Depuis 2015, M. Diallo est rentré à Mopti après avoir obtenu une maitrise en droit privé dans une université privée de Bamako. A Bagnetaba, vieux quartier de Sevaré, où nous l’avons rencontré, il confie qu’il essaye de tromper l’ennui en rendant souvent visite aux parents et en aidant un ami de son grand-frère qui évolue dans le domaine de l’évènementiel. Pourquoi avoir quitté la capitale qui est source d’opportunités ? « Il vaut mieux être chômeur à côté de sa mère que dans une capitale où tu ne connais personne. », répond-il, sourire aux lèvres, les yeux pétillants derrière ses lunettes de vue. A 24 ans, il vit difficilement cette situation « frustrante » pour lui et pour ses parents qui, dit-il, comptent sur lui. « Après 16 ans d’études ! Si j’avais pris ce temps pour faire autre chose, je serais aujourd’hui menuisier, maçon. J’appelle ça du gâchis ! »
Au Mali, le phénomène du chômage engendre un sentiment de frustration chez les jeunes qui, depuis bientôt une année, ne cessent de réclamer les 200 00 emplois promis, en pleine campagne électorale à Kayes en 2013, par Ibrahim Boubacar Keïta, alors candidat du Rassemblement pour le Mali (RPM, au pouvoir). En juillet 2016, la Direction nationale pour l’emploi a affirmé que le taux de réalisation de la promesse présidentielle était de 61%, soit 121 000 emplois créés. Des chiffres contestés par des leaders jeunes et des observateurs. Une évidence demeure : au Mali, la lutte contre le chômage et la question de l’emploi des jeunes sont on ne peut plus d’actualité. En 2015, le Fonds monétaire international a situé le taux de non-emploi des jeunes autour de 11%. Chaque année, environ 300.000 jeunes arrivent sur le marché du travail ; un grand nombre d’entre eux, n’arrive pas à accéder à un emploi décent faute de formation professionnelle adéquate. Résultat, le taux de chômage augmente au galop.
Chute de l’économie locale
L’histoire de Moborou est symptomatique de la situation du pays où le mal-être des jeunes, au chômage et désœuvrés, est considéré comme une bombe à retardement qu’il urge de désamorcer. Dans la région de Mopti, où l’incidence de la pauvreté était de plus de 47% selon un rapport du gouvernement et de ses partenaires publié en 2013, le chômage est endémique à cause de la chute de l’économie locale. En quatre décennies, la région s’est effondrée « en raison des fortes perturbations des marchés côtiers », selon Adam Thiam, éditorialiste et consultant en évaluation et formation ayant longtemps travaillé dans la région. Au point que « la viande produite en Europe est vendue sur le marché moins cher que celle venant du Sahel qui est chère, consommée seulement par l’élite. »
Il y a eu un marasme de l’élevage et de la pêche dû au changement climatique, à la perturbation du système de crue et de décrue nécessaire au cycle du poisson, de la ponte à l’éclosion. « A ceci, s’ajoute un très fort endettement des pêcheurs. A cause des impayés de la banque, ils quittent la région pour Farafeni, en Gambie et le Tchad. », ajoute Adam Thiam. Marasme aussi de l’agriculture qui a perdu en productivité, affectée aussi par le changement climatique, notamment la sécheresse des années 1970.
