Le lynchage des présumés voleurs et autres malfaiteurs, encore appelé « article 320 », est une pratique qui date de plusieurs années au Mali. « 320 », c’était le prix d’un litre d’essence et d’une boîte d’allumettes. Ce phénomène refait surface depuis un certain temps dans la capitale malienne. Nous avons rencontré le directeur régional de la police du district de Bamako, le commissaire divisionnaire Siaka Sidibé, qui s’exprime sur la question.
Sahelien.com : Depuis un certain temps, nous avons remarqué la justice populaire prend de l’ampleur dans la capitale malienne. Quel est l’avis de la Police par rapport à cela?
Siaka Sidibé: Le sujet de lynchage des présumés auteurs d’infraction à travers le district, ces derniers temps, a effectivement pris de l’ampleur. Cela est très préoccupant parce que nul n’ignore que la loi ne donne aucune autorisation à quelqu’un d’ôter la vie à son prochain, quelle que soit la faute commise.
Sahelien.com : Quand est-ce que cette pratique a débuté et comment en est-on arrivé là ?
Siaka Sidibé : C’est un phénomène qui a débuté dans les années 1991 (année de la révolution, ndlr). Il y a eu beaucoup de problèmes compte tenu des évènements en ce moment-là. Les forces de sécurité d’une manière générale, et la police en particulier, n’avaient plus de bonne relation avec la population à cause de ce que nous avons vécu. Aussi, les prisons étaient tellement engorgées qu’il est arrivé un moment où des manifestants se sont attaqués à certaines d’entre elles pour libérer des personnes qui y étaient gardées. Alors, nous nous sommes retrouvés en face de plusieurs malfaiteurs. Des gens souvent condamnés pour des fautes graves ou des crimes se sont retrouvés dans les rues et se donnaient à cœur joie à attenter encore aux libertés des populations. Puisque les prisons n’étaient plus très fonctionnelles, des commissariats et gendarmeries brulés et saccagés, la seule chose qui restait à la population était de rechercher ces bandits-là. À chaque faute ou infraction, ils sont tués, lynchés ou brûlés vifs. Il a fallu donc un peu de temps pour que les forces de l’ordre puissent récupérer le terrain et gagner encore la confiance des populations. Certains commissariats furent rétablis et les gens ont commencé petit à petit à remettre les malfaiteurs aux forces de l’ordre. Nous avons remarqué que c’est un phénomène qu’on appelait article 320, dans la mesure où le litre d’essence coutait 300 francs CFA et la boite d’allumettes 20 francs pour brûler les gens.
Sahelien.com : Comment est perçue cette pratique par la Police ?
Siaka Sidibé : Alors, ça choquait non seulement les forces de l’ordre et les autorités, mais aussi une très bonne partie de la population. Il faut savoir que nous sommes un pays où même quand on se lève le matin et qu’on voit un corps inanimé dans la rue, il y a toujours quelqu’un qui va le couvrir avec une natte. Mais tuer une personne parce qu’elle est suspectée d’avoir commis un vol de moto ou une infraction quelconque posait énormément de problèmes, parce que souvent, il y avait des indices qui disparaissaient. Vous conviendrez avec moi que, quand on tue une personne suspectée d’avoir volé une moto ou une forte somme d’argent par exemple, il est clair que l’enquête ne peut plus se poursuivre, le présumé auteur n’est plus là. La police n’a donc plus d’indice pour voir ce qui s’est réellement passé et avec qui il a commis ces infractions, et aussi comment il a écoulé ce produit volé, etc. On a remarqué aussi qu’il suffisait de petites choses, souvent des règlements de compte, pour qu’on en arrive au lynchage. On en a vu, des gens qui crient au voleur et la première personne qui se trouve là est prise pour cible. Il y en a qui viennent sans chercher à comprendre et se jettent dans la danse.
Sahelien.com : Que fait la Police pour éradiquer ce phénomène ?
Siaka Sidibé : Nous avions essayé de gérer cette situation, ça avait disparu, la confiance était revenue et les populations donnaient des indications sur des cas, ou alors conduisaient les suspects au commissariat. Mais ces derniers temps, ça a refait surface. Nous avons recensé plusieurs cas, des gens qui sont brûlés pendant la nuit. Il faut savoir que ce n’est pas conforme à la loi. Donc, notre rôle c’est de sensibiliser la population, leur montrer que ces pratiques sont contraires à la loi. En dépit de tout cela, si des cas de lynchage arrivent, il s’agit pour nous d’ouvrir une enquête et de traduire les auteurs devant la justice et la loi sera appliquée.
Sahelien.com : Qu’avez-vous à dire à cette partie de la population qui dit ne plus faire confiance à la police ?
Siaka Sidibé : C’est une grave erreur de ne pas faire confiance à la police. La police est créée parce qu’il y a la population. La police est créée dans le seul but de protéger les personnes et leurs biens, permettre à la population de circuler normalement sans inquiétude. C’est aussi pour que les gens puissent aller au travail, aller au champ, accompagner les enfants à l’école ou aller à un concert. Donc, la police est là pour veiller à la sécurité. Mais, on n’en veut pas trop à la population parce qu’il faut reconnaitre que, souvent, nous avons des comportements qui ne facilitent pas vraiment la compréhension d’une certaine frange de la population. Nous avons beaucoup d’efforts à fournir à ce niveau. Déjà, nous avons posé des actes et initié des sensibilisations, renforcé la discipline et fait connaitre le métier. Un bon policier qui connait le métier, qui connait son travail n’a pas besoin de se faire voir ou faire des exactions sur des populations. L’application de la loi, elle n’est pas aussi compliquée, il suffit de connaitre, savoir comment l’exercer. Pour l’instant, nous sommes à une phase où les populations reprennent confiance en leur police, grâce notamment à des actions que nous avons menées, à l’interne, dans nos commissariats, dans nos quartiers. Nous avons également mené beaucoup d’actions pour permettre à la population de comprendre d’abord notre rôle et de comprendre que nous sommes là pour elle. Nous sommes à leur disposition pour l’application de la loi et veiller à ce que les uns et les autres puissent circuler librement.
Sahelien.com : La population a besoin de la police et réciproquement. Quel est votre message à l’endroit de la population pour une collaboration plus franche ?
Siaka Sidibé : Nous ne pouvons pas travailler sans notre population. Tant que nous n’avons pas d’informations, tant que nous n’avons pas de renseignements, et tant que nous n’avons pas la collaboration franche de la population. Il y a plusieurs choses qui peuvent se passer et nous n’en saurons rien. Donc, nous avons réellement besoin de la population, elle a aussi besoin de nous. Mais notre besoin est plus grand.
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