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Le mouvement #ArewaMeToo perdure

Par Hauwa Shaffi Nuhu

Lorsque la pharmacienne Khadijah Adamu s’est connectée à Twitter en février 2019 pour raconter les horribles heurts physiques qu’elle a subis aux mains de son ex-copain, elle ne pouvait pas deviner qu’elle lançait un mouvement MeToo axé sur le nord du Nigeria. 

Près de deux ans plus tard, #ArewaMeToo s’est transformé en un mouvement à multiples facettes qui continue à lutter contre la violence sexuelle dans tout le nord du Nigeria à travers les réseaux sociaux, des manifestations pacifiques et des programmes de sensibilisation dans les écoles ainsi qu’auprès des parents des communautés rurales.

Le témoignage d’Adamu a été incroyablement courageux. En tant que femme du nord du Nigéria, elle était automatiquement soumise à une surveillance particulière de la part de normes sociales profondément patriarcales et religieuses qui ne reconnaissent pas son autonomie sur son propre corps. En tweetant son histoire, elle admettait également avoir rendu visite à un copain, un acte que la société lui avait dit qu’elle n’aurait pas dû faire.

« Je n’ai pas été touchée par le contrecoup. Je savais que cela allait arriver, alors je me suis dit « ces gens qui viennent te chercher n’ont pas d’importance, alors ne te laisse pas influencer par leurs paroles », » a expliqué Adamu à Sahelien.com.

Lorsque des centaines de personnes de la région ont commencé à raconter des histoires de violences sexuelles dont elles avaient été victimes à différentes étapes de leur vie, cela a été un choc. Fakhrriyyah Hashim, écrivaine et agent de développement, a alors lancé le hashtag #ArewaMeToo (Arewa est le mot Hausa pour « le nord », et il est utilisé pour se référer au nord du Nigeria).

Cet hashtag a été essentiel pour localiser le mouvement mondial, se rétrécir dans la société pour en amplifier l’impact, et donner du pouvoir aux survivantes. Il a également créé un réseau de solidarité, comme Tarana Burke l’avait prévu lorsqu’elle a utilisé pour la première fois l’expression « MeToo » (Moi Aussi) dans le contexte de la violence sexuelle en 2006.

« Le hashtag a servi de point de rencontre pour que des personnes ayant vécu des expériences similaires puissent converger et disposer d’un espace commun. Il a contribué à personnifier ces expériences convergentes et à les projeter dans une lutte », a déclaré Fakhrriyyah Hashim.

Depuis, le mouvement a dépassé les réseaux sociaux et s’est descendu dans la rue, avec plusieurs manifestations dans huit différents états du nord du pays. La plupart de ces manifestations visaient à obtenir des états l’adoption de la loi d’interdiction de la violence contre les personnes (VAPP), une loi qui criminalise toutes les formes de violence contre les personnes et élargit les définitions de la violence sexuelle, tout en prescrivant des peines proportionnelles au crime.

Des manifestants tiennent des pancartes en faveur de la loi VAPP devant l’Assemblée nationale du Niger, à Minna, le 22 novembre 2019. Photo: Ismail Suleiman

Activisme pendant une pandémie

La pandémie de Covid-19 et ses conséquences économiques et sanitaires, combinées à l’augmentation des cas de violence sexuelle pendant le confinement, ont obligé le mouvement à repenser son mode d’activisme par rapport aux manifestations de rue et aux actions publiques d’avant la pandémie.

Le mouvement est revenu aux réseaux sociaux, où il a débuté. Dans les premiers jours de la pandémie, Hassana Maina, militante et membre pionnière du mouvement, a commencé à animer une session hebdomadaire d’Instagram Live, s’adressant à différentes personnalités sur la relation de la violence sexuelle avec certains domaines ou phénomènes. Elle a accueilli des experts du changement climatique, de la santé mentale et du développement communautaire pour expliquer aux téléspectateurs comment ces domaines se correspondent avec la violence sexuelle. Son émission recueille en moyenne 500 vues par épisode. Jusqu’à présent, il y a eu 41 épisodes, dont cinq ont été réalisés en partenariat avec Education As Vaccine (EVA).

Le « lockdown » ayant été terminé depuis longtemps, Hassana Maina et son équipe ont lancé des programmes de sensibilisation des parents dans les zones rurales de Borno, au nord-est du Nigeria, dans le but de les éduquer à désapprendre les réactions comportementales néfastes aux cas de violence sexuelle.

L’équipe s’adresse à la communauté et l’éduque sur le blâme des victimes et les dangers qu’elles encourent, sur les raisons pour lesquelles la stigmatisation sociale doit être rejetée et sur les mesures qu’elle peut prendre pour élever de meilleurs fils. Elles enseignent pour que ces fils qui non seulement reconnaissent le privilège que leur confèrent les normes socioculturelles mais qu’ils soient également conscients des effets néfastes de ces normes sur les membres de la société qui sont classés plus bas qu’eux et sont par conséquent opprimés – les femmes.

Un homme de l’équipe se rend dans ces communautés et établit le contact avec le Bulama (chef de la communauté). Le Bulama mobilise alors les parents pour eux. Comme il s’agit d’une région où Boko Haram a du pouvoir, les chefs de communauté sont pour la plupart de très jeunes hommes obligés d’assumer des rôles de direction en l’absence de leurs parents.

