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Mali : plusieurs personnes ont subi des violences pour avoir dit non à « l’esclavage par ascendance » (1/2)

Plus d’une centaine de personnes, originaires de plusieurs villages de la région de Kayes, ont fui leurs localités pour trouver refuge à Bamako en mai dernier. Elles sont considérées comme des « esclaves par ascendance » dans leurs communautés et sont victimes, pour la plupart, de tortures ou sévices pour s’être révoltées contre cette pratique.

C’est une pratique ancienne qui persiste dans beaucoup de localités du Mali et accentuée dans la partie ouest du pays. Depuis 2018, de plus en plus de familles qui vivent cette situation, se révoltent pour dire non à ce système de castes. Un refus qui est à la base des violences à leur encontre et qui augmentent ces dernières années. « Pendant trois jours, ils (« maitres ») nous ont privés de sortie, de manger, même de se rendre à la boutique. Nous leur avons obéi et nous sommes restés chez nous. C’est après qu’ils sont arrivés, la nuit, dans nos habitations avec des bâtons et cailloux pour casser nos portes et commencer à nous frapper. Ils ont même battu une vieille dame chez nous avec le bâton. Au lever du soleil, ils nous ont dit de quitter leur village sous peine de nous exterminer », raconte Kadiatou Kanouté, une rescapée.

Contraints de quitter leur village, ils ont tout abandonné sur place. « Si jamais tu refuses d’obéir, soit on te frappe à mort, soit on te retire tes champs ou maraichages pour les détruire », poursuit Kadiatou qui indique que leur stratégie c’est de « détruire nos fortunes, laisser tout le monde dans la faim. » Et de s’interroger:« Existe-t-il une tradition dans laquelle tu n’es propriétaire d’aucun de tes propres biens ? » « On nous interdit même l’eau, raison pour laquelle nous avons quitté le village », a-t-elle ajouté.

Plusieurs cas de torture

Tountoun Diarra, un autre rescapé, refusant d’être traité comme esclave a essuyé des coups violents, qui ont failli lui ôter la vie.« Entre temps, mon ami m’a appelé de la France vers 15h me disant d’aller retirer de l’argent qu’il m’avait envoyé à Farabougou. Quand je suis sorti, il y avait déjà l’embargo et l’ordre de ne pas sortir. J’ai donc pris la moto pour aller prendre l’argent. Sur la route, ils m’ont intercepté et m’ont demandé où j’allais. »

Après leur avoir répondu, « ils m’ont dit qu’on ne nous avait-il pas ordonné de ne pas sortir ? J’ai dit qu’il était interdit de sortir dans la ville mais aller d’une ville à une autre n’est-il pas possible ? Ils ont répondu que non. Alors, on s’est beaucoup disputé. Ils ont dit que je voulais fuir, j’ai dit non que je vais juste chercher mon argent et revenir. Sans rien voir venir, ils m’ont frappé avec des bâtons. Je n’ai pas pu récupérer l’argent, je suis donc retourné en famille.»

Arrivés dans la capitale malienne, certains ont trouvé refuge à la Cité des enfants. « 129 personnes au total, enfants, jeunes comme vieux », souligne Maramata Diarra, Vice-président du Rassemblement malien pour la fraternité et le progrès. «Ça c’est seulement à la Cité des enfants. Ceux qui sont à Kabala et à Sénou sont aussi à part. Mais, ils ont tous été chassés de chez eux. Il y en a qui sont également à Manbri et à Nioro du Sahel », précise-t-il.

Et de relater les conditions atroces dans lesquels certains sont morts. « S’agissant de Mountaga Diarisso et ses quatre cousins décédés en plus leur maman, victime de cette crise, ils lui ont crevé un œil, ensuite coupé une oreille et tué ses deux fils sous ses yeux. Les deux fils étaient venus d’Espagne pour les vacances, mais ils ont été tués parce qu’ils ont refusé d’être des esclaves. Donc, la vielle était totalement traumatisée au point qu’elle en est morte quelques jours plus tard. »

« Tout ce que nous demandons, c’est notre liberté »

Défendant ses droits et libertés, Souleymane Sidibé, natif de Lany Gadiaga a aussi failli perdre la vie en avril 2020. Rencontré à Kayes, il explique que tout est parti de leur adhésion à l’association Ganbanaaxu, créée en 2017 pour défendre le droit des personnes traitées d’esclaves. « Le 5 avril 2020, j’étais en train d’arroser mes briques à la maison quand la nouvelle m’est parvenue que des personnes de 3 villages se réclamant être les « horons«  (nobles) sont en train de tabasser nos militants au terrain de football. Tous ceux qui se réclament de cette pratique humiliante ont attaqué nos familles. Le bilan était d’un mort et plusieurs blessés. C’est déplorable et nous ne sommes pas en mesure d’aller dans nos champs depuis ce jour », a-t-il indiqué. Et de marteler : « Tout ce que nous demandons, c’est notre liberté. »  

Isolés

Comme Souleymane, Ibrahima Konaté, vivant à Lany, est aussi victime de la pratique de « l’esclavage par ascendance ». «Quand vous n’êtes pas d’accord avec cette pratique, ceux qui se disent maitres vous bannissent de tous les affaires du village. Depuis que cette lutte a commencé, nous sommes exclus et privés de nos droits dans le village. Nous avons connu la pire forme de toutes les difficultés et humiliations. Nos parents, femmes et enfants ont été torturés. Après le 5 avril, le lendemain ils ont repris les hostilités en mettant le feu dans nos maisons et c’est là que ma femme enceinte a perdu son bébé

En dehors des autres actes de tortures physiques et psychologiques, les victimes de l’esclavage par ascendance sont spoliées des espaces cultivables lors de l’hivernage. En état de précarité alimentaire, elles fuient les persécutions liées à cette pratique.

Selon des experts de l’ONU, les incidents sont en augmentation dans la région de Kayes, avec deux fois plus de personnes blessées  pour la plupart des « esclaves par ascendance » – cette année qu’en 2020.

Michel Yao, Mody Kamissoko, Hawa A. Coulibaly, Téa Ziadé, Augustin K. Fodou

*Réalisé avec le soutien du Programme Sahel de l’IMS, financé par DANIDA.

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