Dans cette deuxième et dernière partie de notre grand reportage sur cette pratique ancienne qui persiste dans beaucoup de localités du Mali, notamment dans la région de Kayes, nous allons évoquer les pistes de solutions pour venir à bout de ce phénomène.
« Depuis la nuit des temps, on parlait d’esclavage lorsque les gens ramenaient des captifs et, ce sont eux qui étaient considérés avec eux comme esclaves », rappelle Salif Diarra, un chef de quartier à Kayes. Mais depuis 1905, alors que le Mali était sous occupation française, l’esclavage a été officiellement aboli par l’administration coloniale.
La pratique de l’esclavage par ascendance avait donc cessé dans certaines régions comme à San avec l’arrivée des missionnaires. « Pour ceux qui devenaient chrétiens, il n’était plus question d’être esclave et fils d’esclave. Ceux qui voulaient se prévaloir d’avoir des gens qu’ils ont possédés avant, ça se terminait devant les tribunaux. A cette époque-là, les tribunaux y étaient surtout des colons, la plupart des gens étaient d’origine française. C’était aboli », indique l’Abbé, Dr Zufo Alexis Dembélé.
L’esclavage est combattu aussi bien dans la religion chrétienne que musulmane. « La Sourate N°4 nous dit que O les gens ! Craignez votre Seigneur qui vous a créés digne de cela. Nous sommes tous d’une seule âme, nous sommes tous d’Adam et d’Eve. Donc, il n’y a aucune supériorité pour l’un parce qu’il est maître et pour l’autre parce qu’il est esclave. Non, ces considérations n’ont jamais existé en tant qu’enseignement islamique. Au contraire, l’islam est venu s’associer à ceux qui luttent contre », explique l’Imam Alassane Bah.
Un débat
Au Mali, la pratique de « l’esclavage par ascendance » fait débat comme dans la région Kayes à l’ouest du pays. « Ça a commencé depuis le temps de nos ancêtres. Il faut qu’on dise ça clairement, si tu vois qu’on traite un tel d’esclave, c’est qu’il porte un nom Bamanan. Moi, je suis un Diarra, il y a les Keita ici, tout comme les Sissoko, tous ceux qui ont un nom Bamanan. Il y a fort longtemps au Mali, beaucoup de Bamanan ont émigré dans les villages Sarakolé sans comprendre la langue. Donc, dans la cohabitation, ils les traitent d’esclave. L’étranger est bien traité avec toutes les commodités. Ils ne savent pas ce qui se passe vu qu’ils ne comprennent même pas la langue. Ils leur donnaient des femmes esclaves à marier, des champs, que du confort. Quand ils vont s’en rendre compte qu’il y avait autre chose derrière ces cadeaux, c’était trop tard, car c’était allé bien loin. Nos ancêtres ont accepté cela. Mais nous au 21eme siècle, nous sommes venus dire stop », affirme Mamarata Diarra, vice-président de l’association Ganbana.
Pour Barka Boubacar Xavier Traoré, chef du village de Yélimané et président de l’Association des chefs de village du Cercle de Yelimané, «ceux qu’on appelle esclaves sont venus avec des gens. Ce sont certaines familles qui les ont amenés et qui les ont eu dans certaines conditions. Soit sur un terrain de guerre, soit par achat. Maintenant, s’il y a un conflit, c’est obligatoire qu’ils aillent en parler au chef de village. Une fois chez le chef, lui aussi défend les coutumes. Ce qui pose le vrai problème.»
Sur la question de spoliation des terres, le chef Xavier Traoré affirme que les terres ont été prêtées pour la culture et donc, quand ces personnes refusent la tradition, les propriétaires terriens décident de leur retirer l’espace. « Il y a mésentente autour des terres. Pour cela, je vais donner une explication pour que les gens comprennent. Moi, je suis le chef dans ce village. Il y a des terres publiques qui sont appelées les terres de Yelimané et elles sont sous ma responsabilité. Par exemple, on peut déléguer une personne, s’il doit y avoir les circoncisions ou l’initiation des filles, c’est elle qui va les surveiller. Donc, on peut se réunir et décider de léguer une parcelle d’un demi ou d’un hectare pour qu’elle puisse la cultiver et se nourrir. Maintenant, le jour où cette personne décide de ne plus faire ce travail, la parcelle revient à son successeur. Les gens disent ainsi qu’on retire des terres mais ce n’est pas le cas », déclare-t-il.
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Selon Soumaïla Diakité, maire de la commune rurale de Guidimé,« les rumeurs existent dans le Cercle, mais c’est l’incompréhension et la manière de faire qui compliquent la chose, parce que d’autres choses se mélangent aux traditions. Si tu regardes le Mali, il a été bâti sur des coutumes et traditions qui, en avançant, ont rencontré des difficultés », affirme-t-il.
