De nombreux pachydermes vivaient dans ce vaste espace compris entre les régions de Mopti, Tombouctou et Gao. Avant la crise de 2012, ils étaient estimés entre 350 et 400. Mais leur nombre tend à diminuer à cause de plusieurs menaces : les aléas climatiques et la situation d’insécurité qui prévaut dans la zone. En reportage sur le terrain, nous avons été stoppés par des hommes armés. Après plusieurs heures de négociation et d’explication, ils nous ont laissé partir à condition de ne plus filmer les éléphants.
Dans la zone, sévissent des groupes armés comme la katiba du Macina et le groupe Etat islamique dans le grand Sahara et le Sahel. Les agents de l’Etat malien et les ONG n’interviennent plus directement. Malgré les difficultés du terrain, nous partons sur les lieux pour un reportage inédit.
Déjà dans la ville de Mopti, nos interlocuteurs nous déconseillent fortement de nous aventurer dans cette zone au risque d’être enlevé ou même tué. Mais nous avons la chance de rencontrer par le biais de personne interposée un chasseur que nous allons appeler par ses initiales A. I. Il accepte volontiers d’être notre guide et nous rassure : « je sais exactement où se trouvent les éléphants. Ne vous inquiétez pas, je suis né ici et je vous amènerai à bon port », dit-il. Tant le courage et l’enthousiasme d’A. I. nous intriguent, tant son sens éveillé du dialogue et sa connaissance de la zone nous rassurent.
Arrivés vers 23h à N’gouma, environ 60 km à l’ouest de Douentza, nous y passons la nuit. A notre réveil, le village est calme ce matin-là. Des enfants pieds et torses nus se baladent, des femmes partent puiser de l’eau, des hommes dans des charrettes à traction animale se suivent. A première vue, ce village semble paisible. Ici, il n’y a ni armée, ni administration. L’école est fermée depuis 2015.
Dans le village, si certains trouvent que la présence des éléphants dans la zone est une bénédiction divine, « c’est grâce à eux que l’hivernage sera productif », c’est plutôt un business pour d’autres, comme cet ancien braconnier qui a requis l’anonymat. Il dit avoir abandonné cette pratique après que les djihadistes ont interdit, à tous ceux qui ne sont pas dans leur mouvement, de porter des armes. Aussi, il lui fallait « toute une équipe pour tuer un éléphant et arracher les défenses. C’était beaucoup de dépenses ».
Un kilo d’ivoire peut coûter 200.000 F CFA
Selon les infos recueillies, les acheteurs préfèrent des ivoires nouvellement arrachés. Ils viennent surtout du Burkina Faso, du Sénégal et d’Algérie. «Le kilo se vendait à 40.000F CFA sur place, ceux d’Algérie donnent plus d’argent jusqu’à 60.000 F. Et, lorsque les ivoires sont acheminés à Bamako, le kilo peut être vendu à 200.000 F», précise notre interlocuteur avant d’ajouter que l’ivoire d’un éléphant adulte peut atteindre 7 à 8 kilos.
En juin 2018, une dizaine d’éléphants ont été abattus, en un seul jour, par cinq à sept personnes, à bord d’un pick-up, avec des armes automatiques près d’Er Nafol. Depuis lors, les groupes armés disent assurer la protection des pachydermes, nous confie notre guide. Ce dernier nous demande de reprendre la route pour la forêt de Kararou, à 30 km de notre position.
La forêt est immense et commence à se verdir grâce à quelques millimètres de pluie tombée avant notre arrivée, en témoigne les flaques d’eau. De la végétation à perte de vue, aucune habitation aux alentours. Pour notre guide, « les éléphants sont surement du côté de la grande mare. Nous allons devoir continuer dans la direction opposée », recommande-t-il.
Les éléphants sont très dispersés et se déplacent en fonction de la disponibilité de l’eau et du pâturage. Lors de notre progression, A. I. nous fait savoir qu’il « est fort probable que nous croisions des hommes armés. Ne paniquez pas ! Nous allons leur expliquer la raison de notre présence, c’est tout ».
A peine avoir localisé un troupeau d’éléphants à 100 mètres de notre position, et le temps de filmer quelques séquences, une vingtaine d’hommes lourdement armés nous interpellent. Ils nous sommèrent d’arrêter avec les armes pointées sur nous.
Ils viennent à nous et nous demandent de nous identifier en s’adressant en langue peule. Notre guide qui comprend bien cette langue tente de leur expliquer qui nous sommes et ce que nous faisons. Sa tentative reste vaine. Après plusieurs heures de négociation et d’explication, et surtout la notoriété de notre guide dans la zone, ils acceptent de nous laisser partir à condition de ne plus filmer.
