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jeudi, 18 avril, 2024

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Mali: quelle issue pour la transition ?

Ce week-end, deux rencontres liées à la transition au Mali sont attendues. Il y a d’abord, le début des Assises nationales de la refondation, samedi, et le lendemain, un sommet des chefs d’Etat de la Cédéao. Deux rencontres qui aborderont, entre autres questions, la durée de la transition. Un sujet diversement apprécié au Mali.

Respect des échéances électorales ou prolongement de la durée de cette transition ? Les avis sont partagés. Pour Allassane Guiteye, un habitant de Gao, dans le cadre de la « refondation, les gouvernants doivent écouter les gouvernés. Ils (gouvernants) ont compris que le peuple veut réellement la prolongation. Nous le voulons, parce que tout simplement nous pensons qu’il faut fonder d’abord les bases, il faut refonder le pays. Nous le voulons parce que tout simplement, nous pensons qu’il faut donner du temps.»

Ce n’est pas l’avis de Kadiatou Traoré, membre de la société civile à Gao. « Ils ont dit que les 18 mois de la transition ne seront prolongés d’une journée, mais on sent qu’ils veulent une prolongation. C’est là le problème, parce qu’ils ont juré devant le peuple, devant la Cédéao que les 18 mois de la transition ne seront pas prolongés. S’ils le font, l’argent qui ne rentrera plus dans le pays et rien ne sortira non plus. Si les salaires sont bloqués, qu’est-ce que la population va faire ? »

Toujours à Gao, Kader Touré se pose également des questions notamment concernant l’issue de la transition. « Pour la transition au Mali, je suis très sceptique en ce sens que jusqu’à preuve du contraire, nous n’avons pas une image de la destination, de la finalité de la transition. Et ce qui m’inquiète le plus, c’est qu’aujourd’hui, pratiquement la société malienne est divisée par rapport à la transition. Les partis politiques, la société civile et même les militaires. Et lorsque c’est le cas, ça fragilise un peu toutes les chances d’aller de l’avant. Ça veut dire que tous les Maliens ne sont pas convaincus de la direction qu’est en train de prendre justement cette transition. »

Ce qui fait défaut selon Dr Ibrahima Sangho, président de l’Observatoire pour les élections et la bonne gouvernance au Mali, c’est le non-respect des engagements pris notamment la tenue d’élections dans un délai de 18 mois. « Si on se réfère aux textes juridique nationaux et internationaux comme le protocole additionnel de le Cédéao, la charte de la démocratie, la transition a un rôle. On est sorti de la démocratie donc on doit y revenir. On donne un temps court pour que la transition puisse se dérouler. Et tous les textes internationaux disent que l’armée doit être républicaine, être soumise au pouvoir politique, au pouvoir civil. La conquête et l’exercice du pouvoir reviennent aux civils, donc aux partis politiques. Et si on se réfère à ça, les 18 mois qui ont été donnés pour la transition devraient suffire pour sortir de cette période », indique-t-il.

Et d’ajouter : « l’armée n’a pas vocation à conquérir et exercer le pouvoir politique, c’est ce que disent les textes et les textes sont cités dans le préambule de la charte de la transition. (…) Tous les partis qui disent aujourd’hui qu’il faut respecter les élections, c’est à juste titre parce que les autorités de la transition ont pris des engagements au niveau international pour dire que le délai sera respecté et la parole donnée doit être sacrée dans notre pays. Et aujourd’hui, il est possible techniquement de pouvoir faire les élections de sortie de crise et pour qu’on aille vers un gouvernement démocratique et légitime. »

Aujourd’hui, les regards sont tournés vers les assises nationales de la refondation qui débutent ce samedi 11 décembre et, à l’issue desquelles, un nouveau calendrier électoral sera en principe mis en place. « Les assises peuvent apporter gros lorsqu’ils ne sont pas biaisés, lorsque les Maliens vont être écoutés. Il ne s’agit pas d’amener des documents, les préparer et les faire avaler aux gens. Il s’agit véritablement de venir écouter les gens et de prendre les propositions réelles qui tiennent compte de l’aspiration de l’ensemble des Maliens », souligneBoubacar Mahamane Touré, premier adjoint au maire Tombouctou.

Une participation la plus inclusive, c’est le souhait de Balkissa Sidibé, une habitante de Tombouctou pour qui, la question sécuritaire doit être prioritaire. « Je demande au président de la transition, au chef du gouvernement d’être un peu ouverts, d’impliquer tous les Maliens, partis politiques, société civile, organisation des femmes… et de communiquer un peu sur ce qui se passe. On entend moins le président de la transition exprimer son point de vue. Je demande aussi aux partis politiques d’avoir pitié de notre pays parce qu’aujourd’hui, le Mali souffre. Nous qui sommes dans le nord, Dieu seul sait quelle souffrance nous sommes en train de vivre. Vraiment, les autorités doivent tout faire pour sécuriser le nord, le centre et tout le Mali. »

Une rencontre de trop ?

