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Jeunesse africaine : le changement par l’action

En Afrique, le travail de renouveau qui attend la jeunesse passe par l’action : l’engagement citoyen qui, seul, permettra de démanteler le système de réseaux de patronage néo-patrimoniaux qui empêche les citoyens de s’engager dans une économie d’entreprise, et fait le lit de la misère, de la famine, de l’ignorance et de l’analphabétisme qui constituent un frein à la démocratie.

Venise, Italie, 21 janvier 2017. Pateh Sabally, un Gambien de 22 ans, meurt noyé sous les yeux de passants qui n’ont rien trouvé de mieux à faire pour lui que de crier : « C’est une merde », « Allez, rentre chez toi », « Laissez-le mourir ! ». Cette tragédie, qui a provoqué une émotion presque planétaire, intervient après le meurtre d’un réfugié nigérian de 36 ans, Emmanuel Chidi, à Fermo, au centre de l’Italie, le mercredi 6 juillet 2016. Ce que Pateh Sabally et Emmanuel Chidi ont en partage, c’est bien leur appartenance à un continent, l’Afrique, où la mal-gouvernance ayant mis les pays politiquement, socialement et économiquement en panne, pousse sur le chemin du départ des millions de jeunes. Ils montent au casse-pipe en traversant la mer pour gagner le bonheur qui, pour reprendre Ibrahima Ly dans « Toiles d’araignée », est « la conquête de tout individu ». Ils fuient l’étalage insolant du chômage, le système de corruption, de népotisme et de favoritisme, les systèmes éducatif, culturel et sportif qui se désagrègent, les familles qui se cassent…Une situation qui montre à suffisance que tous les ingrédients sont réunis pour conduire la jeunesse dans l’impasse, la désillusion, le désespoir, la désespérance…

Dans son dernier livre, « Jeunesse africaine, le grand défi à relever »[1], l’ancien Premier ministre malien et leader du parti Yèlèma (changement), Moussa Mara, dresse le même tableau sombre d’une jeunesse qui s’immole par le feu en Tunisie, se réfugie dans l’alcool à Monrovia, prend les armes au Nigéria, embrasse le sectarisme au Congo, devient extrémiste et se radicalise en Somalie et en Egypte, une jeunesse qui est enfermée dans la persuasion « qu’ailleurs est meilleur ». Pourtant, depuis quelques années, les questions de jeunesse sont devenues une telle priorité qu’une charte africaine de la jeunesse a été adoptée, le 2 juillet 2006, par la 7e session ordinaire de la conférence des chefs d’Etat et de gouvernement (entrée en vigueur le 8 août 2009). Sur le continent, il n’est pas rare d’entendre dire que l’avenir appartient à la jeunesse, que l’avenir d’un pays repose sur sa jeunesse. La jeunesse africaine, explique le chroniqueur et consultant sénégalais, Hamidou Anne, « est au cœur de tous les discours et projections, des dirigeants africains aux investisseurs étrangers et « amis » de l’Afrique qui pointent le bout de leur nez à la recherche de parts de marchés ».

Beaucoup d’analystes pensent aujourd’hui que la jeunesse africaine, qui composera 80% de la jeunesse mondiale à l’horizon 2030, a le potentiel pour être « le fer de lance du changement » sur le continent. Pour dire les choses de façon claire, un vrai travail de renouveau attend la jeunesse africaine qui, selon un avis très répandu, est considérée comme « une bombe à retardement qui finira par exploser, si l’on n’y pas prend pas garde.

