment, leur quotidien est bouleversé à cause de l’ensablement et la pollution du fleuve Niger. « Actuellement à Bamako, ceux qui sont installés au bord du fleuve surtout, au centre de Bamako, veulent le détruire. Quand je venais ici, on buvait l’eau du fleuve, mais actuellement, pour boire cette eau, on a peur en voyant ce qui descend dans le fleuve », déplore-t-il. Et d’ajouter : « ce que je gagnais avant et aujourd’hui, c’est différent ».

Les menaces qui pèsent sur le fleuve brisent, chaque jour, des espoirs avec la rareté des espèces aquatiques. Les actions posées par les populations riveraines, notamment le rejet des déchets solides et même l’occupation anarchique des berges du fleuve révoltent le pêcheur Adama Kounouta. « Qui connaît le nombre exact de poissons dans l’eau ? Mais, pourquoi ils ne grandissent pas, alors que chaque année, ils pondent. Les plastiques, les eaux usées tuent les poissons. Bamako est devenu un dépotoir ! Les eaux usées, les poisons qu’utilisent les cultivateurs, tout cela descend dans le fleuve », s’offusque-t-il.

Au Centre de teinturerie artisanale de Djandiguila, Habi Bakaoyoko est consciente de la menace. « On versait les eaux usées dans la rue, les gens se sont plaints. On est donc venus au centre de teinturerie. On les verse maintenant dans un bassin et elles sèchent ici. Mais, celles qu’on verse par terre descendent directement dans le fleuve », reconnait la teinturière.

Une triste réalité que vivent depuis, les pêcheurs Bozo, dont l’activité principale reste la pêche. D’autres activités comme l’agriculture, l’élevage, la navigation et le tourisme sont également menacées dans le bassin du fleuve Niger, long de plus de 4000 kilomètres dont 1700 au Mali.

Selon une étude sur le fleuve Niger dirigée par Sidi Ba, enseignant chercheur à l’Ecole nationale d’ingénieurs de Bamako (ENI-ABT), environ 58 collecteurs déversent leur contenu dans le fleuve Niger, le transformant ainsi en un dépotoir sans oublier les menaces naturelles. « Nous sommes dans un contexte de changement climatique et de réchauffement planétaire. La conséquence, c’est que depuis les années 1970, les années de grande sécheresse, le fleuve a perdu entre 20 à 40% de ses débits, c’est-à-dire la quantité d’eau qui coule selon les sections du fleuve. Cela veut dire qu’il y a une bonne partie de l’eau qui se perd par l’évaporation et c’est le cas quand on est dans le delta intérieur du fleuve Niger dans la zone de Macina jusqu’à Tombouctou », explique M. Ba.

Pour ce qui concerne les actions de l’homme, « Bamako est conçu de sorte que toutes les eaux usées de la ville qui passent par des collecteurs (les grands canaux à ciel ouvert) aboutissent au fleuve. Normalement, dans une ville bien développée, ces eaux auraient dû être traitées d’abord afin de diminuer les charges de pollution avant qu’elles ne soient jetées dans le milieu naturel. Mais à Bamako, ces eaux brutes sont directement déversées dans le fleuve Niger ». Et de préciser que « toutes les villes le long du fleuve que vous soyez à Kankan (Guinée), à Mopti ou Gao (Mali), à Niamey ou Tillabéry (Niger), vous allez au Nigeria, toutes les grandes villes comme Onitsha, Lokoja, Kaduna, toutes ces grandes villes déversent directement les eaux usées et les déchets solides dans le fleuve.»

La santé en danger

Au Mali, des textes ne manquent pas pourtant. Selon le décret N°01 395/P-RM du 06 septembre 2001 fixant les modalités de gestion des eaux usées et gadoues, « les eaux usées déversées, dans les cours d’eau, dans les égouts publics ne doivent contenir aucun gaz dissous inflammable ou explosif. » Les conséquences qui découlent du non application des textes sont nombreuses. « Si les eaux ne sont pas traitées, elles ont des conséquences diverses. Il y a le problème d’épidémie, les maladies d’origine hydrique, et le grand problème, c’est la pollution même du fleuve Niger quand ces eaux ne sont pas traitées et sont directement déversées dans le fleuve. Cela peut être un grand danger dans le fleuve, qui aura un impact sur les animaux aquatiques, notamment la faune et la flore », souligne Sidi Yéhiya Maïga, Directeur adjoint de l’Agence pour la gestion des stations d’épuration du Mali (ANGESEM).

