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Mali: à Dembakoro, les paysans inquiets face au changement climatique

Depuis le mois de septembre, les récoltes sont compromises par les fortes pluies enregistrées au cours de l’hivernage, cette année 2020, dans certaines localités comme Dembakoro, dans la zone de Kita (région de Kayes). Une première depuis plus de 30 ans, selon le premier conseiller au chef du village.

Cette situation sème la désolation chez les habitants de Dembakoro, un village où l’agriculture et l’élevage demeurent les seuls moyens de subsistance. Ce matin-là, le chef de ce village situé à une centaine kilomètres de la capitale malienne convoque une  importante réunion pour discuter des problèmes de l’heure, notamment « les abondantes pluies qui ont impacté les récoltes » cette année.

C’est le premier conseiller au chef du village qui avait donné l’alerte sur la radio rurale de Kassaro. « Chez nous ici à Dembakoro, ce n’est pas une question de 30 ans. Ceux qui m’ont précédé dans le village depuis sa création disent n’avoir jamais vu une telle catastrophe. Précisément celui qui assure actuellement la chefferie du village, Modibo Diakité, qui a succédé à son grand frère dit qu’il n’a jamais vu une pluie pareille depuis son enfance. Or lui, il tend aujourd’hui vers 70 ans. Il eut certes des années d’abondance, de forte humidité, mais un tel dégât causé par l’humidité, il n’en avait jamais vu, a fortiori nous autres », déclare Touba Diakité.

D’énormes pertes

Dans ce village de 127 familles, 90% des champs ont été touchés par des incessantes pluies durant la période hivernale. Désemparés, les paysans ont assisté impuissants aux dégâts comme Daboulou Diabaté qui a vu ses 15 hectares touchés, son voisin Yacouba Diarra, 5 hectares de maïs envahis par l’eau. « C’est au mois de septembre que je suis venu pour le binage afin d’y mettre de l’engrais. En ce moment, on ne peut se rendre compte qu’on ne récoltera pas grand-chose sur le maïs. Après le binage, l’eau a débordé sans qu’on ne sache faire quoi que ce soit », raconte Yacouba  Diarra. Pour Daboulou Diabaté, c’est une perte considérable au niveau du champ qui lui avait rapporté beaucoup les années précédentes. « J’ai perdu 15 hectares de culture. Ce que moi-même j’ai dépensé en intrants agricoles vaut 325 .000 FCFA, cela ne concerne pas les dettes de la CMDT (Compagnie malienne pour le développement du textile, ndlr). L’an dernier, j’ai eu un peu plus de 7 tonnes uniquement dans le coton. Je n’ai par contre pas d’idée sur la quantité des autres récoltes », a-t-il expliqué.

Sur leur visage, se lit une certaine anxiété. Face à la situation, les habitants sont nombreux à se rabattre sur la production massive du charbon de bois. Une autre action qui vient aggraver le phénomène du réchauffement climatique. Mais, selon eux, ils n’ont pas le choix parce qu’ils redoutent une insécurité alimentaire. « Nous n’avons aucune solution que d’abandonner le champ.  L’eau coulait de jour comme de nuit sous les plants. Si on peut nous aider ça nous fera plaisir. C’est l’appel que j’ai à l’endroit des autorités. Hormis cela, on n’a pas d’autres alternatives que la production du charbon. Même si on se cache pour le faire, les agents des eaux et forêts nous arrêteront s’ils nous voient. Quand tu as un bon résultat dans ton champ, tu n’as pas  besoin de faire ce travail. On n’a pas de moyens ni d’autres métiers, c’est ce qui nous a motivé à faire ça.  Si tu me vois couper des bois, c’est à cause du manque de travail »,  indique Sali Konaré, une mère de six enfants.

Augmentation de la population vulnérable

Au Mali, selon le Plan de réponse humanitaire du Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’Onu (OCHA), révisé en juillet, 6,8 millions de personnes ont besoin d’assistance humanitaire. Un chiffre supérieur à celui du mois de janvier qui était de 4,3 millions. Une augmentation de plus de 58% soit l’équivalent d’un Malien sur trois ayant besoin d’assistance humanitaire, signale l’agence onusienne. Cette hausse « s’explique par la persistance des besoins humanitaires liés aux conflits auxquels se sont ajoutés ceux en lien avec la pandémie de COVID-19 dans un contexte marqué par la période de soudure ainsi que les conséquences des poches de sécheresse et des inondations saisonnières ». Ces dernières, selon les chiffres officiels, ont touché environ 3 993 ménages, soit 26 711 personnes dans les différentes régions du Mali. Concernant les dégâts matériels causés par les inondations, en dehors des maisons et vivres, 736 hectares de culture ont été touchés et plus de 300 têtes de bétail perdues d’après un rapport publié en août.

Chaque mois, se tient à Bamako, la réunion mensuelle de la commission de suivi des ressources en eaux de Sélingué et de Markala. Une commission regroupant l’ensemble des acteurs en charge du développement rural, créée par décret ministériel pour pouvoir trouver des solutions aux problématiques liées au suivi des ressources en eaux. « Nous avons enregistré une crue exceptionnelle supérieure à celle de 2019 et à celle de 2017 mais comparable à celle de 2018, l’année de référence qui a été aussi une année exceptionnelle. Ces années nous ont permis de savoir exactement les dispositions à prendre à temps. Nous savons que l’année 2017 a été une année déficitaire. Nous étions en déficit en eau mais là aussi, grâce à une très bonne gestion, nous avons pu faire face aux besoins pour l’irrigation au niveau des offices surtout l’office du Niger où nous n’avons pas senti de déficit parce que nous avons fait une très bonne gestion de la retenue non seulement de Sélingué mais aussi de Markala. L’année 2018 où on a eu une abondance, l’inquiétude c’était l’inondation, non seulement des grandes villes mais aussi des périmètres irrigués. C’est vrai qu’on a besoin d’eau mais beaucoup d’eau créent aussi des pertes », souligne  Djoouro Bocoum, directeur national adjoint de l’hydraulique.

Entre deux peurs, celle de pouvoir faire face à l’insécurité alimentaire et celle de pouvoir éponger les dettes, les cultivateurs sinistrés de Dembakoro plaident pour un assouplissement des modalités de payement de leurs dettes.  En attendant une solution durable, certains pratiquent le maraîchage pour pouvoir faire face à certains de leurs besoins.

Mody Kamissoko, Augustin K. Fodou

*Réalisé avec le soutien du Programme Sahel de l’IMS, financé par DANIDA.

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