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Sahel : le pastoralisme et la radicalisation

Dans ce texte, l’observatoire peul, Kisal, propose, à travers un commentaire pédagogique basé sur des échanges avec des acteurs du terrain et des spécialistes des thématiques qu’il aborde régulièrement, d’appuyer la réflexion et la résolution des conflits dans le Sahel.

Qu’est-ce qui constitue la spécificité des sociétés pastorales donc la base des problèmes actuels ? Soit leur vulnérabilité en lien avec la variabilité du climat (péjoration) ; Inclusion faite de leur extrême mobilité, qui ne rend pas ces sociétés faciles d’accès et les marginalise à cause de leur caractère périphérique ; les décisions se prennent chez des sédentaires qui ne comprennent que mal la mobilité et le nomadisme (colons, États ou administrations actuels).

Cela les marginalise et tend à les livrer à eux-mêmes ou à la merci de n’importe quelle organisation ou acteur opportuniste souhaitant exploiter leurs ressentis issus des réalités soulevées. Il est important, ainsi, de mettre en avant que très souvent la seule activité possible actuellement dans les environnements naturels sahélo-sahariens (très faibles en pluviométrie) est le pastoralisme, qui est très affecté par une péjoration du climat.

Or si l’on est obligé de se déplacer par nécessité lorsque celui qui dirige refuse le droit à nomadiser (directement et indirectement par barrières sécuritaires et administratives) en pensant que si les pasteurs (Peuls, Tamasheq, Maures, etc.) s’éloignent, ils échappent à son contrôle.

Aussi, si le fait de se déplacer est interprété et volontairement présenté par des autorités et ceux qui les constituent comme un manque de racine et d’attache, il y aura des problèmes. Il est difficile pour des communautés anciennes d’accepter des discours teintés de xénophobie et de clichés (exemples : les nomades sont fainéants, ils sont des errants sans attaches, c’est des étrangers etc.), cumulés au fait que seule l’agriculture est considérée par des acteurs régaliens et administratifs comme du travail au détriment de l’élevage et le pastoralisme (perçus à tort comme du vagabondage par d’autres types de communautés), les tensions sont difficiles à juguler.

Si, pour avoir accès à l’éducation, la santé et la sécurité, l’on veut forcer l’éleveur en retour de cet apport à se fixer à un point qui empêche même la survie et le fait de bien s’occuper de sa source de revenue et d’impôts ou richesse pour l’État (les cheptels), c’est son existence et son apport audit Etat qui sont remis en question.

Il urge donc de bien faire comprendre aux preneurs de décisions que les nomades ont tous un point d’attache, ils (chaque tribu, chaque campement, chaque ethnie) ne nomadisent que dans un même rayon plus ou moins grands depuis des siècles, et ils ont tous en général un lieu qu’ils considèrent comme chez eux (grand cimetière des aïeux, puits, champs en bordure du fleuve, etc.) , même s’il ne contient aucune construction. Il est important aussi de rappeler que de nombreux nomades possèdent des champs aux bords des fleuves, et que ce sont les agents coloniaux, dans leur guerre de « pacification » qui leur ont interdit l’accès à leurs champs, au fleuve, et ont fini par redistribuer ces champs à des populations jugées mieux gérables (agriculteurs/sédentaires). Les politiques des Etats nouveaux ont continué ces tendances, malheureusement.

La mobilité qui est corollaire de la variabilité du climat, tandis que l’état, ou du moins les hommes qui le composent ne veulent manifestement pas considérer chaque citoyen pour ce qu’il est dans sa spécificité et son apport tangible si aider dans son mode de production (ici le bétail) à la nation afin de mieux l’aider pour percevoir plus de taxes et le gouverner sur cette base.

Or si l’effort n’est pas fait pour comprendre puis apporter une aide ou un accompagnement adapté à ces populations les incompréhensions se multiplieront, les infrastructures apportées (écoles, centre de santé bâtiments administratifs) ne répondent en rien à leur besoin ou à leur réalité puisque ces apports ne peuvent suivre ces populations dans leurs déplacements, en conséquence l’état est donc perçu comme coercitif, puisque ce qu’il apporte est vu comme inutile par rapport à ce qu’il prend en retour (impôts, taxes, amendes etc.) qui lui est tout sauf non significatif pour ces populations.

