Depuis ces cinq dernières années, le Burkina Faso vit une période d’insécurité sans précédent. Entre attaques terroristes contre des militaires et civils, des enlèvements, des menaces à visage dévoilé, tout est réuni pour semer la terreur dans ce pays sahélien. Dans la nuit du vendredi 4 au samedi 5 juin 2021 à Solhan, province du Yagha, dans la région du Sahel, plus d’une centaine de personnes sont tuées dans une attaque terroriste. Plus d’un mois après, les rescapés ayant trouvé refuge à Dori, à 100 km de Solhan reviennent sur le récit des faits.
Assis sous un arbuste épineux et profitant de l’ombre de la maison, une dizaine de membres d’une famille sont en pleine causerie. Une vie normale ! On ne peut pas s’imaginer que cette famille qui réside dans le quartier Niariala de la commune de Dori, chef-lieu de la région du Sahel, a survécu à une tragédie. A l’intérieur de la maison, Fatimata Dicko s’active à servir le déjeuner à sa famille. Cette rescapée qui a le sourire à notre arrivée traîne un douloureux souvenir. Nous allons le découvrir lorsque nos échanges ont commencé.
« On était couché dans la cour, comme d’habitude, aux heures du couvre-feu. Les crépitements des armes nous ont réveillés. Cela a semé une panique totale », se remémore-t-elle, avec un sourire qui disparaît peu à peu.
Dans le même quartier qui est situé sur la route de Sebba (100 kilomètres de Dori), c’est un nombre important de Personnes déplacées internes (PDI) suite à l’attaque terroriste survenue à Sohlan au petit matin du samedi 5 juin 2021 qu’on y trouve. Pour une bonne organisation de ces rescapés, et de manière spontanée, Hama Diabaté a été désigné comme le porte-parole. Cet électricien se souvient encore avec beaucoup de précision le drame de Solhan.« L’attaque est survenue de 2h à 6h du matin », indique-t-il.
Deux événements
Ahmed Sawadogo (nom d’emprunt pour des raisons sécuritaires) est un militaire à la retraite. Assis également sous un arbre, il affirme que ce sont deux événements qui se sont produits.« Sur le premier site, à part les orpailleurs qui étaient dans les trous, personne n’a pu se sauver. Ils sont allés sur un deuxième site, situé à moins d’un kilomètre de Solhan, pour répéter les mêmes bêtises. Ils ont neutralisé les gens et brûlé des concessions », raconte-t-il amèrement.
Bilan lourd et contradictoire
Après 4h noires, les rescapés ont découvert plusieurs pertes en vies humaines et matérielles. Pour Hama Diabaté, natif de Solhan, après son refuge, il dit être revenu dans le village. « Après, on a fait un tour au marché pour faire le constat. Rien n’est resté à notre arrivée, ils ont brûlé tout le marché », soupire le désormais porte-parole des rescapés.
Face à un tel massacre, il n’y a pas besoin de faire une autopsie. Les survivants doivent inhumer leurs morts. Selon Ahmed Sawadogo, ils ont commencé à enterrer des cadavres à partir de 8h du matin jusqu’à 16h. Se confiant aux médias, le maire adjoint de la commune de Solhan, Youssoufi Sow, a annoncé un bilan de 160 morts enterrés en cette journée. « Nous avons creusé trois fosses communes et nous avons enterré 50, 50 et 60 personnes », a-t-il rapporté. Mais quatre jours plus tard, le gouvernement a annoncé un bilan officiel de 132 morts et 40 blessés. Une contradiction qui a suscité une vague d’indignation.
Une autre contradiction, c’est celle de l’identité des assaillants. Alors que le ministre de la Communication, Ousséni Tamboura a déclaré que les assaillants avaient un âge compris entre 12 et 16 ans, les rescapés nient en bloc. « Ce ne sont pas les enfants. Ce sont des armes lourdes qu’ils tenaient. S’ils disent que ce sont des enfants, c’est faux ! C’est archifaux ! » clame Ahmed Sawadogo. Mieux, il précise qu’il avait des filles parmi eux.
