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Au Mali, la myriade de groupes armés constitue un obstacle à la paix

Le processus de désarmement, démobilisation et réinsertion demeure une priorité pour la paix au Mali.

Alors que le pays connait une montée de la violence, la paix semble encore un objectif lointain. Le processus de désarmement démobilisation et réinsertion (DDR) demeure une préoccupation importante des populations maliennes, en particulier celles du nord. Mener le DDR dans ce type de contexte pose d’énormes défis à la fois politiques et sécuritaires. Pourtant, il doit devenir une priorité pour donner un nouvel élan à un processus de paix fragile.

Ce mécanisme est prévu par l’Accord préliminaire à l’élection présidentielle et aux pourparlers inclusifs de paix de 2013 et repris dans l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali issu du processus d’Alger (APR) de 2015. Néanmoins, peu d’avancées majeures ont été enregistrées ces dernières années dans la mise en œuvre de l’APR, y compris dans ce domaine.

L’ineffectivité du DDR maintient le pays dans une spirale de la violence dangereuse pour la cohésion sociale

Au Mali, bien que le DDR découle des accords de paix successifs, il concerne en plus des combattants des groupes armés signataires, ceux des groupes extrémistes violents et des mouvements d’auto-défense, à condition que ces derniers renoncent à l’usage de la violence. Cette approche promue par les autorités nationales démontre la complexité de la réalité du terrain caractérisée par la présence de plusieurs mouvements armés non signataires des accords de paix.

Les avancées dans le processus de DDR se résument pour le moment à la création d’une commission nationale et la construction de huit (8) sites d’accueil des combattants répartis entre Tombouctou, Gao, Ménaka et Kidal. Le cantonnement, étape préalable au démarrage du DDR, peine à se concrétiser. Les groupes armés n’ont toujours pas communiquer les listes de leurs combattants. Le Mécanisme opérationnel de coordination (MOC), dont l’une des missions est de sécuriser les différents sites, n’est présent qu’à Gao, les unités de Tombouctou et Kidal n’étant toujours pas fonctionnelles.

Les raisons expliquant le peu de progrès enregistrés sont multiples et tiennent à la fois à des enjeux politiques et sécuritaires. En premier lieu, il y a l’absence de confiance entre les parties signataires. Les Groupes armés signataires accusent souvent les autorités nationales de ne pas suffisamment avancer sur les questions politico-économiques et utilisent le DDR comme un moyen de pression. À l’inverse, le gouvernement semble peu enclin à presser le pas sans des progrès tangibles sur les mesures sécuritaires telles que le cantonnement et l’installation des unités du MOC de Tombouctou et de Kidal.

La course à l’armement installe un climat de suspicion préjudiciable à la réconciliation nationale

Le gouvernement doit aussi composer avec une partie de l’opinion publique hostile à l’idée d’intégrer dans les structures étatiques des combattants dont la loyauté est sujette à caution d’une part et, d’autre part, avec l’armée qui garde encore en mémoire le traumatisme du massacre d’Aguelhok en janvier 2012 au cours duquel une centaine de soldats a perdu la vie dans des circonstances atroces.

Cette méfiance doit être analysée dans une perspective historique. En effet, le Mali en est à son cinquième accord de paix depuis le début des années 1990. Les échecs passés ont laissé des traces dont il convient de prendre la mesure pour comprendre les difficultés actuelles, notamment en ce qui a trait au DDR. Certains des acteurs de cette période jouent encore un rôle actif dans le processus de paix en cours, soit au sein des groupes armés, soit pour le compte du gouvernement malien.

En second lieu, la persistance de la menace terroriste continue de nourrir des inquiétudes quant à la faisabilité d’un tel processus. Les groupes extrémistes violents demeurent actifs sur le terrain. L’attentat contre l’unité du MOC à Gao en janvier 2017, le plus meurtrier du pays, et les récentes attaques dans le nord et le centre en janvier 2018, avec près d’une cinquantaine de morts civils et militaires sont là pour le rappeler.

Les acteurs internationaux disposent de moyens de pression pour débloquer le processus de DDR

Cette situation rappelle la difficulté à mettre en œuvre un processus de DDR dans un environnement complexe dominé par des attaques asymétriques. Pour autant, elle ne doit pas servir de prétexte pour repousser indéfiniment une étape essentielle de l’accord de paix. Les patrouilles mixtes prévues dans le cadre du MOC devront pleinement jouer leur rôle.

En attendant, les conséquences de l’ineffectivité du DDR sont nombreuses et maintiennent le pays dans une spirale de la violence dangereuse pour la cohésion sociale. Les groupes armés ont souvent des difficultés à entretenir leurs combattants. Dans des régions en très grande difficulté économique, la tentation est donc grande pour certains de recourir à des méthodes brutales contre les populations afin de subvenir à leurs besoins.

« L’autre jour, nous revenions de la foire hebdomadaire lorsqu’un groupe d’hommes en armes nous a arrêtés. Après des tirs de sommation, leur chef nous a intimé l’ordre de vider nos poches et de lui donner nos biens de valeur. L’un d’entre nous a refusé d’obtempérer. Ils lui ont tiré une balle dans le pied. Tant que le DDR ne sera pas effectif, il n’y aura pas de paix au Mali ».

Le récit de ce jeune originaire d’In Tillit, localité située dans la région de Gao, n’est pas un cas isolé. Il illustre le quotidien de centaines de personnes, dans le nord et le centre du pays, qui souffrent de la prolifération des groupes armés et de la grande disponibilité des armes. Les populations tentent de s’armer en s’organisant parfois en mouvements d’auto-défense. Cette course à l’armement installe progressivement au sein des communautés un climat de suspicion préjudiciable à la réconciliation nationale.

Le Mali entre dans une phase cruciale avec en ligne de mire les scrutins à venir dont la présidentielle de juillet 2018. L’absence de progrès significatifs dans la mise en œuvre de l’APR, notamment dans le processus de DDR, hypothèque l’avenir du pays. Les parties maliennes doivent inscrire leur action dans une démarche qui fasse de l’intérêt général une priorité pour éviter que le pays ne rechute.

La nouvelle dynamique, installée au lendemain de la 23ème réunion du Comité de suivi de l’accord, tenue les 15 et 16 janvier derniers et ayant vu l’adoption d’un chronogramme prévoyant des actions concrètes dans la mise en œuvre des différentes dispositions de l’APR dont le DDR, au cours des prochaines semaines, doit être encouragée et soutenue par les acteurs internationaux. Ils disposent pour cela de différents moyens de pression, y compris le régime de sanctions adopté en septembre dernier, pour débloquer le processus de DDR.

Ibrahim Maïga, Chercheur basé à Bamako, ISS Dakar

Cet article est d’abord paru sur le site de l’Institut d’études de sécurité