Ancien maire de la commune urbaine de Mopti, Oumar Papa Bathily est de ceux qui pensent que les importantes richesses naturelles de la région n’ont pas été capitalisées. « Mopti était la seule région qui exportait du bétail. La pêche continentale y était développée, l’agriculture aussi. C’était l’eldorado. Mais il n’y a pas eu d’investissement. On pensait que c’était de la providence. »
Vers 2000, il y a eu un désinvestissement des secteurs ruraux, les coopératives de développement ont fermé, créant ainsi un manque à gagner pour l’économie locale. Le tourisme, qui représentait 25% de l’économie régionale et générait près de 20milliards de francs CFA selon le ministère du Tourisme, a été touché par l’insécurité au nord « depuis le début des années 2000 », mettant ainsi au chômage hôteliers, transporteurs, piroguiers, guides touristiques. Environ 300 à 400 guides touristiques, selon Issa Kansaye, le maire de la commune urbaine de Mopti, sont au chômage à cause de l’insécurité. La région, depuis 2012, est devenue un nouveau foyer d’instabilité du fait de l’activité des groupes extrémistes violents et des conflits sociaux. Dans une étude publiée en mars 2017, Adam Thiam écrit : « La crise de l’économie régionale constitue donc un terreau favorable au développement de l’insécurité. Outre qu’elle a accentué les conflits de nature foncière, elle a également dépourvu d’emploi des populations dans l’incapacité de se reconvertir pacifiquement, alimentant au contraire une dynamique criminogène. En effet, le taux de chômage est fréquemment avancé comme une cause directe du basculement de certains jeunes dans le banditisme, notamment le vol du bétail ».
Insécurité
A Mopti, nombreux sont les partisans de la thèse selon laquelle une corrélation existe entre le règne de l’insécurité et la question du chômage : « Tu es confronté au chômage et cherches un moyen de subsistance. Tu sautes sur l’occasion. Les jeunes sont là en errant ». De son côté, Ibrahim Maïga, chercheur à l’Institut d’études de sécurité (ISS) ayant participé à l’étude sur « Les jeunes “djihadistes“ maliens, guidés par la foi ou les circonstances ? », estime que le chômage, qu’il soit saisonnier ou de longue durée, n’est pas un « facteur principal » dans l’engagement des jeunes dans les groupuscules armés. « Nos interlocuteurs étaient la plupart du temps des bergers ou pasteurs et par conséquent avaient déjà une activité économique. Ce sont surtout la volonté de se protéger (contre l’armée, les voleurs de bétail ou parfois les Dozos) ainsi que l’injustice perçue ou vécue de la part des autorités administratives surtout en lien avec la gestion des pâturages qui ont précipité certains dans les bras des groupes djihadistes ».
Président de l’observatoire peul, Kisal, et chercheur suivant attentivement l’évolution de la situation dans le Centre du pays, Dougoukolo Alpha Oumar Ba-Konaré explique pour sa part qu’il y a certainement une« problématique de transition professionnelle, dans le sens où il reste beaucoup d’activités nécessaires. On peut dire qu’il y a du travail. Mais ce travail n’est pas balisé d’une manière sécurisée au niveau social, physique, mental». L’analyse selon laquelle la situation d’insécurité est due à des facteurs sociaux recueille largement l’adhésion dans la région labourée par l’extrémisme violent et les tensions sociaux : « L’insécurité physique, combinée au sentiment d’insécurité sur le futur, quant à l’alimentaire, l’inter communautaire, ou le judiciaire, crée le terrain pour une grogne sociale nourrissant de plus belle toutes ces insécurités. Résoudre le problème de l’emploi passe ainsi nécessairement par le balisage des besoins sociaux des communautés, et leur accompagnement vers l’accès à leurs métiers disponibles. En ce sens, il s’agit de valoriser le travail, comme cela peut se faire en milieu urbain. », ajoute Dougoukolo Alpha Oumar Ba-Konaré.
Modernisation
Dans la région, la déscolarisation gagne en ampleur, alors que dans la ville de Mopti elle-même, le taux de scolarisation atteint 98% selon l’ONG Action Mopti. Un paradoxe. Selon son coordinateur, Mady Bagayoko, le taux de chômage dans la région est important chez les étudiants sortis des universités de la capitale, et que l’ONG s’emploie à recycler dans d’autres disciplines. Le chômage fait des ravages aussi en milieu rural aussi, déserté par les jeunes agriculteurs, à cause de l’insécurité, pour venir accroître le taux dans les centres urbains où ils ne peuvent prouver leur savoir-faire. Pour M. Bagayoko, ingénieur en génie civil et en génie industriel formé en Russie, 55 ans, il y a urgence à moderniser les secteurs porteurs. Dans les localités de Sokoura, Tongoronko et Mopti, l’ONG et ses partenaires travaillent à l’aménagement des étangs piscicoles, ce qui, espère M. Bagayoko, permettra d’employer un nombre considérables de jeunes. L’élevage, qui employait aussi beaucoup de personnes dans cette région, doit être maîtrisé, par l’Etat notamment, en créant des parcs à bétail pour encourager une industrie animale, « au lieu de laisser les gens se promener avec les troupeaux».
