Après cinq années marquées par des attaques terroristes, le président du Faso, Roch Marc Christian Kaboré, est réélu pour un second mandat à l’issue de l’élection présidentielle du 22 novembre 2020. Parmi les enjeux de son deuxième quinquennat, la sécurité et la réconciliation nationale sont en ligne de mire.
C’est un mandat marqué par des attaques terroristes que le président du Faso, Roch March Christian Kaboré, a accompli entre 2016 et 2020. A peine deux semaines au pouvoir, le Burkina Faso enregistre sa première attaque terroriste de grande envergure, dans la nuit du 15 janvier 2016. Les années se sont écoulées et les attaques terroristes se sont multipliées dans ce pays sahélien. Les méthodes se sont diversifiées. « Au départ, les attaques étaient beaucoup ciblées sur les FDS (Forces de défense et de sécurité) par plusieurs tactiques : les attaques surprises, l’utilisation des engins explosifs improvisés, la rupture des voies de communication en dynamitant les ponts, l’utilisation des cadavres comme des bombes humaines, etc. » explique, Laurent Kibora, expert en sécurité et développement.
Entre 2016 et 2020, ce sont plus de 1200 personnes qui ont été tuées par des milices et combattants liés à des groupes terroristes, selon le Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité (GRIP).
Plus d’un million de déplacés internes
Selon Ibrahim Seydou (nom d’emprunt pour des raisons sécuritaires), un leader d’opinion de Markoye, une commune de la province d’Oudalan, dans la région du Sahel, il y a toujours la crainte de vivre dans cette zone. Il ne se passe pas trois semaines sans qu’une attaque terroriste ne survienne. La population vit avec la peur au ventre dans cette zone frontalière avec le Mali et le Niger. Les conséquences sont ressenties au quotidien. « Cela empêche les gens de se déplacer, de mener leurs activités quotidiennes et ça ne fait que nous appauvrir et nous affamer de jour en jour », regrette-t-il.
Certaines personnes ont décidé tout simplement de fuir leurs villages. C’est le cas à Salmossi, l’un des 27 villages du département de Markoye, qui s’est vidé de sa population. « Il n’y a aucun habitant, tout le monde est parti. Personne ne vit dans ce village », rapporte avec amertume Ibrahim Seydou. Par contre dans d’autres villages, ce sont que les leaders d’opinion qui sont contraints de se sauver la peau.
Le nombre des personnes déplacées internes (PDI) connaît une augmentation depuis que l’insécurité touche les civils. Selon les données du Secrétariat permanent du Conseil national de secours d’urgence et de réhabilitation (SP/CONASUR), à la date du 10 novembre 2020, le nombre des PDI était de 1 049 767 soit une augmentation d’environ 1,47% par rapport aux chiffres du 8 septembre de la même année.
Sécurité, la priorité
Ces chiffres n’étonnent pas certains observateurs avisés de l’actualité nationale. Luc Damiba est le président de l’association Semfilms, l’une des premières structures à lancer l’opération de solidarité : « Faisons un geste » pour les déplacés internes en août 2019. « Lorsque nous avons lancé la campagne, c’était pour attirer l’attention des gens sur le risque d’atteindre un nombre important. Le fait que cela augmente ne nous surprend pas parce qu’on voyait les choses se dégrader au fur et à mesure », rappelle Luc Damida.
C’est dans un tel contexte que l’élection présidentielle s’est tenue le 22 novembre 2020. Le président sortant Roch Marc Christian Kaboré a été réélu dès le premier tour avec 57,74% des voix, selon les résultats définitifs proclamés, vendredi 18 décembre, par le Conseil Constitutionnel.
Pour Ibrahim Seydou, la priorité du second mandat du président Kaboré doit être la sécurité. « La première de ses activités, c’est de s’attaquer à la question sécuritaire pour que la paix, la quiétude et la stabilité reviennent entièrement au Burkina », souhaite-t-il, lui qui vit actuellement à Dori, chef-lieu de la région du Sahel, localité située à environ 95 kilomètres de chez lui, Markoye.
Quant à Luc Damiba, il faut que les autorités prennent des mesures plus draconiennes. « On a l’impression que dans le domaine de l’insécurité, il y a encore de la mollesse, il n’y a pas une prise en charge conséquente. Il faut qu’il y ait de l’assistance sociale », propose-t-il.
Sécuriser les zones vidées par la population
Face à la nébuleuse, la politique doit mettre l’accent sur les compétences requises. Serge Bambara alias Smockey, artiste musicien et porte-parole du mouvement Balai Citoyen, propose d’éviter des nominations basées sur des amitiés. « Il faut mettre des personnes qui sont réellement capables d’apporter leurs expertises pour réguler définitivement cette crise qui n’a que trop duré », recommande-t-il.