Pour l’analyste politique Boubacar Bocoum, c’est plutôt l’occasion d’engager un dialogue franc et sincère. « Le dialogue national inclusif a été organisé par un régime. A quelle fin ? Nous n’en savons absolument rien. Mais une transition est une opportunité pour faire parler le peuple. Aujourd’hui, nous sommes face à une situation où nous pensons, nous osons espérer que ceux qui sont là ne sont pas des politiques. Qu’ils ne sont pas là pour gouverner sur de long terme mais pour une période transitoire. Donc s’ils organisent un dialogue, ça veut dire qu’ils veulent écouter le peuple et comprendre qu’est-ce qu’il faut mettre sur la place. Alors que le dialogue national inclusif a été quand même organisé par Ibrahim Boubacar Keïta, qui était un politique qui a sa vision et on a vu que le dialogue était vraiment biaisé. Ce n’était pas un dialogue même s’il y a eu des résolutions pertinentes, on a vu comment ces résolutions ont été mises au placard. Et si aujourd’hui, cette transition, plutôt se trouve face à des difficultés, à des problèmes d’orientation et qui se mette dans la logique d’écouter le peuple pour comprendre dans quelle direction il faut aller, qu’est-ce que le peuple veut réellement, alors si le dialogue est franc, sincère et que c’est une émanation de la volonté populaire depuis la base jusqu’au sommet, si le mécanisme est mis en place comme cela est dit, je pense que ça ne fait qu’ajouter une valeur de trop. Je pense qu’un dialogue ce n’est jamais de trop », a-t-il répondu.

Si la sécurité semble être l’enjeu qui préoccupe le plus pour tenir des élections sur toute l’étendue du territoire malien, il y a bien d’autres points non négligeables, précise Boubacar Salif Traoré, spécialiste en sécurité et développement. « Il y a le fait sécuritaire sur le terrain qui est souvent mis en avant. Mais ce n’est pas le seul fait parce qu’en mettant en avant l’aspect sécuritaire on oublie d’autres enjeux. Il y a d’abord l’enjeu financier, pour faire des élections, il faut de l’argent. On sait que le pays fait face à un déficit budgétaire assez important et que les financements ne sont pas présents », explique-t-il.

Et de poursuivre : « il y a un autre aspect qui concerne vraiment le cœur des élections à savoir le fichier électoral. On a vu que l’État a lancé les opérations de révision des listes électorales. Au 31 octobre, il y avait très peu de Maliens qui s’étaient déplacés pour aller répondre à cette opération. On a vu qu’il y avait eu seulement vingt-trois mille transferts et à peu près un peu plus de quarante mille radiations. Et que globalement, moins de 2% des jeunes s’étaient rendus à cette opération. Ce sont des chiffres qui inquiètent et qui posent justement la problématique du fichier électoral. Il va falloir du temps pour améliorer le fichier électoral et permettre en tout cas d’aller vers des élections crédibles et transparentes. Aujourd’hui, il va falloir réfléchir sur la question, parce qu’on ne peut pas d’un seul coup imposer un organe. Il y a des structures qui sont prévues pour organiser les élections au Mali, il y a la CENI, la DGE, je pense au ministère de l’administration territoriale. Donc à partir de ce moment-là, ces structures ont déjà des prérogatives. Comment trouver encore une fois l’équilibre pour contrebalancer ces prérogatives là au sein d’un organe unique. Tout ceci ne peut être possible qu’à travers un débat franc entre les Maliens, entre les différents acteurs pour savoir quelle est la meilleure solution ».

Jeudi soir, dans une adresse à la Nation, à l’occasion du lancement des assises nationales de la refondation, le président de la transition a déclaré que « les assises qui s’engagent ce samedi 11 décembre  et se terminent le jeudi 30 décembre 2021, sont une aubaine pour instaurer entre toutes les filles et tous les fils de ce pays un dialogue franc, direct et fécond, afin d’atténuer les querelles infécondes qui tendent à miner le processus de Transition en cours et nuire à l’espoir de renaissance du Peuple malien …»

Abdoulaye Gozane Diarra, Sidi Yahiya Wangara, Agaïcha Kanouté, Mody Kamissoko, Augustin K. Fodou

*Réalisé avec le soutien du Programme Sahel de l’IMS, financé par DANIDA.

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