Dans une interview accordée au journal Lefaso.net, l’Emir du Liptako, Ousmane Amirou Dicko, a affirmé que la plupart des victimes étaient des déplacés de Mansila, une localité du Sahel occupée par les terroristes.
« Ce n’est pas facile ! On se débrouille ! »
Pendant que certains enterraient les morts, d’autres ont préféré prendre la fuite afin de sauver leur peau.« On a essayé de se réfugier comme on peut jusqu’au petit matin. Lorsque les terroristes sont repartis, nous avons commencé à plier les bagages pour la débandade, vers Sebba. Franchement, c’est Dieu seul qui nous a sauvés », raconte Fadima Oumarou, la belle-mère de Fatimata Dicko, qui précise que c’est à l’aide d’un triporteur (communément appelé tricycle) qu’elles ont rejoint Sebba puis Dori.
Arrivée à Dori, c’est une nouvelle vie qui commence. L’accalmie n’arrive pas à supprimer toutes les souffrances. Fatimata Dicko a une dizaine de bouches à nourrir alors qu’elle n’a pas d’activité. « Ce n’est pas facile ! On se débrouille ! » se lamente cette dame qui a perdu deux de ses cousins dans ce massacre. Son mari est resté à Sebba pour « se débrouiller » également.
La survie à Dori est essentiellement marquée par des dons, à en croire les rescapés. Les bonnes volontés (les ressortissants de la région pour la plupart) et l’Action sociale donnent des vivres et produits de première nécessité. Malgré ces actions humanitaires, les besoins se font toujours ressentir. Selon Hamidou Ousmane Dicko, un orpailleur de Solhan, qui a aussi fui pour Dori,les soutiens ne suffisent pas. « Vingt personnes pour deux sacs de riz, on ne sait pas comment on va faire. Il y a des gens qui n’ont pas de place pour dormir », vocifère-t-il.
« Les VDP ont appelé l’armée… c’est mieux de se retirer »
Solhan est situé à une dizaine de kilomètres de la commune de Sebba. Pourtant à Sebba, il y a un détachement militaire. Ce bilan macabre laisse une interrogation : comment a-t-on pu tuer une centaine de personnes et détruit tant de matériel pendant quatre heures de temps à une dizaine de kilomètres d’un camp militaire ?
En janvier 2020, le Burkina Faso a promulgué une loi portant création des Volontaires pour la défense de la patrie (VDP). Ces civils armés dans les régions les plus touchées par le terrorisme (Centre-Nord, Nord, Est et Sahel). A en croire les témoignages de Hama Diabaté, les VDP de Solhan ont alerté la base de Sebba. « L’armée est à 12 kilomètres de Sebba. Les VDP ont appelé l’armée et ils leur ont dit qu’ils ne peuvent pas venir, vu le nombre des terroristes qu’ils ont entendu et leurs armes », nous confie-t-il. Et il poursuit en disant : « Et si les VDP aussi peuvent, c’est mieux de se retirer. C’est ce qu’ils ont fait. »
C’est au cours de son refuge que M. Diabaté a su qu’effectivement les VDP ont pris la poudre d’escampette. « Dans la nuit, j’ai fait au moins deux kilomètres pour me réfugier dans la brousse. Le matin, lorsque je voulais rentrer, derrière moi, il y avait au moins huit VDP qui étaient aussi couché. On est revenu ensemble pour constater les dégâts. »
Lorsque le soleil s’était levé sur Solhan, les militaires ont fait leur apparition mais à la tombée de la nuit, ils ont replié. « Quand l’armée est venue dans la matinée, on pensait que c’était pour nous protéger mais à 18h, l’armée a replié. Vers 20h, les terroristes sont revenus pour brûler des maisons et boutiques », témoigne le militaire à la retraite, Ahmed Sawadogo.
