Rien de particulier au premier regard : trois maisons grises, pas encore peintes ou crépies, posées sur le sable, en périphérie de Diffa (sud-est du Niger). Pas loin, des enfants jouent au foot. Mais si on s’y attarde un peu, l’œil s’arrête sur les fils de fer barbelés qui surplombent les hauts murs d’enceinte, puis sur les projecteurs disposés pour illuminer les environs, et enfin sur les gardes qui surveillent discrètement de lourds portails verrouillés de l’extérieur par de gros cadenas.
C’est que ces trois maisons accueillent des locataires d’un genre particulier : fin janvier, ils étaient 80 – hommes, femmes et enfants -, anciens membres de Boko Haram à avoir fui la secte. Les autorités craignent des représailles des insurgés opposés à toute défection. Certains sont arrivés les jours derniers, d’autres s’ennuient dans la cour depuis quelques semaines. Ils sont les premiers à avoir répondu à l’appel des autorités qui proposent de déposer les armes contre une amnistie. Elles espèrent qu’ils seront bientôt beaucoup plus nombreux à aller dans le même sens. Les maisons où les « repentis » se serrent pour dormir, matelas contre matelas, ne sont qu’une solution provisoire. A 200 km de là, non loin de Goudoumaria, un « camp de réinsertion » pousse entre des dunes ocres.
Pas de poursuite judiciaire pour les repentis
Fin décembre, le ministre de l’Intérieur du Niger, Mohamed Bazoum, s’est déplacé en personne pour annoncer le lancement du programme d’amnistie et de réinsertion. Il a expliqué ces redditions par le nouveau « rapport de force instauré entre Boko Haram et nos forces de défense et de sécurité » depuis juillet. Les combattants de Boko Haram sont « totalement en déperdition », selon le ministre. Pour les repentis, « nous allons leur garantir la sécurité, nous allons leur éviter la prison, nous allons leur éviter toute poursuite judiciaire. Et nous allons nous acheminer vers une forme de prise en charge », a-t-il précisé à RFI.
Quelques jours plus tard, dans un message de vœux à la nation, le président nigérien Mahamadou Issoufou a à son tour lancé « un appel à tous ceux qui se sont laissés entraîner dans la voie de l’égarement par Boko Haram (à) se ressaisir et déposer les armes ». Présent au sommet de Bamako, il détaillait à un journaliste de L’Opinion : « Nous allons prendre une loi d’amnistie. Nous leur garantissons l’intégrité physique et la réinsertion économique ». Et d’ajouter : « Nous allons leur proposer une formation afin de les réintégrer dans le tissu économique et la vie sociale. Nous entreprendrons aussi un travail de déradicalisation avec l’appui des autorités religieuses ».
Ces repentis sont surtout de jeunes hommes. Certains étaient des combattants, d’autres des petites mains. Aucun de ceux que nous avons interrogé n’a passé plus de deux ans dans la secte. C. a tenu les armes et ne s’en cache pas. Recruté contre la promesse d’argent facile et « embobiné », dit-il, le jeune homme commandait une petite faction de Boko Haram avec laquelle il patrouillait au sud de la Komadougou Yobé et du lac Tchad, pour s’assurer que l’armée n’était pas dans les environs. Il s’est joint à des attaques aussi. « Je regrette d’avoir tué les gens inutilement », dit-il, expliquant s’être rendu parce qu’il trouvait que cette guerre « ne sert à rien ».
M., un autre repenti, commence par raconter qu’il s’occupait d’un troupeau pour les insurgés. Boko Haram vole le bétail, tuant ou forçant les éleveurs à les rejoindre. M. admet aussi qu’il a combattu une fois avec Shekau, l’émir sanguinaire de Boko Haram. « Mais je n’ai jamais tué ! »
Des contours du programme d’amnistie, ces anciens terroristes ne disent pas grand chose. Fatigués de Boko Haram et des privations dans le maquis, ils aspirent à un retour à la vie civile. « Celui qui est ici, c’est parce qu’il sait que ce que fait Boko Haram, ce n’est pas bon », souffle M.
Le gouverneur de Diffa, Mahamadou Laouali Dan Dano, se félicite du « nombre important de jeunes combattants de Boko Haram qui se sont rendus volontairement. Ils ont répondu à l’appel de l’autorité ». Les termes du marché sont clairs : « Pour ceux qui sont décidés à rentrer, la main est toujours tendue. Ils peuvent revenir et on va les accueillir. Pour ceux qui font les têtus, le travail de l’armée continue ».