La base est donc l’incompréhension

Il convient de rappeler aussi que le citoyen qui bouge n’est pas impressionné par le pouvoir puisqu’il a la possibilité de s’éloigner, à l’inverse du sédentaire qui lui ne peut se déplacer et n’y est pas habitué. Aussi l’autorité, pour ces populations, c’est ce que chacun donne de lui-même à un tiers (et pas forcément celui qui a le pouvoir) comme légitimité, respect et considération. Elle est toujours légitime à l’inverse du pouvoir qui peut être usurpé ou pris par la force.

L’effort de pousser par l’écoute et la compréhension les nomades à donner à l’État une autorité a peu été pris au sérieux, en revanche le fait de vouloir imposer au prix de vies humaines le pouvoir de l’État a été trop mis en avant.

Radicalisation ?

On peut entrevoir la radicalisation comme une difficulté de se comprendre mutuellement. La violence et les tensions peuvent marquer les limites subjectives de la communication avec l’autre, lorsque l’on tente de survivre. Nous préférons penser cette question plutôt en termes de vulnérabilité des populations.

La Radicalisation religieuse est une difficulté de communication additionnée à un déficit d’information des communautés d’origines nomades et pastorales, souvent exploitée par autrui pour des intérêts divers et autres que religieux. Dans le cas de l’islam il est important d’indexer les courants (wahhabites ou se disant salafistes) qui exploitent cette ignorance, ces frustrations et l’extrême pauvreté pour s’étendre avec une manne financière d’origine criminelle et/ou étrangère. Ne pas oser qualifier d’extrémistes les courants opérants pour le chaos dans nos environnements ; tandis qu’en parallèle on indexe tout autre tiers (bouc émissaire) comme extrémiste sans avoir au préalable pris la peine de savoir ce qu’il pense, ne laisse pas de place à la communication et c’est aussi une forme d’extrémisme.

L’absence d’empathie et d’humilité qui consiste à refuser d’écouter l’autre (même en entendant ce qu’il fait), c’est contribuer à l’amalgame, fermer la porte au dialogue et de fait refuser de faire la part des choses en faisant un tri pour différencier les acteurs, leur degré de dangerosité, leurs motivations, les causes de leur passage à la violence etc. C’est aussi ouvrir la porte à une spirale dangereuse qui aura trop souvent comme finalité qu’un ressenti généralisé dans la population, et le passage à la violence, malheureusement. Les échecs, bavures, actions basées sur de mauvais renseignements, les exécutions extrajudiciaires, sont des phénomènes rendant vulnérables. L’Histoire peut nous informer sur leurs conséquences désastreuses, que ce soit en Iraq, au Sahel, ou ailleurs.

L’école dite moderne est absente, elle n’est pas de la langue des populations, elle n’apporte pas de notions utiles en élevage, elle prive les pasteurs de leurs enfants et futurs adultes pour aider dans la gestion du cheptel. En même temps, tandis que l’école religieuse traditionnelle qui faisait l’effort de traduire et d’adapter dans la langue et le contexte des concernés a été largement affaiblie par le colon puis les États, les courants extrémistes s’implantent de mieux en mieux, profitant des vulnérabilités. Ces courants ne traduisent pas les réalités environnantes, n’adaptent pas, excluent la communication, et excommunient (violence à l’appui) de l’Islam toute autre vision que la leur, malgré qu’elle soit ait été ultra-minoritaire il y a avait encore 15 ans, en Afrique de l’Ouest.

Le courant se disant salafiste est devenu l’outil politico-militaire parfait dans un terreau de population marginalisée, pour ceux qui veulent s’imposer par la force et leur ascendant financier. Une étude du CIPEA (Centre International pour l’Élevage en Afrique), de 1981 à 1983, pour le ministère malien de l’élevage, mettait déjà en garde sur le fait que la population deviendrait vulnérable à une telle exploitation sur la base des constats susmentionnés. Le document rédigé par Task-Force de l’UA, nommé « Politique de L’Union Africaine pour le Pastoralisme » (2007-2008) est également édifiant.

La « radicalisation » doit être nécessairement replacée dans un contexte, et ses manifestations doivent conduire à la communication toujours plus précise et focalisée des populations que l’on indexe.

L’observatoire Peuls  Kisal

Les points de vue exprimés dans l’article sont ceux de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement ceux  de Sahelien.com.