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Mali: avec cette pandémie, « c’est l’occasion pour l’Etat de booster le savoir local »

Entre facteur de propagation du virus, relâchement de certains citoyens dans le respect des mesures barrières et quelle place pour les initiatives locales, Brehima Ely Dicko, chef du département de socio-anthropologie à l’Université de Bamako répond aux questions de Sahelien.com.

Comment expliquez-vous, le relâchement de beaucoup de personnes dans le respect des mesures contre la Covid-19 ?

D’abord au début, beaucoup de personnes ont eu du mal à croire, parce que le coronavirus est venu par les avions au Mali. Certains ont dit que c’est une maladie des riches, c’est une maladie de ceux qui ont les moyens de partir à l’étranger. Ensuite, certains se sont dits que c’est une maladie des Blancs ou bien, ça ne concerne que les habitants en ville parce que les premiers cas étaient déclarés là-bas. Par exemple, les gens en campagne ont considéré qu’ils étaient loin de ça. Il y a aussi ceux qui sont un peu fatalistes. Ils se disent de toute façon, on est habitués à des pandémies, on a vu Ebola, le palu tue plus que corona, le sida tue, et puis finalement, psychologiquement, les gens étaient assez préparés à faire face à ces genres d’épidémies. Ce n’est pas la première fois, de façon chronique, nous sommes exposés à ces maladies. Donc, ils se disent que si Dieu veut qu’on tombe malade, on tombera malade, de toute façon, il n’y a pas de vaccin, autant continuer à gagner sa vie. Certains aussi y croient, disons qu’ils vaquent à leurs occupations, ils travaillent à gagner leur vie. Il y a aussi ceux qui n’ont pas du tout cru, pour moi, ça c’est un peu lié aux conséquences de la communication gouvernementale. Il y a eu un peu des couacs, de mon point de vue. C’est-à-dire, d’un côté, la réunion du Conseil supérieur de la défense dit qu’il faut prendre des mesures de distanciation sociale, donc, on prend des décisions pour interdire des rassemblements de plus de 50 personnes. Au même moment, on fait des élections législatives qui mobilisent des milliers voire des millions de Maliens. Donc on dit c’est bizarre et ensuite la levée du couvre-feu a été pour beaucoup perçue comme la preuve que la maladie n’existait pas parce que comment expliquez que le nombre de cas de contaminations augmente au quotidien et qu’au même moment, on lève quand même le couvre-feu.

Peut-on élaborer des mesures locales adaptées à nos réalités et abandonner celles qui nous viennent d’ailleurs ?

Disons que oui et non, vous savez, la maladie à coronavirus est venue de l’étranger. C’est une maladie, on va dire importée. Comme c’est le cas, on ne connait pas la maladie et dans ce cas-là, il y a un temps de quête d’informations pour chercher à savoir déjà, qu’est-ce que c’est ? Comment ça se manifeste et pouvoir trouver des plantes que nous avons au niveau local qui peuvent aider le corps à s’immuniser, parce que c’est une maladie qui affaiblit l’immunité du corps, ça c’est le premier aspect. C’est pour ça, on est obligés d’adopter les mesures qui viennent d‘ailleurs, c’est-à-dire le port de masque, la distanciation sociale parce que l’idée c’est de réduire le contact physique, c’est de faire en sorte que l’autre qui est malade ne puisse pas nous contaminer donc en soi, ce n’est pas grave. Maintenant, est-ce qu’on peut avoir des mesures locales ? Oui ! Pour moi, notamment en termes d’appui. Comme l’Etat ne jouit pas beaucoup de légitimités auprès des citoyens, s’appuyer sur des légitimités, tels que les chefs de quartiers, le RECOTRADE (les communicateurs traditionnels), les marabouts, les muezzins pour qu’ils comprennent la maladie, de quoi il s’agit ? Et que dans les mosquées, dans les églises, dans les quartiers, qu’on puisse donner des informations par des acteurs qui, du point de vue des populations, sont des acteurs légitimes. Dans ce cas-là, quand il y a une relation entre le discours et celui qui porte le discours et, s’il y a la confiance, le message peut passer. Après, pour moi, c’est surtout l’opportunité de se poser la question de voir comment on peut valoriser au mieux, notre médecine traditionnelle. Il y a déjà une passerelle entre la pharmacopée et l’autre département de la médecine traditionnelle et, il faudrait maintenant voir quels sont les types de médicament qu’on peut utiliser pour aider le corps à s’immuniser davantage. Donc, c’est l’occasion normalement pour l’Etat, dans le budget qui a été voté, de trouver un peu d’argent, quelques milliards, pour booster le savoir local. 

Propos recueillis par Sory Ibrahim Maïga & Sory Kondo