Pour Laurent Kibora, il faut travailler à ressouder les liens, car des attaques intercommunautaires « ont beaucoup fragilisé la cohésion sociale ». Il poursuit en précisant que : « la société burkinabè a été divisée à cause de la stigmatisation. Cela a provoqué le repli identitaire, qui a contribué à exacerber les choses avec en toile de fond, l’extrémisme violent et la radicalisation ». Comme solution, M. Kibora propose de sécuriser les zones qui ont été vidées de leurs populations, renforcer la cohésion sociale, éradiquer l’extrémisme violent en trouvant des emplois pour les jeunes.
Durant la campagne, alors candidat à sa propre succession, Roch Kaboré a promis d’assurer la sécurité et l’intégrité du Burkina Faso. A Fada N’Gourma, chef-lieu de la région l’Est, une zone beaucoup touchée par l’insécurité après celle du Sahel, il a tenu un ton ferme. « Nous ne courberons pas l’échine devant le terrorisme, nous resterons débout et nous le combattrons jusqu’à ce que la paix soit rétablie au Burkina Faso », a-t-il déclaré devant une population qui vit sa troisième année de couvre-feu.
De la réconciliation nationale
La question de la réconciliation nationale a occupé les joutes électorales. C’était le sujet médian de tous les candidats. De l’avis de l’artiste engagé Smockey, l’un des porte-paroles du mouvement Balai Citoyen, une organisation qui a contribué considérablement à l’insurrection populaire d’octobre 2014, le problème est mal posé. « On veut conditionner la question de la sécurité avec celle de la réconciliation nationale. Ce sont deux choses complètement différentes. S’il y a une chose qui peut contribuer à la stabilité du pays et notamment à la sécurité, c’est bien la justice », décrypte-t-il.
« La réconciliation ne peut pas aller sans que la justice ne se fasse », brandit Serge Bambara qui précise que les acteurs politiques pensent que la situation du Burkina Faso est comparable à celle du génocide du Rwanda en 1994 où il était finalement difficile de savoir qui a tenu la machette. Ainsi, il tranche la question en ces termes : « Si le triptyque vérité-justice-réconciliation existe depuis longtemps, ce n’est pas pour rien ».
D’une organisation de la société civile à une autre, les modalités de réconciliation nationale divergent. Selon Marcel Tankoano, président du Mouvement du 21 avril 2013 (M21), la justice classique n’est pas appropriée pour le cas du Burkina Faso actuellement. « En justice, on ne gagne jamais ! Selon le jugement rendu, il y a toujours un perdant », estime-t-il, tout en touchant du doigt la lenteur de l’appareil judiciaire. A titre d’exemple, il cite les cas d’assassinats du président Thomas Sankara (1987) et le journaliste d’investigation Norbert Zongo (1998) où les dossiers sont toujours pendants. « Il faut que les Burkinabè vivent, il faut qu’entre nous, on s’accepte. On ne nie pas la justice mais comme elle tarde à venir, il va falloir qu’on se pardonne, qu’on se réconcilie avec nous-mêmes, et ensuite, la justice viendra parapher le modèle de la réconciliation », se convainc le président du M21.
En ce qui concerne la réconciliation nationale, le président réélu a toujours affiché son avis favorable mais en mettant l’accent sur la justice. « La réconciliation nationale ne consiste pas simplement à faire rentrer 20 personnes qui eux-mêmes ont décidé de quitter le Burkina Faso. La réconciliation nationale, c’est plus de 5000 dossiers, de Burkinabè qui ont été frustrés, traumatisés, des crimes de sang… Ce sont ces dossiers qui nous intéressent à la réconciliation. Je dis et je répète, tout le monde peut rentrer au Burkina Faso. Nous sommes une terre de démocratie. Mais, il y a un mais. Si tu as des problèmes avec la justice, tu devras répondre d’abord », a-t-il déclaré au dernier jour de son meeting à Ouagadougou.
Même si les propositions diffèrent, les questions de sécurité et réconciliation nationale demeurent une priorité de plus d’un Burkinabè. Le président du Faso est très attendu sur ces deux chantiers. Comme promis dans son programme de société, Roch Marc Christian Kaboré devra « gagner le pari de sécurité et de stabilité du pays » et « réconcilier les Burkinabè ».
Alpha Diallo
*Réalisé avec le soutien du Programme Sahel de l’IMS, financé par DANIDA.
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