A Bamako, nous rencontrons M. Nomba Ganame, le représentant de The Wild Foundation. Depuis 2002, cette ONG internationale s’est donnée pour mission de protéger les éléphants du Mali. « À partir de 2002, il y a eu des études scientifiques et des poses de collier qui permettent de voir tous les mouvements de migration des éléphants dans leur habitat naturel et qui les amènent jusqu’à la frontière du Burkina Faso », indique-t-il.
En 2010, le Mali a perdu entre « 26 à 36 éléphants », et de 2012 à nos jours, les pertes s’élèvent à plus de 160, à cause essentiellement du braconnage et de la situation sécuritaire dans la zone, « une catastrophe écologique », selon Nomba Ganame.
La biodiversité perturbée
Les changements climatiques et les actions parfois incontrôlées des populations notamment les agro-pasteurs, les éleveurs semi-nomades et les nomades transhumants sont aussi des menaces qui pèsent sur ces pachydermes.
Pour valoriser et protéger cette biodiversité, le Mali et ses partenaires ont élaboré un plan dans lequel plusieurs activités sont prévues. Le Département des Eaux et Forêts bénéficie de fonds allant jusqu’à 100 millions de FCFA. « C’est avec ça qu’on réalise des points d’eau. Les mares qui sont pérennes s’assèchent. Celle qui est un peu viable est envahie par des troupeaux maliens et même des troupeaux étrangers, mauritaniens et burkinabé, etc. C’est la marre de Banzéna. C’est le principal point d’abreuvement des éléphants », a indiqué le Commandant Amadou Sow, des Eaux et Forêts, à Sahelien.com.
Pour limiter la pression sur cette mare, « on a fait un plan d’action pour situer, localiser beaucoup de points, notamment les fractions, les lieux de regroupement pour réaliser des forages à grand diamètre avec des châteaux d’eau, d’équipements solaires, des bassins, et bornes fontaines. Quand les populations ont ça à leur niveau, elles n’auront plus besoin d’aller à la marre qui, à un moment donné, rend même malades, parfois devient l’eau impure », a poursuivi l’officier des eaux et forêts.
Avec l’insécurité qui règne dans plusieurs localités du Mali, les représentants et symboles de l’Etat sont des cibles pour les groupes armés terroristes. Dans le Gourma, The Wild Foundation continue d’intervenir à travers des jeunes locaux formés appelés « Eco gardes ». Ces derniers préparent même un nouveau comptage des éléphants pour l’année prochaine. « Ils sont formés en relevé GPS, prises de photo, manipulations de GPS et sont en train de compter les éléphants actuellement. C’est un essai pour pouvoir faire un comptage beaucoup plus sérieux en 2020 », souligne M. Nomba.
Un avion dédié à la surveillance
La Mission onusienne au Mali (Minusma) soutient également les autorités dans la lutte contre le braconnage. En 2016, elle a débuté la première phase d’un projet qui a pour objectif de « contribuer à améliorer la sécurité des communautés locales dans la zone vulnérable du Gourma en renforçant les capacités opérationnelles des gardes forestiers pour lutter contre le braconnage et les activités des groupes armés, qui menacent l’existence de la population d’éléphants du Mali ».
Comme résultat de cette phase, il y a « la baisse du nombre d’éléphants tués par des braconniers. Entre avril et septembre 2015, 41 éléphants ont été tués par des braconniers, alors qu’aucun éléphant n’a été tué jusqu’en mars 2018 », a indiqué la Minusma à Sahelien.com. Pour renforcer la surveillance, un avion de reconnaissance léger a été remis aux autorités en décembre 2018. L’appareil servira aussi à faire la « coordination sol-air en temps réel » pendant les opérations.
Toujours selon la Mission onusienne, cette deuxième phase du projet (en cours), « consiste à continuer de former et d’équiper la brigade mixte de lutte contre le trafic composée d’éléments FAMa-Gardes Forestiers et comprendra la construction d’une base pour les patrouilles et d’un hangar de protection pour l’avion ». Les communautés
Un aspect important de la formation et du fonctionnement de cette brigade mixte est son engagement actif auprès des communautés locales. Cela comprend « la collecte proactive d’informations par la mise en place de réseaux d’informateurs de confiance au sein de la communauté, la sensibilisation à la situation critique des éléphants et l’assistance directe aux communautés sous la forme d’une aide médicale ».
A ce jour, 1,005,900 dollars américains (environ 591 millions de FCFA) ont été alloués dans le cadre de ce projet, précise la Minusma.
Sahelien.com
*Réalisé avec le soutien du Programme Sahel de IMS, financé par DANIDA
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