Que faire face aux jihadistes au Mali, qui restent actifs plusieurs années après l’intervention militaire française ? Yvan Guichaoua répond aux questions de Sahelien.com. Dans une récente tribune* publiée mardi sur The Conversation, il dresse un tableau quelque peu mitigé de la guerre faite aux jihadistes au Mali.
Spécialiste du Sahel et des questions de sécurité, Yvan Guichaoua, diplômé de l’Ecole des hautes études en sciences sociales, est actuellement chercheur et maître de conférences à la Brussels School of International Studies, rattaché à l’Université du Kent (Royaume-Uni).
Sahelien.com : En 2013, la France intervenait au Mali à la demande des autorités maliennes de l’époque pour stopper l’avancée des djihadistes. Aujourd’hui, l’insécurité demeure dans le nord du Mali et les terroristes étendent de plus en plus leur horizon guerrier au Centre du Mali voire à d’autres régions du Sahel, malgré la présence de l’opération Barkhane dont la mission est la lutte contre le terrorisme. Peut-on en conclure que l’intervention militaire française est un échec ?
Yvan Guichaoua : Ce n’est pas tout le Sahel qui est la proie des jihadistes. Le nord et le centre du Mali sont un important foyer de la crise, l’autre étant le nord du Nigeria. Pour vraiment juger de l’efficacité d’une action il faudrait savoir ce qu’il se serait passé sans cette action. Or par définition, cette information n’existe pas. Mais ce qu’on peut en revanche dire, c’est que, malgré Barkhane, l’activité jihadiste n’a pas faibli. Elle s’est même intensifiée et étendue géographiquement en 2016. Et l’année 2017 a commencé de la pire des manières possibles, par l’horrible attentat du MOC de Gao. Le changement n’est pas seulement quantitatif ou géographique, il est aussi qualitatif : les jihadistes travaillent sous une bannière désormais plus unifiée, celle du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans d’Iyad Ag Ghaly, (même s’il existe une concurrence incarnée par Abou Walid Al Sahraoui ou Malam Dicko) et complexifient leur mode opératoire. Ils sont obligés de s’adapter à l’opposition que leur livre Barkhane.
Sahelien.com : Le postulat « On ne négocie pas avec les terroristes » appliqué jusqu’ici en Syrie, en Irak et ailleurs doit-il être de mise dans le contexte malien voire sahélien aussi ?
Yvan Guichaoua : Si l’on admet que cette crise est générée de l’intérieur même du Mali et qu’elle oppose des Maliens à d’autres Maliens, alors le contre-terrorisme ne suffit plus, il faut du politique. Tous les acteurs du processus de paix, y compris les militaires français, en sont conscients. Et qui dit politique dit discussion. Mais votre question en soulève beaucoup d’autres. Qui décide s’il faut discuter ou pas ? En toute logique, la réponse revient aux Maliens mais on voit bien que les tutelles internationales du Mali ne l’entendent pas de cette manière. Ensuite : les jihadistes ont-ils envie de discuter ? Rien n’est moins sûr, surtout depuis qu’Iyad Ag Ghaly a formé son nouveau groupe. Une stratégie consiste sans doute à essayer de convaincre, non pas les chefs mais ceux qui les suivent. C’est un peu ce que fait le Niger en ce moment en accueillant des ‘repentis’ de Boko Haram, mais on n’a aucun recul sur cette expérience. Enfin, si on discute, de quoi parle-t-on ? Les jihadistes ne vont pas se battre pour devenir maires ou ministres. S’ils discutent, c’est autour de la Charia et de la place de l’Islam dans la société malienne, ce qui est un très vaste et houleux débat.
Sahelien.com : Cette position de la France qui est de ne pas négocier avec les djihadistes serait-elle influencée par le puissant voisin du Mali, c’est-à-dire l’Algérie ?
Yvan Guichaoua : L’Algérie est la marraine du processus de paix actuel. Mais sa doctrine en matière de politique extérieure est le non interventionnisme. Lors de sa propre guerre civile avec les Islamistes, l’Algérie a fait des compromis et offert une amnistie aux insurgés, ce qui a d’ailleurs provoqué la migration de ceux qui ne voulaient pas de cette amnistie au Mali ! L’Algérie a donc une histoire compliquée avec le jihad chez elle et chez son voisin malien, faite de répression et de compromis. Je ne connais pas sa position officielle sur le sort qu’il faut réserver à Iyad Ag Ghaly mais il est évident qu’elle doit être impliquée dans la résolution de la crise, du simple fait que son territoire offre de nombreuses possibilités d’entretien logistique aux jihadistes. Mais la coopération régionale n’est pas simple.
