« Processus de paix et stabilisation au Mali : Comment redynamiser la mise en œuvre de l’Accord et lutter contre la dégradation de la situation dans le Centre du pays ? ». C’était le thème d’une session au cours du séminaire (« Maghreb-Sahel : Sortir de la tourmente, développer de nouvelles coopérations ») organisé par le Centre 4S, la semaine dernière à Tunis. Dans le Sahel, l’interminable crise au Mali est considérée par nombre d’observateurs comme le cœur du problème. Presque deux ans après sa signature, la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation, issu du processus d’Alger, avance avec peine. La crise s’étend même au Centre du pays, devenu un nouveau foyer d’instabilités aux causes multidimensionnelles et multifactorielles. Dougoukolo Alpha Oumar Ba-Konaré, Chercheur et Président de l’ONG Kisal (l’aide, la surveillance en Peulh, cette association créée en 2015 est la branche droits humains de l’association Tabital Pulaaku International), qui a participé à la session sur le Mali avec le chef de la MINUSMA, Mahamat Saleh Annadif, répond aux questions de Sahelien.com sur la crise dans le centre et sur les blocages dans la mise en œuvre de l’Accord.
Sahelien.com : Y-a-t-il un lien de cause à effet entre la crise démarrée en 2012 dans le Nord et celle qui paralyse actuellement le Centre?
Dougoukolo Alpha Oumar Ba-Konaré : Il n’y aurait pas ceci. Mais pour moi, la crise de 2012 concerne aussi bien le nord que l’effondrement de l’Etat au sud. D’ailleurs les premières tueries au centre en fin mars 2012 étaient dues à la montée des tensions et l’absence d’autorités pour s’interposer, dans la zone du Seeno (Pays Dogon). Une trentaine de morts, car l’Etat est parti et les gens ont réglé les comptes. Ça veut certes dire que les germes sont là depuis longtemps, et en profondeur. Mais il n’y a pas de société parfaite, et le rôle de l’Etat est bien d’amener l’ordre. Dans un Etat pleinement là et bienveillant, c’est normal que tout ait « déraillé », pour reprendre la métaphore du train.
Sahelien.com : Qui sont les vrais protagonistes de la crise dans le Centre?
Dougoukolo Alpha Oumar Ba-Konaré : Il y a les éléments actifs : milices communautaires, bandits, groupes se réclamant du djihâd, armée malienne. Et il y a les civils qui restent des acteurs car leur victimisation conduit à la lancée de dynamiques de la part des autres protagonistes. Eux-mêmes peuvent se faire acteurs selon les circonstances vu leur grande vulnérabilité due à l’équilibre de la terreur, aux manques de ressources.
Sahelien.com : Pensez-vous que la crise au Centre soit négligée, et par l’Etat et par les populations?
Dougoukolo Alpha Oumar Ba-Konaré : Je pense que les populations des zones en crise systématisée autres que le centre prennent la mesure des choses. Mais ce n’est pas chez elles et elles ne peuvent pas agir. Les populations du centre, elles, vivent dans la terreur. L’Etat semble avoir pris conscience de ce qui se passe et propose des plans. Il faut voir ce que cela va donner. La réponse ne peut bien sûr pas être sécuritaire. Je crois savoir que l’Etat tente une stratégie intégrative. C’est la capacité à séduire les populations qui fera une différence. Pour les populations des zones non-touchées gravement, et non-originaires du centre, je n’ai pas l’impression qu’il y a beaucoup d’intérêt. Le Mali est un pays riche, de gens dans la misère. Chacun se cherche, comme dit-on. Je ne pense qu’il y a un manque inné de solidarité. Simplement, comment agir quand l’Etat a été si nonchalant auparavant? Et comment se sentir impliqué quand on essaye de combler les manquements de l’Etat (qui ne peut être omnipotent) chez soi d’abord?
Sahelien.com : Justement, les mesures de sécurité que l’Etat a prises récemment, notamment l’interdiction de circuler d’un village à un autre, sont-elles susceptibles d’améliorer la situation?
Dougoukolo Alpha Oumar Ba-Konaré : Si elles sont appliquées réellement, et avec l’assentiment des populations et leur participation, sans doute, oui. Dans une mesure raisonnable. Ce ne sera pas la panacée, mais ce sera pas mal. Mais avant, il faut réunir les conditions de tenir ces engagements.
Sahelien.com : Parmi les acteurs de la crise dans le Centre, vous avez parlé des groupes armés se réclamant du djihadisme. Y-a-t-il un projet de Califat dans le Centre du Mali?
Doukolo Alpha Oumar Ba-Konaré : Oui. Cela dit, il s’inscrit dans un projet plus grand d’Islamisation fondamentaliste du pays par des groupes armés. La Katiba Ansar Dine Macina porte le projet (dirigé par Hamadoun Kouffa, ndlr), avec l’assistance d’Ansar Dine, qui assiste et aide à structurer. Les deux mouvements sont indissociables. Je tiens à rappeler de manière catégorique que ce projet n’a aucun caractère ethnocentriste peul, contrairement à ce qui est avancé par de nombreuses personnes (dont des Peuls).