« Quand Boko Haram attaque, les gens doivent courir. Et quand il s’agit de courir, les jeunes sont plus susceptibles de courir plus vite. Donc les personnes plus âgées prennent du retard et sont tuées. C’est pourquoi ce Bulama est si jeune ; son père est mort et il a dû prendre la relève », explique Hassana Maina.

Cependant, leur jeunesse facilite les relations avec eux et leur permet de pénétrer dans la communauté en toute confiance. Maina explique également qu’en raison des attaques des insurgés et des déplacements qui en résultent, il y a une très grande fréquence de cas de violence sexuelle non signalés.

Les hommes ont toujours utilisé la violence contre les femmes pendant la guerre et les conflits, et le conflit de Boko Haram n’est pas différent. Le HCR a indiqué que l’État de Borno représentait 91,5 % des 1 666 cas de violence sexuelle signalés dans le nord-est du Nigeria en 2019, ce qui rend cette nouvelle stratégie de sensibilisation très critique.

« Nous avions parlé aux enfants sur l’importance de parler, mais ces enfants finissent par devoir parler à leurs parents si quelque chose leur arrive. Si les parents ne savent pas comment réagir, alors c’est un exercice futile », a déclaré Maina, expliquant pourquoi elle a imaginé cet angle pour son plaidoyer. Maina dit qu’elle conçoit les ateliers en utilisant un langage qui implique l’alliance, de manière à responsabiliser les parents plutôt que de les aliéner.

L’activiste Hassana Maina (centre) pose pour une photo avec son équipe après un atelier le 17 décembre 2020, à Gonidamgari, dans l’État de Borno. Photo: Alh Modu

Des normes qui évoluent rapidement

Maina et son équipe ont déjà organisé des ateliers interactifs et socialement distants en Hausa avec environ 300 parents de différentes communautés.

« Nous avons pu changer leur point de vue par rapport à la honte. Certains des parents se sont plaints que la raison pour laquelle ils ne veulent pas parler au nom de leurs enfants qui ont été maltraités est qu’ils ne veulent pas que la société les stigmatise », a déclaré Maina. Mais beaucoup de ces parents comprennent maintenant que la stigmatisation sociale est un produit de notre mentalité collective et qu’elle peut être changée, a expliqué Maina.

Depuis le début du mouvement, plusieurs états ont soit domestiqué la loi VAPP, soit fait des efforts pour, soit modifié leurs lois sur la violence sexuelle.  

L’État de Bauchi, par exemple, a depuis lors cédé et domestiqué la loi après une audience publique au cours de laquelle les membres du public ont été informés de ses dispositions. La Chambre d’assemblée de l’État de Borno a également tendu la main au mouvement en proposant une version modifiée de son code pénal, qui prévoit des peines plus sévères pour les violences sexuelles. Une audience publique a également eu lieu à Borno, tandis que dans l’État de Yobe, les militants espèrent que la loi VAPP sera bientôt transposée en droit interne.

Malgré les réussites, #ArewaMeToo a connu une opposition institutionnelle considerable. Les manifestations et les rassemblements pacifiques ont fait l’objet de critiques et de résistance de la part des institutions qui représentent le pouvoir. La police de l’État de Sokoto, par exemple, a agressé physiquement et arrêté sans discernement des manifestants lors d’un rassemblement pacifique. Cette situation n’est pas différente de la réaction historique aux mouvements de protestation au Nigeria, comme l’a démontré récemment le mouvement #EndSARS.

Bien qu’il y ait eu de nombreuses alliances réussies avec des chefs religieux dans plusieurs États, la plupart des chefs religieux se sont opposés au mouvement, notamment le sultan de Sokoto qui a annoncé en novembre dernier une « interdiction » de #ArewaMeToo.

La résistance la plus inattendue est peut-être celle des membres ordinaires de la société qui estiment que le silence, et non l’activisme, était la bonne voie à suivre ; le nord du Nigéria a un tissu de honte et de silence et la plupart d’entre nous sont élevés sur ce point. Cependant, même ces normes changent rapidement.

« Je sens que de plus en plus de femmes ont le courage de parler de ces choses et de demander de l’aide, et cela me réjouit vraiment. C’est étonnant de voir tout ce qui peut changer lorsque nous sensibilisons les gens », a déclaré Khadijah Adamu à propos de l’impact du mouvement depuis qu’elle a pris la parole. « Je peux voir que plus d’hommes nous soutiennent publiquement, sans se soucier du jugement qu’ils pourraient recevoir de leurs semblables, et c’est une bonne chose ».

« Quand je regarde #ArewaMeToo et la façon dont nous avons commencé en tweetant simplement, puis en ayant ces conversations en ligne, et en étant ensuite témoins de ces conversations qui deviennent courantes, j’ai l’impression que la révolution a vraiment commencé. Nous avons facilité beaucoup de changements institutionnels et mentaux », a déclaré Maina.

Le mouvement #ArewaMeToo continue de survivre et de changer les mentalités et les lois dans plusieurs communautés grâce au dévouement de ses membres et à leur capacité à élaborer des stratégies durables.

La notion de honte est un domaine dans lequel Maina voit des possibilités d’amélioration. « Je veux que notre société arrive à un point où la stigmatisation passe de la victime à l’auteur. Je veux que notre peuple reconnaisse le viol comme le crime dégoûtant et odieux qu’il est, afin que nous ayons honte que des violeurs existent parmi nous et que nous commencions donc à les tenir pour responsables et à les punir ».