Sahelien.com : Que pensez-vous de la position de certains partis politiques et de la société civile malienne qui, avant et après la Conférence d’entente nationale, recommandent de négocier avec les djihadistes maliens que sont Iyad Ag Ghaly et Hamadoun Kouffa ?
Yvan Guichaoua : Ces acteurs font sans doute un meilleur diagnostic de la crise que leur gouvernement en insistant sur le fait que les rebelles sont des « enfants du Mali ». Pour autant ils restent très évasifs, sinon silencieux, sur le contenu des pourparlers qu’ils appellent de leurs vœux.
Sahelien.com : Dans une récente analyse publiée sur The Conversation, vous écrivez que «(…) Le djihad malien fait allégeance à une lutte de dimension globale mais exprime simultanément des griefs et un projet radical de régulation politique locaux. » Que voulez-vous dire par-là ?
Yvan Guichaoua : Cette idée n’est pas d’une très grande originalité : il s’agit de prendre au sérieux l’offre politique que représente l’idéologie à laquelle ces gens font allégeance et en même temps de reconnaître que ceux qui prennent les armes au Mali peuvent avoir d’autres mobiles que cette idéologie. De nombreux rapports d’analyse valident cette perspective de manière convaincante, notamment à propos du centre du Mali et de l’engagement violent de certains Peuls. Le combat jihadiste est un véhicule pour des griefs multiples mais il implique aussi un mode d’action particulier et l’adhésion à son projet politique.
Sahelien.com : Vous écrivez aussi qu’il faut requalifier la crise malienne ?
Yvan Guichaoua : Requalifier la crise revient précisément à faire le cheminement intellectuel décrit plus haut : cesser d’invoquer les menaces venues d’ailleurs et reconnaître que cette crise met des Maliens en face d’autres Maliens. Entreprendre ce cheminement est une condition de résolution de la crise car il ouvre des possibilités de dialogue : les communautés du Mali ne sont pas démunies pour gérer pacifiquement des querelles entre voisins. Malheureusement, les voix pacifiques susceptibles de fabriquer du consensus ont de moins en moins d’espace et sont remplacées par des leaders communautaires politico-militaires. Cette course à l’armement des communautés, qui ne semble pas effrayer l’Etat, bien au contraire, est un des grands problèmes du Mali qui complique dangereusement le dénouement de la crise. Les jihadistes peuvent se donner le beau rôle : chez eux, par définition, il n’y a pas de racisme et de divisions communautaires.
Sahelien.com : Il y a quelques semaines, les mouvements djihadistes dans le Sahel se sont recomposés sous le leadership d’Iyhad Ag Ghaly, le chef d’Ansardine. Faut-il voir dans cette métamorphose une volonté de créer un califat dans cette région qu’est le Sahel ?
Yvan Guichaoua : Iyad Ag Ghaly a fait allégeance à Al Qaeda, qui promeut une approche très gradualiste : on n’impose pas d’entrée de jeu l’idée d’un califat, on cherche à séduire les populations petit à petit, en capitalisant sur les ressentiments locaux, en régulant politiquement les zones qu’on contrôle mais aussi en intimidant, parfois en les assassinant purement et simplement, ceux qui sont trop proches des ‘Croisés’. Cette logique qui mêle carotte et bâton est sans doute mieux pensée que celle, brutale et univoque, de l’Etat islamique. Ce que les observateurs extérieurs négligent souvent, c’est que ces groupes s’autorisent l’erreur. Une rumeur dit qu’en partant de Gao en 2013 au moment de l’intervention Serval, un chef jihadiste de haut rang a fait ses adieux en disant aux populations : « nous sommes venus par la force sans vous demander votre avis mais la prochaine fois c’est vous qui nous inviterez ». Ils ont tout le temps devant eux si aucun projet alternatif ne remobilise les populations.
Boubacar Sangaré- L’horizon compromis de Barkhane au Mali, The Conversation, 10 mai 2017
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