De la dénonciation à l’action

Pour Hamidou Anne, la jeunesse d’aujourd’hui doit investir l’espace public de manière différente. « Pas seulement par le blogging ou l’entreprenariat, mais surtout par la politisation de notre action. Il faut arriver à ce que la jeunesse se politise, pas seulement qu’elle milite dans les partis (pourquoi pas). Mais la politisation suppose de comprendre les rapports de force en jeu en Afrique, identifier nos maux, nos responsabilités et tracer un chemin nouveau afin de sortir l’Afrique dans l’état post traumatique dans lequel des siècles d’esclavage, de colonisation et de néo-colonisation l’ont plongée » estime-t-il. On comprend aisément qu’il s’agit d’un engagement citoyen consistant à se révolter, à se rebeller contre les maux qui rongent le pays, de façon organisée, solidaire et concertée. Cette dynamique est déjà en marche dans certains pays comme au Sénégal avec le mouvement « Y’en a marre », et au Burkina Faso avec « Balai citoyen ». Ces deux mouvements font aujourd’hui figure de sentinelles de la démocratie sur le continent.

Même s’ils ressentent un grand désenchantement après les échecs postindépendance qui ont donné naissance à un mépris de la politique, les jeunes Africains se doivent de prononcer la rupture avec la dénonciation pure pour aller vers l’action. C’est l’avis de l’éditorialiste vedette Saïd Djaafer, directeur éditorial du Huffington Post Algérie, qui, interrogé, confie : « il faut faire de la politique pour pouvoir changer les choses et espérer un renouveau. Faire de la politique ce n’est pas rester sur les réseaux sociaux. Ce sont des outils pas des fins en soi. Pour les jeunes, il faut bien sur faire l’effort d’apprendre, mais ils doivent aussi «s’impliquer » dans des associations, dans les partis… Il n’y a pas de voie royale pour enclencher le renouveau nécessaire et souhaité, mais cela ne se fera pas sans «travail ». Et changer les choses – en se changeant soi-même- nécessité de l’effort, de la constance même si le champ politique dans la plupart de nos pays est décevant et déprimant. Il faut se battre contre cela et faire le «travail » sur soi pour ne pas sombrer dans une dénonciation sans action. » Les jeunes Africains doivent s’intéresser à la chose publique, en sortant de ces comportements de dénonciations statiques, fortement accentuées d’ailleurs par les réseaux sociaux où l’on croit «faire » en tapant sur le clavier.

Si les analyses abondent pour dire qu’il faut, comme le dit Moussa Mara, rendre la jeunesse responsable, donner du poids aux organisations et questions de jeunesse, le Continent doit aller au-delà. Le Renouveau n’émergera que du dynamisme et de la créativité de la jeunesse. La société doit accorder une place active aux jeunes, les laisser entreprendre, entreprendre dans les domaines, économique, politique, citoyen, familial et culturel, pour qu’ils cessent de penser que le bonheur est ailleurs. L’entreprenariat, le « nouveau rêve africain », ne saurait dorénavant se passer de la jeunesse car elle est la première victime de la suprématie des aînés qui obstrue son avenir, et freine le développement humain dans la plupart des pays du continent.

Gagner une place active dans tous les domaines permettra aux jeunes Africains de prendre en mains leur avenir, mais ne doit pas leur faire oublier d’où ils viennent. Dans le contexte de la mondialisation que l’Afrique ne doit pas occulter, face à un Occident qui se radicalise avec Donald Trump, Marine Le Pen, Viktor Orban, la jeunesse active et entreprenante n’apportera le Renouveau véritable que si elle le construit de façon citoyenne dans le respect de sa propre culture, ce que l’universitaire sénégalais, Felwine Sarr, appelle « le tournant décolonial ». « La construction citoyenne est aussi un cheminement. Elle se nourrit de la connaissance de soi, c’est-à-dire de son terroir, de ses racines, de son pays, de son histoire, de sa civilisation et des formes diverses de ses traditions, de ses croyances, de sa culture », écrit Moussa Mara.

Mais il reste évident que tout cela passera par l’engagement citoyen qui permettra de démanteler le système de réseaux de patronage néo-patrimoniaux qui empêche les citoyens de s’engager dans une économie d’entreprise, et fait le lit de la misère, de la famine, de l’ignorance et de l’analphabétisme qui constituent un frein à la démocratie[2].

 

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[1] Moussa Mara, Jeunesse africaine, le grand défi à relever, Paris, Mareuil Editions, 2016

[2] Philip Murray, Human Insecurity in Mali, Small War Journal, 25 mars 2016