Alors que le nouveau président de la République française, Emmanuel Macron, est attendu au Mali ce vendredi, la stratégie militaire des forces de Barkhane- qu’il doit visiter à Gao-reste au cœur des débats. Un sujet sur lequel le président français est attendu. Analyse.
Ce vendredi 19 mai, le nouveau président français, Emmanuel Macron, est attendu au Mali pour une visite d’une journée aux militaires français à Gao. Ce déplacement, depuis le début de la semaine, fait l’objet de commentaires par les médias des deux pays. En France, hier, des journalistes et entreprises de presse ont donné de la voix, en adressant une lettre ouverte au président dans laquelle ils protestent contre la gestion de sa communication à l’occasion de ce déplacement.
Passage en revue des troupes françaises de Barkhane, deux entretiens avec le président malien Ibrahim Boubacar Keïta, qui se rendra à Gao pour l’accueillir… Ainsi se présente le programme de ce déplacement d’Emmanuel Macron au Mali, la première en Afrique depuis son entrée en fonction, le 14 mai dernier. Il sera accompagné de la ministre des Armées, Sylvie Goulard et de celui des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian. A Paris, des voix ont émergé pour dire que le nouveau président aurait pu passer d’abord par N’Djamena, pour saluer le Général de division Xavier de Woillemont qui commande la Force Barkhane. Dans ces conditions, il serait obligé de rencontrer Idriss Deby Itno, et, pour certains, prêteraient ainsi le flanc à beaucoup de critiques.
Cette visite, on le sait, intervient dans un contexte marqué ces dernières années par l’intervention militaire française au Mali, en janvier 2013, pour stopper l’avancée des hordes de barbares d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), du Mouvement pour l’unicité et le djihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO), d’Ançar Eddine. Cette intervention a surtout permis au Mali de poursuivre le processus politique, ainsi que de reconstruire ses forces de sécurité. Mais les efforts politiques du gouvernement malien n’ont porté leurs fruits que lorsque les groupes armés ont finalement signé les Accords d’Alger, le 20 juin 2015, permettant aussi au pays d’engager des initiatives de reformes militaires.
Mais, aujourd’hui, selon l’avis le plus partagé, la situation en général s’est moins améliorée qu’on l’espérait quelques mois après le déclenchement de l’opération Serval, remplacée en août 2014 par celle de Barkhane, dont les forces ont vocation à combattre les terroristes dans le Sahel. Dans un récent rapport intitulée « Mali’s Next Battle », publié en avril 2017, l’organisation de recherche basée en Californie, RAND Corporation, note que « la menace terroriste est persistante, et plus inquiétante par certains côtés. Le processus politique, malgré la signature des Accords d’Alger, reste fragile et peu susceptible de donner ce que les partenaires internationaux du Mali attendent… »
La menace terroriste a resurgi au Mali. Les combattants islamistes sont actifs. Les attaques de type guérilla, les engins explosifs improvisés, et autres formes de guerre asymétrique font désormais partie du quotidien des populations dans le Nord aussi bien que, de plus en plus, dans le Centre (Mopti, Segou, Koulikoro). Selon le même rapport, il est difficile de dire ce qui est à l’origine de cette augmentation du niveau de la violence : « Les djihadistes ont peut-être de plus en plus de recrues ou de fonds, ou ont simplement compris comment vaincre les tactiques des forces armées du Mali, de la MINUSMA ainsi que de la France. » Bien qu’il soit admis que l’opération Serval a diminué de façon significative la capacité des islamistes ainsi que le nombre de leurs combattants. La méthode employée par Barkhane, dans le désert, est décrite comme « une stratégie de décapitation » visant les leaders djihadistes. Ainsi, les forces françaises ont tué, en décembre 2014, Ahmed al Tilemsi, l’un des leaders et membres fondateurs du MUJAO, ainsi que Oumar Ould Hamaha.
De plus en plus, des experts remettent en question cette stratégie qui ferait l’impasse sur les causes profondes du terrorisme au Mali. Surtout qu’il ressort de plus en plus des travaux effectués sur le terrain que les groupes terroristes bénéficient de soutien et de collusion avec des communautés, dont les motivations résident dans des considérations d’ordre économique et politique, en plus de celles religieuses. Dans une récente interview qu’il accordée à Sahelien.com, Yvan Guichaoua, spécialiste du Sahel et des questions de sécurité, explique que « malgré Barkhane, l’activité jihadiste n’a pas faibli. Elle s’est même intensifiée et étendue géographiquement en 2016. Et l’année 2017 a commencé de la pire des manières possibles, par l’horrible attentat du MOC de Gao. Le changement n’est pas seulement quantitatif ou géographique, il est aussi qualitatif : les jihadistes travaillent sous une bannière désormais plus unifiée, celle du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans d’Iyad Ag Ghaly, (même s’il existe une concurrence incarnée par Abou Walid Al Sahraoui ou Malam Dicko) et complexifient leur mode opératoire. Ils sont obligés de s’adapter à l’opposition que leur livre Barkhane. »
Une analyse qui vient rappeler que le bout du tunnel dans le conflit malien est encore loin. Et à la proposition la société civile malienne et de certains partis politiques de négocier avec certains djihadistes maliens, tels que Iyad Ag Ghaly et Hammadoun Koufa, Paris oppose une fin de non-recevoir, préférant s’en tenir au postulat selon lequel « On ne négocie pas avec les terroristes ». S’il y a un sujet sur laquelle Emmanuel Macron est attendu au Mali, c’est bien cette stratégie de Barkhane de plus en plus discutée dans une région du Sahel où, en manque de solutions, la Communauté internationale tente tant bien que mal de contenir le problème, l’empêcher d’exploser. Car le Sahel est devenu une poudrière.
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