La tension a baissé temporairement dans la capitale malienne, ce mardi 14 juillet après plusieurs journées de violence. Le Mouvement du 5 juin qui exige la dissolution de l’Assemblée nationale et la démission du président de la République a déclenché, le 10 juillet, la désobéissance civile. Plusieurs organisations internationales sont préoccupées par l’évolution de la situation. Une nouvelle manifestation est prévue le 17 juillet prochain.
Des banques et commerces ouverts, pas de barricades à la montée et descente des ponts, encore moins de gaz lacrymogène et tirs à balle réelle de la police. Dans la journée, la ville de Bamako a trouvé son souffle, après quatre jours de violence. Mais vers la soirée des jeunes ont posé des barricades sur certaines voies principales.
C’était le vendredi 10 juillet que le Mouvement du 5 juin a déclenché une « désobéissance civile » au Mali lors de leur 3e grande manifestation. Le même jour, l’Assemblée nationale et le Haut conseil des collectivités ont été saccagés et des bureaux et véhicules incendiés. La chaîne nationale a été prise d’assaut par des manifestants le même vendredi. Les ponts et des grandes artères ont été barricadés. Les stations-services des multinationales n’ont pas été épargnées. Le bilan humain est lourd : plus de 10 personnes tuées et plus de 100 blessées par balle, selon les responsables du M5. Ils accusent la Force spéciale anti-terroriste (Forsat) d’avoir tiré à balle réelle sur les manifestants à Badalabougou, fief du parrain de la contestation, Mahmoud Dicko. « Nous appréciations nos forces spéciales quand ils sont sur les théâtres d’opération, mais pas dans le maintien d’ordre », a souligné Me Mountaga Tall du M5.
La Primature ouvre une enquête sur l’emploi de la Forsat
Les Maliens sont surpris de voir la participation de la Forsat dans le maintien d’ordre depuis quelques temps. Sa première sortie remonte au mois de mai à Sikasso, capitale de la région sud du Mali. La force spéciale anti-terroriste a mis fin à la contestation des résultats des élections législatives en tirant à balle réelle sur les jeunes. Bilan: un mort et des blessés.
« La Forsat est chargée de lutter contre le terrorisme sous toutes ses formes. Aucune autre mission de Sécurité ne peut lui être assignée », tranche l’article 2 de l’arrêté 2016-0592/MSP-SG portant création de la Forsat. « La Forsat a une compétence nationale et n’intervient que sur ordre du ministre de la Sécurité », précise l’article 3 du même arrêté.
La sortie la force contre les manifestants les 10 et 11 juillet a suscité beaucoup de réactions puisque qu’elle intervient à un moment où le poste du ministre de la Sécurité est vacant depuis un mois suite à la démission du gouvernement. Face à la dénonciation des médias et internautes, le Premier ministre (reconduit à son poste et chargé de former un nouveau gouvernement, ndlr) a annoncé ce mardi 14 juillet, l’ouverture d’une enquête sur « l’emploi de la Forsat ».
« Il m’est revenu de constater que la Forsat rattachée au ministère de la Sécurité a été employée lors des opérations de maintien d’ordre du 10 juillet et jours suivants, pour appuyer les unités des forces de sécurité déployées dans le cadre de la sécurisation des manifestations de désobéissance civile organisée par le M5-RFP. Je vous instruis de procéder aux investigations nécessaires en vue de me préciser les raisons de l’engagement de la Forsat, l’autorité ayant ordonné l’engagement et le respect ou non de la procédure prévue en matière », indique Dr Boubou Cissé, dans une correspondance adressée au ministère de la Sécurité.
La communauté internationale privilégie le dialogue
Dans une déclaration commune, le 12 juillet, les représentants de la Cédéao, de l’Union africaine, de l’Union Européenne et des Nations unies au Mali ont exprimé leur préoccupation de l’évolution de la situation suite au meeting du 10 juillet du M5. Ils ont « condamné avec rigueur toute forme de violence comme moyens de règlement de la crise socio-politique ». Les représentants des organisations internationales ont condamné aussi « l’usage de la force létale dans le cadre du maintien d’ordre et invité toutes les parties prenantes et leur demandé de toujours privilégier le dialogue, la concertation et les canaux pacifique de résolution de crise ».
Amnesty International exige l’ouverture d’une enquête
L’organisation internationale de défense des droits de l’Homme exige que « les autorités maliennes doivent immédiatement enquêter sur les circonstances de la mort d’au moins 11 personnes dont un mineur de 15 ans, au cours des manifestations du week-end. Elles doivent se conformer à leurs obligations constitutionnelles et internationales en matière de respect de la liberté de réunion pacifique et d’interdiction de l’usage excessif de la force ».
« Au moins 80 manifestants ont été blessés lors de la répression par les forces de sécurité. Il faut mener dans les meilleurs délais une enquête rigoureuse, impartiale et indépendante et déférer à la justice toutes les personnes suspectées d’homicides ou autres violations des droits humains contre les manifestants », insiste Amnesty International dans son communiqué. Il affirme également que « la décision de perturber l’accès à Internet et aux réseaux sociaux comme Facebook, WhatsApp, Twitter ou Messenger pendant les jours de manifestations constitue une violation du droit à la liberté d’expression » souligne le communiqué.
Le Barreau pénal international à un œil sur la situation
La situation au Mali préoccupe également le Barreau pénal international. Dans un communiqué, le BPI affirme qu’il « suit avec une particulière attention la situation du Mali depuis des semaines ».
«Les interventions disproportionnées des forces de l’ordre les 10 et 11 juillet sont venues noircir dramatiquement le tableau. Nous exigeons que les responsables de ces tueries répondent de leurs actes. Précisément parce que l’impunité dont jouissent ceux qui perpétuent, depuis des mois, des tueries dans le Nord et le Centre du pays indigne le peuple malien, les forces de l’ordre doivent être exemplaires. Les forces de l’ordre doivent répondre de leurs actes comme tous ceux qui massacrent et défient les lois dans un pays ensanglanté », soutient Dragos Chilea, président du BPI. L’organisation internationale des barreaux invite les parties maliennes au dialogue.
La Cour pénale internationale bientôt saisie
Au cours d’une conférence de presse, ce mardi 14 juillet, les responsables du M5 ont annoncé une nouvelle manifestation dans trois jours. Ils entendent saisir également la Cour pénale internationale. « Nous allons d’abord rendre visite aux blessés. Une prière collective et de sacrifice sera organisée le 17 juillet à la mémoire des victimes. Un collectif d’avocats a été constitué déjà pour introduire une plainte à la CPI en vue de situer les responsabilités sur les massacres », a soutenu Me Mountaga Tall, un des responsables du M5. L’avocat a assuré que les 10 commandements de la désobéissance civile restent en vigueur.
Une mission de la Cédéao attendue ce mercredi
Dans un communiqué rendu public, mardi soir, la présidence annonce la venue d’une délégation de Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest. « Dans le cadre de la facilitation du dialogue entre les parties à la crise politique en cours, une mission de la CEDEAO est attendue à Bamako le mercredi 15 juillet 2020. Elle sera conduite par Son Excellence Monsieur Jonathan Goodluck ancien président de la République fédérale du Nigeria et comprendra des présidents de cours constitutionnelles conformément à l’annonce faite par le Chef de l’État, son Excellence Monsieur Ibrahim Boubacar Keita, dans ses précédentes adresses », précise la note.
M. A. Diallo, Sory Ibrahim Maïga, Sory Kondo