Et de poursuivre : « mais pour le Cercle quand même, nous sommes en train de dialoguer entre nous là-dessus pour que règne toujours la paix. La solution que nous voyons à cela, c’est que l’Etat fasse des rencontres pour discuter afin que le problème ne s’amplifie pas à l’avenir. Sinon le dialogue est en cours dans des endroits. Même dans ma commune, ça existe dans certains endroits mais Dieu merci, on essaye de prévenir les conséquences. En fait, quand tu écoutes les rumeurs, ce qu’ils disent ce n’est pas arrivé à ce niveau. »
Face à la gravité des actes dénoncés par les militants anti-esclavagistes, et les organisations de défense des droits de l’homme, les horons (« nobles ») accusent une partie de la diaspora d’avoir instrumentalisé des personnes pour saboter une pratique culturelle. Selon l’un des chefs de village du Cercle de Diéma qui a souhaité garder l’anonymat, « il ne s’agit pas d’une pratique de l’esclavage, mais plutôt d’une culture ancestrale. » Il accuse ces personnes de la diaspora : « des gens qui vivent en Europe sont venus un matin pour saboter notre culture parce qu’ils ont eu de l’argent maintenant. Tout ce qui se dit autour du sujet est faux. Nous savons que c’est un fonds de commerce pour certains auprès des européens.»
Quelles solutions ?
Des solutions internes soutiennent ces leaders communautaires pour venir à bout de cette pratique. « Il faut qu’on fasse des sensibilisations. Ça ne peut être combattu sans cela. Rien d’autre ne pourrait être fait sans qu’on ne sensibilise pas pour se comprendre. Mais, il y en a qui ne vont jamais comprendre quoi que tu fasses. Ni les autorités, ni la justice ne peuvent mettre fin à cela, puisque c’est assez difficile. Mais, il n’y a rien d’autres à faire que de se comprendre et que dire que si on regarde du côté religieux, il n’y a pas d’esclavage », indique Salif Diarra, chef du quartier Liberté.
Selon le chef du village de Yélimané, les autorités ne doivent pas intervenir. « Que les autorités essayent de ne pas s’y mêler, de nous laisser entre nous, ça va prendre fin. Tant qu’elles sont présentent, ça ne va jamais finir. Et puis, l’esclavage n’est pas quelque chose de légiféré c’est-à-dire, il n’y a pas de loi au Mali qui puisse punir quelqu’un qui dit à son prochain esclave, non. Mais les actions qui s’en suivent par exemple mettre l’embargo sur les gens, qu’ils ne puissent pas acheter à la boutique, frapper leurs enfants, ne pas sortir, ni pourvoir prendre de l’eau chez vous et j’en passe. C’est cela les infractions et qui doivent être punies et jugées par la loi.»
« Ce n’est pas les instruments juridiques qui manquent », répond Aguibou Bouaré, président de la Commission nationale des droits de l’homme (CNDH). « La loi fondamentale du Mali proscrit toute forme de discrimination fondée sur l’origine, la race, la couleur de la peau, etc. Au même moment, toutes les violences qui sont liées à cette pratique sont prévues et punies par le code pénal du Mali. Donc, il n’y a pas d’échappatoire à ce niveau, dire qu’il n’y a pas une loi spéciale sur l’esclavage qui pourrait empêcher ou freiner l’Etat dans ce combat. Nous nous pensons que les dispositifs juridiques existent. Il reste beaucoup plus d’implications de la justice pour punir et sanctionner les cas de violence qui résultent de ces pratiques-là. Parallèlement, nous continuons le combat pour l’adoption d’une loi qui criminalise l’esclavage comme c’est le cas en Mauritanie et au Niger », explique-t-il.
En plus des dispositifs juridiques, la CNDH propose des stratégies qui reposent sur trois piliers. « Il faut informer, sensibiliser dans un premier temps parce que dans ces zones, il y a beaucoup d’analphabètes qui ne comprennent pas qu’au 21e siècle, on ne peut pas continuer à faire la promotion de l’esclavage. En plus de l’information, il faut le plaidoyer. C’est auprès des autorités également, même à ce niveau, les gens ne sont pas en mesure de faire la part des choses par rapport à un certain nombre de concepts de principes. Il faut les approcher, leur expliquer et mettre le doigt sur leur responsabilité. Le 3e pilier, c’est la répression. Lorsqu’à l’interne, la répression n’est pas suffisante, on est obligé d’impliquer la communauté internationale », a-t-il exposé. « Imaginez-vous qu’au 1er septembre 2020, on a battu à mort quatre personnes et jetées dans la mare parce qu’elles ont refusé leur statut d’esclave. A ce jour, il y a des centaines de personnes qui sont menacées. Ça ne peut pas continuer », a ajouté M. Bouaré.
La pratique de l’esclavage est un sujet « extrêmement sensible« , a déclaré Premier ministre, Choguel Kokalla Maïga, le 2 août dernier devant le Conseil national de transition. « C’est des sujets sur lesquels, en six mois, on ne peut pas changer beaucoup de choses. (…) Mais, il faut dialoguer, il faut expliquer, il faut convaincre. Le moment de légiférer ou d’imposer les lois viendra« , a-t-il défendu.
Michel Yao, Mody Kamissoko, Hawa A. Coulibaly, Téa Ziadé, Augustin K. Fodou
*Réalisé avec le soutien du Programme Sahel de l’IMS, financé par DANIDA.
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