Sahelien.com : De quoi les milices de chasseurs (Dozos) sont-elles le nom dans le Centre?
Dougoukolo Alpha Oumar Ba-Konaré : Les Dozos ont toujours existé dans la zone en tant que confrérie armée. Leur mandat est ésotérique et presque religieux. Ils sont le bouclier de leurs communautés. Pourtant dans un Etat comme le Mali, leurs attributs doivent être clairs et peut-être même tenus par la loi. Le vide crée le chaos. Ils ont une tradition martiale que les civils aussi bien Bambaras que Peuls n’ont pas. Il y a clairement une instrumentalisation de leur « potentiel martial » par des forces exogènes, tout comme des civils Peuls sont employés par des forces exogènes à cause de leur vulnérabilité. C’est une tragédie que les corps anciens des pasteurs et des chasseurs soient réduits à ceci. L’ascension belliqueuse des Dozos est un fruit de ces temps, mais aussi de la galvanisation des populations victimes de la zone pour leur faire réclamer l’autodéfense. Les rumeurs vont bon train sur qui fournit les Dozos. Il serait dangereux de stigmatiser les Bambaras de la zone à cause des événements actuels. Ce qui est sûr, c’est que les Dozos ne peuvent pas de façon ordinaire disposer d’équipements tels que ceux qu’on les a vu employer récemment. Quelles que soient les puissances et figures les mobilisant ainsi, il faut exercer sur eux la plus ferme des justices, comme on le ferait sur tout criminel. L’Etat n’a pas légiféré sur l’armement de milices, ainsi toute mobilisation de ce type est hors la loi, et ceux qui y contribuent sont en infraction aussi. Cela est d’autant plus grave, du fait de la valeur patrimoniale des Dozos. Voici donc d’autres aspects par lesquels nos sociétés se meurent dans le plus profond de leur chair.
Sahelien.com : Mais, pourquoi ne sont-ils pas désarmés au même titre que les autres individus armés au cours des opérations de ratissage de l’armée malienne?
Dougoukolo Alpha Oumar Ba-Konaré : Sans doute du fait de la nature même de leur métier. C’est pour ça qu’il n’y a pas de solution toute faite même si nous ne pouvons que tous répéter le nécessaire désarmement de toute force non-militaire officielle. La réalité est qu’il faut agir de manière minutieuse. C’est comme le port d’armes en zone rurale. Il faut de vraies discussions sur tout ça, avec des experts traditionnels, des gens du terrain, l’armée. On ne peut pas juste opérer du sommet vers le bas avec des bons sentiments superficiels.
Sahelien.com : Si on essaye de voir l’Accord pour la paix, on se rend compte qu’il ne parle pas du Centre. C’était le cas avec les accords précédents. Le Centre est-il le parent pauvre des Accords de paix au Mali?
Dougoukolo Alpha Oumar Ba-Konaré : Sur la forme, oui. Cependant, sur le fonds, il y a beaucoup à tirer de cet accord. D’une part, on peut être rassurés par la posture du représentant spécial de l’ONU, M. Annadif de la MINUSMA. Il propose de partir des ouvertures de l’accord pour appuyer les populations dans d’autres localités, afin de porter les initiatives de la société civile. Lorsqu’on regarde les autres Pays du Sahel, on voit qu’il manque ce type de plateformes. C’est une grande déception que le centre et d’autres zones déshéritées soient exclues des textes. D’un point de vue de politique morale, c’est très grave car on concentre toute l’attention sur le nord. Mais cette situation donne une opportunité de modèles existant déjà. Les accords peinent en grande partie à cause de leur difficile mise en œuvre par les autorités. Mais leur forme peut être ouverte au centre. Dans tous les cas, pour le centre comme le nord, c’est la volonté politique qui changera la donne pour le mieux.
Sahelien.com : Que faire aujourd’hui face au blocage dans la mise en œuvre de l’accord pour la paix et la réconciliation?
Dougoukolo Alpha Oumar Ba-Konaré : Il faut revenir à la base. L’orgueil ne sert à rien. Il faut reconnaître ce qui marche et ce qui marche moins. L’accord a été signé. Les représentants des mouvements ne le laisseront pas mourir si l’Etat malien n’abandonne pas l’accord et tant qu’il ne se consacre pas à l’application de toutes les mesures. Si la non-efficacité de ces mesures était prouvée, ce serait autre chose. Pour l’instant, l’accord est en place, il faut le renforcer même si chacun est mécontent. Donc, en revenant à la base, cela peut paraître comme un abandon et un constat d’échec, de mener d’autres consultations. Je ne pense pas qu’il faut être catégorique ainsi. Il faut considérer l’accord Comme une déclaration de bonne volonté. En marge, il serait intéressant de favoriser des cadres comme celui tenu entre mouvements à Anefis, l’année dernière, et consulter toutes les dénominations de citoyens Maliens, de la façon la plus représentative, pour apporter les solutions les plus spécifiques aux problèmes les plus spécifiques. On ne peut pas faire l’économie de l’attention envers qui que ce soit en ce moment, tant le territoire est poreux et le danger est partout. Il faut des solutions structurelles, permettant à tous de bien fonctionner, en même temps.
Boubacar Sangaré