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Gouvernance au Mali : L’influence décisive du religieux

Au Mali (Etat laïc), le religieux fait de plus en plus une intrusion dans la sphère politique. Nous nous sommes intéressés à la situation à travers une enquête dans divers milieux, notamment religieux, société et politique.

C’est un fait réel que les leaders religieux drainent d’importantes foules et il est de notoriété qu’ils sont faiseurs de rois aux plus hautes charges de l’Etat. Les meetings politiques n’arrivent plus à susciter autant d’enthousiasme.

Les principaux leaders religieux musulmans (le pays est à 90 % de cette confession) du Mali remplissent aisément les grands stades pour chacun de leurs meetings. Surtout lors de la célébration des fêtes religieuses musulmanes comme le Maouloud (naissance et baptême du Prophète). Ils finissent par tirer de cette popularité une place prépondérante dans les choix politiques majeurs.

Pour l’opinion publique nationale, le candidat Ibrahim Boubacar Kéita (IBK) n’aurait pas réussi à se faire élire président de la République en 2013, si les leaders religieux ne l’avaient pas aidé.

Le président du Groupement des leaders religieux, Ousmane Cherif Madani Haïdara confirme ce constat. Selon lui, la campagne électorale d’IBK, pour la présidentielle 2013, a commencé dans son salon. « Et aujourd’hui, il s’éloigne de nous », déplore-t-il, faisant allusion à l’absence du chef de l’Etat à la récente célébration de la fête du Maouloud dans le plus grand stade du Mali.

A la veille des fêtes de fin d’année le gouvernement a décrété l’état d’urgence pour 10 jours et prolongé plus tard, de trois mois (il court jusqu’au 31 mars prochain). « Personne, aucun pouvoir ne peut nous empêcher de célébrer notre Maouloud », a martelé le leader religieux. Laissant entendre que si l’Etat a décrété l’état d’urgence, c’était pour « saboter » la célébration de cette fête musulmane, à laquelle un courant dans l’islam (les wahabites) n’est pas favorable.

Et le prêcheur Haïdara de regretter que le président prenne ses distances des leaders religieux, qui l’ont pourtant soutenu pour qu’il arrive au pouvoir. Des propos qui seront suivis, quelques jours plus tard, par une « rencontre de compréhension en tête à tête » entre le guide religieux et le président de la République.

Pour le ministre des Affaires religieuses et du Culte, Thierno Oumar Hass Diallo, il est difficile de séparer l’Etat du fait religieux. « L’on ne peut pas concevoir la gestion des affaires publiques sans considération des opinions de la religion, sans tenir compte des croyances. Mais, cela ne veut pas dire que ce sont les leaders religieux qui dictent à l’Etat la conduite à tenir », déclare-t-il. Avant d’ajouter que dans un pays où presque tout le monde est croyant, où l’Etat gère par exemple une bonne partie de l’organisation du pèlerinage musulman, il est difficile que le religieux et le politique ne s’interfèrent pas.

A ce titre, l’on parle d’environ 813 mosquées dans le district de Bamako (selon l’imamat, issu du recensement 2012). Et des voix s’élèvent de plus en plus pour demander que l’Etat y contrôle les prêches des vendredis. Mais l’on constate que l’Etat peine à faire l’inventaire de toutes les mosquées du pays, à bien organiser le pèlerinage.

Lors du pèlerinage en 2015, qui a fait plus de 300 morts côté malien, l’Etat a été accusé de graves négligences par les leaders religieux.

Le guide des soufis du Mali (un autre courant religieux de l’islam), Cheick Soufi Bilal Diallo, dénonce « la gestion affairiste et non concertée » du pèlerinage par l’Etat à travers le ministère des Affaires religieuses et des agences de voyages (privées).

Pour sa part, le président du Haut Conseil islamique du Mali, l’imam Mahmoud Dicko, fustige « le manque de cadre de concertation entre l’Etat et les leaders religieux ». Et de critiquer le rôle que joue le ministère des Affaires religieuses. « Depuis que ce ministère est créé, nous ne nous sommes jamais assis autour d’une table avec ses responsables pour discuter des problèmes que vivent les religieux au Mali. Aucune orientation, aucune intervention de l’Etat pour aider à solutionner les problèmes… », déplore-t-il.

Et quand on lui pose la question de savoir s’il n’y a pas une intrusion du religieux dans la sphère politique, l’imam Dicko répond par l’affirmative. Avant d’assurer qu’il ne saurait en être autrement. « L’Etat doit gérer les affaires de la cité. Et la religion fait partie de la cité. Donc, les religieux ne peuvent pas ne pas faire la politique ». Il ajoute que c’est aux religieux de veiller afin qu’il n’y ait pas de dérives à travers les décisions que l’Etat est amené à prendre.

Il cite volontiers les lois telles que le Code des personnes et de la famille qui réglemente le mariage, l’héritage, le divorce, etc. « Pensez-vous que ces questions ne touchent pas le cœur même de nos croyances et valeurs religieuses et traditionnelles ? Devons-nous croiser les bras en spectateurs quand ces aspects de la vie sont touchés ? ».

Pour cet imam, il ne comprend pas pourquoi l’Etat peut leur demander de sensibiliser les électeurs à aller voter, à aller s’inscrire sur les listes électorales, au civisme et ne pas leur permettre de parler de ceux ou celles qui sont candidats, donc susceptibles de diriger la cité, « notre bien commun ».