« Mettre en place une stratégie claire… »
Cette pire attaque terroriste a suscité une vague de désolation. Les interrogations n’ont pas de réponse. Selon l’expert en sécurité, Mahamoudou Sawadogo, l’une des hypothèses de cette tuerie, « c’est le contrôle d’un certain nombre de mines artisanales qui fait que ces zones sont beaucoup convoitées par ces groupes armés terroristes ». Comme solution, il propose de faire une nouvelle réforme du secteur de la sécurité. « Il faut définir le rôle de chaque unité, chaque entité qui se trouve à l’intérieur de la sécurité. La deuxième chose c’est de mettre en place une stratégie claire pour comprendre les dynamiques en fonction de chaque région. »
Mais dans la foulée, dans la même journée du samedi 5 juin, le gouvernement a décrété 72h de deuil national. Et s’en est suivi d’autres mesures des autorités. Le dimanche 6 juin 2021, le gouverneur de la région du Sahel a décidé de la fermeture des sites aurifères artisanaux et de la suspension de toutes les activités liées à l’exploitation de l’or sur les sites des provinces de l’Oudalan et du Yagha (Solhan).
« Aujourd’hui, presque la moitié est rentrée »
A trois semaines après le massacre, la vie à Solhan reprend son cours avec un rythme à la hauteur de l’événement. Joint au téléphone, un responsable local (qui a requis l’anonymat) raconte l’ambiance. « Ce massacre, pour que les gens se retrouvent, ce ne sera pas facile ! Mais les gens commencent à rentrer petit à petit. Aujourd’hui, presque la moitié est rentrée. Des dernières nouvelles, le coin est bien sécurisé. Les militaires sont sur place. Ça fait presqu’une semaine qu’on n’a plus les nouvelles de leur passage, les ennemis [terroristes] », relate S.K.
Pour la présence des militaires, le soldat X.T. confirme : « Effectivement, il y a un détachement actuellement à Solhan après le massacre. Ceux qui avaient fui sont en train de revenir. Il y a un dispositif sécuritaire sur place pour sécuriser la commune ».
Quelle activité mène les orpailleurs actuellement ? A cette question, S.K. nous informe que depuis la fermeture du site d’orpaillage, à part les autochtones, personne n’est plus là-bas. « Certains commerçants ont ramassé leurs marchandises pour aller stocker ailleurs parce que le site d’orpaillage est l’animation du village. Aucune activité d’orpaillage ne se réalise. Les populations se lamentent auprès de nous mais nous leur demandons de patienter, car le site est fermé par une autorité administrative », poursuit-il.
Retour conditionné pour certains
Pendant ce temps, certains rescapés qui sont accueillis à Dori demeurent sceptiques. Pour Fadima Oumarou, « si les conditions sont vraiment réunies pour un retour », elle est prête à retourner à Solhan. Sa belle-fille, Fatimata Dicko, partage le même avis. « On espère qu’il y aura une amélioration. Présentement, on a peur ; sinon on veut rentrer ».
Quant à Hama Diabaté, le porte-parole des rescapés, il porte toujours le douloureux souvenir et il n’a pas confiance malgré ces mesures sécuritaires. « On n’a plus confiance d’y retourner. Nombreux refusent de repartir. J’ai perdu cinq frères dans l’attaque. Imaginez-vous si on a confiance de retourner. C’est difficile ! »
Cette situation est difficile, en effet, lorsqu’on voit les statistiques. Depuis 2016, le Burkina Faso compte plus de 2000 morts et plus de 600 attaques. A la date du 30 juin 2021, selon le gouvernement, le pays enregistre plus d’un million (1 312 071) de PDI dont 16,41% des hommes et 23,04% femmes et 60,55% d’enfants.
Alpha Diallo
*Réalisé avec le soutien du Programme Sahel de l’IMS, financé par DANIDA.
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