Au Mali, le débat autour de la révision constitutionnelle continue de faire rage. Le président de la République, Ibrahim Boubacar Keïta, a décidé de reporter ultérieurement le projet de révision en attendant un nouvel avis de la Cour constitutionnelle. La « Plateforme Antè A Bana », contre la réforme, composée des partis politiques de l’opposition et une partie de la société civile, maintient la pression dans la rue et exige « un retrait pur et simple. » Tiebile Dramé, président Parena (Parti pour la Renaissance africaine) et membre de l’opposition, répond aux questions de Sahelien.com
Sahelien.com : Que reprochez-vous concrètement au nouveau projet de Constitution ?
Tiébilé Dramé : le projet de révision a, à mes yeux, trois tares congénitales: il procède d’une démarche cavalière, unilatérale et non inclusive qui attaque une Constitution qui est le produit d’un consensus de toutes les forces vives du pays. Avant la saisine de l’Assemblée nationale, le président de la République n’a engagé aucune concertation et aucune discussion avec qui que ce soit. -l’insécurité généralisée qui prévaut dans la plupart des régions du pays. -la personnalisation excessive du pouvoir: le projet donne des pouvoirs sans limite au président de la République qui devient une sorte de Kaya Magan ou de Moro Naba. En cela, il nous ramène 26 années en arrière. C’est un grave recul de la démocratie.
Vous avez souvent aussi souligné « une opacité » qui entourerait la rédaction de ce projet de texte, à quoi faites-vous allusion ?
Ce projet de révision a été concocté à l’extérieur du Mali par des juristes étrangers qui ont été grassement payés par l’Etat malien. Près de 60 ans après l’indépendance! C’est du mépris pour tous les cadres maliens, une atteinte à la dignité et à la fierté maliennes.
« grassement payés… » ?
Des centaines de millions de francs CFA ont été décaissés pour ce travail. Des allégations insistantes de rétro commissions payées à des personnalités au pouvoir circulent sans que la présidence de la République apporte le moindre démenti. Cette affaire humilie le Mali.
Pour des partisans du « Oui », toutes les élections au Mali depuis 2013 ont été tenues dans les mêmes conditions qu’aujourd’hui, qu’en pensez-vous ?
Jamais le Mali n’a été dans un tel état d’insécurité et d’instabilité. Plus de 500 morts en six mois. Au moins 500 écoles fermées au nord et au centre. Des dizaines d’administrateurs contraints de fuir leurs postes. Des pans entiers du territoire national échappent au contrôle de l’État.
La tentative de révision en cours n’a presque rien à voir avec l’Accord d’Alger.
Vous êtes l’un des artisans des accords de Ouagadougou qui ont, d’une certaine manière, abouti à l’accord d’Alger, vous ne pensez pas que cet accord contient aujourd’hui des réformes institutionnelles que le Mali se doit de mettre dans sa Constitution ?
La tentative de révision en cours n’a presque rien à voir avec l’Accord d’Alger. L’essentiel de l’Accord d’Alger n’est pas dans le projet du président. Cet accord sert de prétexte à une opération de renforcement sans précédent des pouvoirs du président de la République.
N’est-il pas mieux de demander une relecture des points de désaccord plutôt que de demander carrément le retrait du texte ?
Ce n’est pas une question de « points de désaccord « . C’est toute l’opération qui est avariée, viciée et mal montée. C’est pourquoi le projet doit être retiré purement et simplement. Le manque de dialogue et de concertation, le refus de rechercher le consensus mettent le président de la République dans une position inconfortable. Il doit en tirer les conséquences et éviter toute fuite en avant.
Si on retire ce texte, quel serait pour vous le moment propice pour procéder à une révision constitutionnelle quand on sait que la situation sécuritaire du pays ne pourra pas changer du jour au lendemain ?
La priorité pour tous les Maliens, c’est la restauration de la stabilité et de la sécurité sur tout le territoire. Toutes les énergies doivent être dirigées vers cet objectif vital.
Le président de la République a pour le moment reporté ultérieurement le référendum en attendant un nouvel avis de la Cour constitutionnelle, qu’en espérez-vous ?
Vouloir Réviser une constitution consensuelle n’est pas une question de cour constitutionnelle. C’est une question éminemment politique. Le président de la République ne doit pas s’abriter derrière la cour constitutionnelle. Il est isolé…
Isolé de quelle manière ?
Très isolé sur cette question: des partis de l’opposition comme de la majorité, des syndicats, la CSTM, la Magistrature, le Forum des organisations de la société civile, le conseil national de la société civile, le collectif des associations musulmanes , les Maliens de l’intérieur et de la Diaspora lui demandent de retirer son projet qui divise le pays. Il ne peut pas rester indifférent à tous ces appels et à toute la mobilisation intérieure et extérieure.
Aboubacar Dicko