Et de tempérer que cela ne veut pas dire que les mosquées deviennent des partis politiques. Mais, estime-t-il, la politique a besoin de la morale et celle-ci est liée à la religion, aux valeurs traditionnelles et coutumières.

Faut-il rappeler que certains leaders politiques avaient dénoncé la création, en 2012, du ministère des Affaires religieuses au Mali ?
C’est le cas de l’ancien Premier ministre Soumana Sako du parti CNAS Faso Hèrè. Il trouve que l’Etat malien étant menacé par l’extrémisme religieux, la création de ce ministère favorise une forme de radicalisation de certains fondamentalistes et des radicaux proches des terroristes. Il faisait allusion aux jihadistes qui souhaitent, du reste, l’application de la charia (loi fondée sur les prescriptions du Coran).

D’autres leaders de la classe politique comme Soumaïla Cissé de l’URD, Modibo Sidibé des FARE, Pr Tiémoko Sangaré de l’ADEMA ne cessent de dénoncer « l’immixtion dangereuse du religieux » dans la sphère politique.

Dans un livre publié en 2014, le doyen Moussa Balla Coulibaly (précédemment président du parti UDD), mettait en garde contre cette « invasion de la politique par la religion ».

Pour les fidèles musulmans, les avis sont partagés. Les uns défendent que le religieux doit contrôler le politique, qui est, à leurs yeux, éphémère. Alors que la foi est éternelle. « C’est normalement, les personnes pieuses qui doivent diriger le pays, être à la tête de l’Administration. Ainsi, il n’y aura pas de corruption, de détournement de l’argent des pauvres, de favoritisme, etc. », déclare le jeune Seydou Doumbia, mécanicien à Badalabougou. Tandis que pour l’étudiant Moussa Bagayogo, le religieux doit s’occuper seulement des questions de la foi et non de politique.

Pour le commerçant Ousmane Koné, les leaders religieux doivent être une sorte de « conseil consultatif » pour les dirigeants politiques. « Cela va faire en sorte que les politiques vont conserver leur crédibilité », explique-t-il. Il ne manquera pas d’indiquer que le discrédit dont souffre aujourd’hui la classe politique est lié au fait que la morale a fui l’arène politique. Celle-ci est, souligne-t-il, « minée par les calculs d’intérêts personnels, les magouilles ».

Le point de vue est un peu plus nuancé chez les leaders chrétiens

Le pasteur Mathieu Fané de l’Eglise protestante pense que l’Etat est séparé de la religion, mais qu’il n’est pas souvent facile de délimiter les zones d’intervention. Il prend l’exemple des prières et interventions humanitaires dans les lieux de détention. L’Etat, explique-t-il, collabore là avec les religieux. « Des prêtres et des pasteurs interviennent dans les prisons avec l’autorisation ou la protection de l’Etat à travers le ministère de la justice », déclare-t-il. Il indique également que ces leaders religieux sont associés à des campagnes de sensibilisation et de plaidoyers dans divers domaines. « Nous aidons ainsi l’Etat », se félicite-t-il.

Qu’en est-il du rôle politique du religieux ? « La Bible déclare que toute autorité vient de Dieu et que l’on doit prier pour les dirigeants. Mais, le religieux ne doit pas s’immiscer dans des débats politiques, parce que les fidèles peuvent être militants de tous les partis politiques, de la majorité comme de l’opposition », explique le pasteur.

Pour sa part, un prêtre catholique, qui a estimé que le sujet est sensible, a requis l’anonymat en expliquant que la religion a sa place dans la sphère politique. Mais elle doit jouer un rôle régulateur ou d’arbitre. Et d’ajouter : «Jésus-Christ a ordonné à ses disciples d’honorer le roi, d’aller payer l’impôt à César, car cela appartient à César ». Il souligne qu’il peut arriver que des fidèles se trouvent des vocations à faire la politique. Cela n’est pas, selon lui, condamnable aux yeux de la foi catholique. « Mais, il ne faut pas que son rôle d’homme politique influence sa foi religieuse ou celle des autres fidèles de son milieu ».

Pour le sociologue Abdoulaye Diarra, il doit juste y avoir un équilibre entre le fonctionnement de l’Etat et celui de la religion. « Ceci fera que cheque citoyen respectera l’Etat et sera libre de pratiquer sa religion dans le respect de la loi ». Il ajoute que la séparation de l’Etat d’avec l’église dans les pays occidentaux n’a pas empêché d’avoir des courants politico-religieux ou leurs coalitions au pouvoir dans certains pays. Et de parler des « démocrates-chrétiens, droite chrétienne et autres » qui gèrent les affaires publiques dans d’autres pays.

Il ne manquera pas de parler du Vatican qui est un Etat géré totalement par la religion catholique. Et de souligner qu’il est seulement fondamental de préserver le « fondement laïc de la République du Mali » et faire en sorte que les ingrédients de l’extrémisme religieux y soient anéantis.

Pour sa part, Mme Djenéba Thiero, membre de la société civile, ce qui amène les religieux à s’impliquer dans la politique est que les acteurs politiques ont souvent déçu les populations. « La recherche effrénée des postes et des privilèges, sans aucune conviction, les alliances contre-nature, les transhumances politiques sont ressenties comme des trahisons. Les gens se consacrent alors à la religion et n’hésitent pas à demander des orientations aux leaders religieux par rapport aux votes », explique-t-elle.