Ces redditions ont pour effet d’affaiblir Boko Haram qui n’hésite pas à abattre ceux qui tentent de faire défection, selon des sources sécuritaires. Ils permettent aussi de recueillir les témoignages de ces « repentis » sur les complicités dont peu bénéficier Boko Haram, notamment pour se ravitailler. « Les jeunes qui sont là ont commencé à parler. (…) Pendant qu’on essaie d’amener la paix, d’autres profitent de la guerre. (…) Il y a beaucoup de gens qui commercent avec l’ennemi », se désole le gouverneur qui veut « casser cette dynamique ».
Engagé dans ce programme d’amnistie, il est convaincu que « la guerre ne peut pas se gagner par les armes ». Et d’ajouter, « moi je pense que ce sont des Nigériens et s’ils décident de revenir, on doit pardonner ». Reste à faire passer le message aux populations. Une question délicate. « Il faut associer tout le monde. Autant des leaders religieux que des chefs coutumiers ou la société civile », plaide-t-il.
Dans la région, plus de 200 000 réfugiés, retournés et déplacés survivent dans des conditions précaires. Des huttes de pailles se succèdent le long de la route nationale, où les arbres ont été coupés pour alimenter les fourneaux. Un paysage de désolation. Ils ont fui les exactions de Boko Haram.
Un programme diversement apprécié par la population
A Diffa, ce programme d’amnistie suscite des réactions contrastées. Certains refusent de s’exprimer. « C’est un choix du gouvernement, de l’autorité et une affaire sécuritaire. (…) On n’a rien à dire », dit Souleymane, un vendeur. D’autres sont suspicieux. Shetima, un autre habitant, n’a « pas vraiment confiance. Mais s’il y a une cure et la réinsertion après, ça peut aller ». Dans un site spontané, une réfugiée ne voit pas d’autre chemin pour que vienne enfin la paix.
Finalement, dans l’immédiat, ce n’est pas tant la question du pardon qui semble poser problème aux populations interrogées que la crainte que le repentir ne soit pas sincère. « On peut pardonner à quelqu’un qui a fait du mal, c’est dans le Coran », dit ainsi Adam, 21 ans, à Goudoumaria, où le camp doit se construire. La commune est restée à l’écart des violences. Ce soudeur souligne qu’ « ils ont accepté de se rendre. C’est pardonnable. Pour moi, il n’y a pas de problème, mais d’autres ne sont pas d’accord qu’on les amène dans la ville car ce sont des criminels. Ils disent aussi qu’ils ont peur qu’ils retournent dans leurs anciennes activités ». Abdoulaye, tailleur juge que « si les ‘grands’ (décideurs) ont poussé l’idée, alors c’est bon. On vient de commencer (ce programme d’amnistie), alors il m’est difficile de me prononcer à ce sujet. Moi, tout ce qui m’intéresse, c’est d’avoir la paix ».
Mamadou Mado, journaliste local à Goudoumaria, estime, à titre personnel, que « l’amnistie c’est une bonne chose pour résoudre le conflit et amener la paix ». Mais il constate que les habitants sont plutôt « contre » parce qu’ils craignent que le repentir ne soit pas sincère et que les repentis « vont continuer à faire du mal aux gens ». Le journaliste pense qu’il faut laisser du temps. « Il faut d’abord sensibiliser la population, il faut mettre dans la tête des gens que ce sont des repentis, qu’ils ne sont pas dangereux et tout ça ».
Le préfet de Goudoumaria, Ibrahim Hassan, admet que certains redoutent l’arrivée des repentis, mais il trouve qu’il est bon que le camp se construise à 200km de Diffa où se trouvent les « personnes frustrées » qui ont subi les exactions de la secte. « On veut tous que la paix revienne et permettre l’amnistie, c’est amener la paix. La population n’a pas le choix, il faut ce pardon-là. On ne peut continuer à s’entretuer ».
Le maire de Goudoumaria s’attend à des retombées économiques pour sa commune avec la construction du camp : « Nous ne pouvons que nous en réjouir ». Il est favorable au plan d’amnistie qui doit aider à ramener la paix, pense-t-il. Mais, « je n’aimerais pas que ce soit un camp qui fasse des Boko Haram des privilégiés, sinon tout le monde va prendre les armes », pour bénéficier des mêmes avantages. Il ne cache pas que sa population a des « appréhensions » qu’il compte bien « apaiser ». « On apprend que des gens qui tuent et pillent vont être amenés dans un coin, c’est normal que cette population tique », comprend l’édile. Pour que les choses se passent au mieux, il a donc élaboré un « projet de sensibilisation de ma population », afin de « lever l’équivoque et les inquiétudes des uns et des autres ».