Mardi 28 mars. Dans son bureau à Badalabougou, Kader est toujours en colère car aujourd’hui encore, il a été obligé de se réveiller vers 5 heures du matin. Passée cette heure, il n’y a plus d’eau dans les robinets. C’est comme cela depuis trois mois.« L’avantage, au moins, c’est que ça nous permet de ne pas manquer la prière de l’aube », ironise-t-il. Comme chaque année, pendant la période de forte chaleur, l’accès à l’eau potable est devenu un parcours du combattant pour les populations de Bamako ainsi que des villes périphériques.
A Sabalibougou, dans la commune V, certaines familles ont du mal à préparer le repas faute d’eau dans les robinets. « Vous voyez vous-même, il n’y a pas une seule goutte d’eau dans les robinets, dit Aïcha, désespérée ». « Souvent c’est vers 2h ou 3h que l’eau vient. Donc, il faut rester éveillé pour pouvoir tout remplir ou attendre le matin pour payer de l’eau avec les jeunes qui vendent dans les pousse-pousse à 75 FCFA. On en paye dix par jour », confie Beïdy, jeune étudiant à Kalabancoura.
C’est pourtant à cause de l’impasse dans laquelle se trouvait le secteur de l’eau qu’il a été séparé de l’électricité en 2009, donnant naissance à la SOMAPEP (Société malienne du patrimoine de l’eau potable) et la SOMAGEP (Société malienne de gestion de l’eau potable), qui s’occupe du transport et de la distribution de l’eau. Les deux sociétés tentent de développer le secteur via un service de qualité de l’eau potable, mais le problème d’eau reste récurrent.
Dans l’interview qui suit, Abdoul Karim Koné, chef du département communication de la Société malienne de gestion de l’eau potable (SOMAGEP), dit clairement que la société est « en déficit de production. ». Autrement dit, l’offre est inférieure à la demande.
Sahelien.com : Parmi les problèmes auxquels les populations sont confrontées à Bamako, et sur le reste du territoire, figure celui de l’eau. Chaque année, quand arrive la période de pointe, le problème s’accentue. Quelle explication la SOMAGEP SA trouve à donner?
Abdoul Karim Koné : Sans détours, je dirais que le problème qui se pose, c’est que nous sommes en déficit de production. L’offre est dépassée par la demande. Ce que nous produisons ne suffit pas pour ravitailler l’ensemble de nos clients à Bamako et dans les villes périphériques.
Sahelien.com : Quelle est la capacité de production actuelle de la SOMAGEP-SA ?
Abdoul Karim Koné : La capacité actuelle de la SOMAGEP est estimée, à peu près, à 200 millions de litres d’eau par jour, alors que la demande est estimée à 300 millions d’eau. Donc, il y a un gap de 150 millions de litres d’eau à chercher.
Sahelien.com : Donc, c’est un manque d’eau qu’il y a. Mais quand on lit certaines études, on a l’impression que le problème est plutôt la distribution spatio-temporelle de l’eau…
Abdoul Karim Koné : Ce n’est pas un problème de distribution en tant que tel. C’est vrai qu’il y a beaucoup d’eau dans le fleuve. Nous prélevons l’eau, nous la traitons, et ensuite la mettons dans les tuyaux pour qu’elle arrive chez le consommateur. Le problème ce n’est pas le manque de ressources en eau, mais puisque que les investissements dans le secteur de l’eau n’ont pas accompagné la croissance démographique, les usines de productions d’eau que nous avons présentement, ne sont plus en mesure de satisfaire. Les capacités de nos unités de production sont largement dépassées. C’est ce qu’il faut comprendre. Le problème fondamental, c’est le manque d’infrastructures de production.
Sahelien.com : Qu’est ce qui explique ça ? Qui n’a pas fait son travail ?
Abdoul Karim Koné : Je ne suis pas en mesure d’accuser quelqu’un ici. Mais je sais quand même que la SOMAGEP est une société qui est issue de la réforme du secteur de l’eau et de l’électricité. Elle est née avec une société sœur jumelle qu’est la Société malienne du patrimoine de l’eau potable(SOMAPEP). La SOMAGEP a le devoir d’exploiter les infrastructures mise à sa disposition par la SOMAPEP, qui travaille avec l’Etat. C’est cette société qui a le devoir d’aller chercher de l’argent, de faire des infrastructures de production, et après la gestion du réseau et des unités de production reviennent à la SOMAGEP. Donc, voilà un peu le cadre constitutionnel du secteur.
Sahelien.com : Les populations fondent beaucoup d’espoirs sur la station de pompage de Kabala qui devait pouvoir donner de l’eau aux populations à Bamako et environs. On est presqu’en 2018, mais le problème demeure….
Abdoul Karim Koné : Les espoirs sont toujours fondés sur Kabala. C’est une station en construction et ça évolue très bien. Selon les prévisions, tout sera fin prêt pour que Kabala entre en production début 2019. La fin des travaux est prévue pour fin 2018.
Sahelien.com : Actuellement, quelles sont les dispositions que la SOMAGEP a prises pendant cette période de pointe ?
Abdoul Karim Koné : Il y a beaucoup de choses que nous faisons pour assouvir le besoin des populations en eau potable. Depuis 2006, bien avant la création de la SOMAGEP, face au déficit de la production, les clients de la société, qui se trouvent en altitude ou en bout de réseau, avaient des difficultés à avoir de l’eau. Energie du Mali, en son temps, avait initié « L’opération citerne ». Un héritage que la SOMAGEP a continué à entretenir. L’opération citerne a tout le temps été un programme d’urgence que nous avons organisé pour satisfaire les besoins en eau des populations.
Sahelien.com : En quoi consiste cette opération ?
Abdoul Karim Koné : Il s’agit de prendre de l’eau dans les citernes propres pour la distribuer gratuitement aux clients. Parce qu’en ces moments de l’année, que nous appelons « période de pointe », nous n’avons pas la possibilité de drainer l’eau dans les tuyaux jusque chez les clients. En plus de cela, nous avons les manœuvres sur le réseau. Nous essayons de voir parmi les clients qui sont nantis en eau pendant les périodes de pointe, comment les priver de l’eau, pour l’orienter vers ceux qui sont dans le besoin. C’est ce que nous faisons constamment sur le réseau.
Sahelien.com : Quel message avez-vous à adresser aux populations ?
Nous existons parce que les populations ont besoin de nous. Notre raison d’être, c’est de satisfaire notre clientèle. La période de forte chaleur est très difficile et pour nous et pour eux, parce que nous ne disposons pas des moyens pour le moment pour les satisfaire. Nous leur présentons toutes nos excuses. Mais le bout du tunnel n’est pas loin. En 2019, le réseau sera renforcé. La station de Kabala va mettre à la disposition de la SOMAGEP SA 288 millions de litres d’eau/jour. Ce qui va résoudre convenablement les difficultés que nous avons aujourd’hui.
Propos recueillis par Boubacar Sangaré