D’autres ONG, comme Swisscontact, interviennent dans cette région où, selon le sentiment le plus partagé, « l’Etat est aux abonnés absent ». Depuis 2014, explique Yaya Mariko, coordinateur de Swisscontact, l’ONG travaille à la mise en œuvre d’un programme d’appui à la formation professionnelle, en collaboration avec les collectivités. Elle parcourt la région pour connaître les besoins en formation, finance des projets d’amélioration de revenus, d’insertion. Pour M. Mariko, « le problème, c’est que les jeunes ne savent pas ce qu’il faut faire, à qui s’adresser, à quelle porte taper ». L’ONG forme des jeunes en groupe en plomberie, ferraillage, carrelage, et qui se trouvent sur les chantiers de construction dans la région, notamment dans le pays dogon.
Idrissa Konda, 36 ans, a bénéficié d’une formation de l’ONG en embouche bovine, après son passage par l’Espace d’orientation jeunesse (EOJ), dispositif de l’Agence pour la promotion de l’emploi des jeunes(APEJ), qui travaille avec les jeunes de 15 à 40 ans, depuis 2015. Selon le Conseiller orientation, Boubacar Haïdara, l’espace a reçu plus de 1000 jeunes dont 50% sont des jeunes filles, et 200 ont franchi une première étape de leur insertion. « L’Etat fait donc des efforts à travers des structures comme l’APEJ », affirme M. Haïdara. A Gangal, quartier de Mopti, Idrissa Konda, après avoir perdu son travail d’employé de commerce, se consacre aujourd’hui à l’embouche. En 4 ans, il possède aujourd’hui 17 têtes contre 3 au départ. Ses bœufs, qu’il dit payer entre 150 000 francs CFA et 250 000 francs CFA pour emboucher, sont vendus à entre 300 000 francs et 650 000 francs sur le marché. Il est sur le point de transformer son activité en une microentreprise que Swisscontact a acceptée de financer à hauteur de 13 millions de francs CFA. L’entrepreneuriat est un autre domaine vers lequel les jeunes sont poussés. Car, « le plus important, c’est la formation. Il faut apprendre aux jeunes à créer leur entreprise », estime le maire Issa Kansaye. Un avis que ne partage qu’à moitié Mady Bagayoko : « Le Mali est le pays le plus opaque en matière d’installation des entreprises. Elles ne viennent pas à Mopti parce que les conditions ne sont pas réunies. La Corruption décourage et contribue au non-emploi des jeunes. »
Ici, à Mopti, comme partout ailleurs dans le pays, la question du chômage est un nœud gordien qui attend d’être tranché : « Tant qu’on n’arrive pas à absorber le chômage, le djihadisme va prospérer, proliférer. Les chômeurs sont la couche la plus vulnérable. Or, les djihadistes soutiennent l’espoir par l’argent », laisse entendre Mady Bagayoko, le regard sombre, assis derrière son bureau. « Il ne faut pas que Mopti s’embrase, sinon c’est fini », avertit pour sa part Oumar Papa Bathily, l’ancien maire. En attendant, des jeunes ayant migré vers Ségou, Sikasso, Bamako en saison morte, retournent petit à petit au village pour l’hivernage. Un hivernage qui s’annonce mal, avec des terres abandonnées à cause de l’insécurité et la pluie qui se fait attendre.
Boubacar Sangaré, envoyé spécial