 « D’après l’Organisation mondiale de la Santé, 80% des maladies infectieuses dans le monde sont des maladies d’origine hydrique. Vous et moi, on est à Bamako ici, on a le robinet à la maison. Mais combien de campements, combien de villages utilisent directement l’eau du fleuve encore pour leur boisson, cuisine et tout ? Donc ça veut dire que chaque fois qu’on continue de polluer l’eau, on met en péril la santé de la population riveraine de ce fleuve. Et je vous assure que nous-mêmes qui avons l’eau traitée, plus la charge de pollution augmentera, moins efficace sera le système de traitement en ce moment. Donc, nous pouvons bien avoir des contaminations de l’eau du fleuve si la pollution continue à s’accroître », ajoute l’enseignant chercheur Sidi Ba.

La diminution des ressources en eauva engendrer d’autres problèmes, poursuit-il. « La croissance démographique avec la diminution des ressources en eau à cause du changement climatique va augmenter la pression en ressources sur nous, et d’autres ressources liées à l’eau, c’est-à-dire les terres inondables et même la biodiversité (les oiseaux et toutes les autres espèces aquatiques). Ce qui pourra va même aboutir des conflits. Et je vous assure que les conflits qu’on a au Centre du pays, sont souvent liés à l’accaparement des ressources dépendant du fleuve Niger. »

Que faire ?

Pour limiter les dégâts, beaucoup d’actions sont à entreprendre sur le terrain, en plus des textes dont l’application peine à être effective. « Ce que nous menons, c’est des actions d’aménagement des berges. Il y a aussi la mise en place des mécanismes dans le cadre du principe préleveur-pollueur-payeur. Si nous prenons simplement l’aspect prélèvement, il y a beaucoup d’offices de développement ou des sociétés d’exploitation qui prennent de l’eau de l’eau et qui vendent à des tierces personnes ou à des consommateurs, mais qui, aujourd’hui, ne rétrocèdent rien dans le cadre de la sauvegarde du fleuve. Il y a aussi des situations de pollution pour lesquelles les pollueurs ne sont pas mis à contribution pour réparer leurs dégâts. Donc, on ne peut pas rester dans l’expectative. Il faudrait que nous ayons des moyens législatif et réglementaire pour essayer de mettre à contribution, à la fois, les préleveurs et pollueurs dans le cadre de la sauvegarde du fleuve », indique Moussa Diamoye, Directeur adjoint de l’Agence du bassin du fleuve Niger (ABFN).

En plus des moyens législatifs et règlementaires pour sauver ce patrimoine fluvial sur lequel repose l’économie de plus de 80% des populations riveraines, il faut aussi le civisme. « Le sachet d’eau qu’on jette par terre et qui se retrouve dans le fleuve contribue à la pollution du fleuve. Pour éviter justement que chacun pollue ce fleuve-là, c’est de mieux traiter nos ordures. En tant que citoyenne, je devrais avoir la conscience du traitement du déchet. Le remplissage des caniveaux par les ordures ménagères, en le faisant, on ne se rend pas compte qu’on entrave à un patrimoine qui nous sauve la vie, parce qu’avoir un fleuve est une bénédiction de Dieu. En tant que citoyenne, c’est dans mes gestes du quotidien de faire attention à mieux préserver ce que j’ai de plus cher, qui est ce patrimoine fluvial qui m’est donné par Dieu », rappelle Dia Yaye Sacko, membre de la plateforme Save Fleuve Niger.

Mody Kamissoko, Augustin K. Fodou, Oumou Dagnogo, Hawa A. Coulibaly

*Réalisé avec le soutien du Programme Sahel de l’IMS, financé par DANIDA.

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