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Centre du Mali: Kouakourou, une lueur d’espoir après 2 ans de blocus des djihadistes ? #1

Assiégé pendant plus deux ans par des groupes armés terroristes, le village de Kouakourou, situé à 39 km de Djenné, est devenu un symbole du refus du diktat djihadiste. Aujourd’hui, la vie reprend timidement son cours. La foire hebdomadaire, l’agriculture et la pêche se font grâce à un accord de cessez-le-feu entre les Donso et les djihadistes qui opèrent dans la zone, et surtout grâce au déploiement des Forces armées maliennes (FAMa). Mais l’école peine toujours à fonctionner normalement.

De septembre 2017 à août 2019, il était pratiquement impossible de se rendre à Kouakourou sans une escorte de l’armée malienne. L’histoire récente de ce village où, l’accès n’est possible qu’en pirogue ou bateau, pendant la crue, est singulière.

Déjà en 2015, des groupes djihadistes sous le commandement du prédicateur Amadou Koufa font leur apparition au Centre du Mali. Ces hommes armés dont la volonté est de faire appliquer la charia, sont devenus en quelques temps, maîtres de plusieurs localités du delta intérieur comme Kouakourou. Des représentants de l’administration malienne, préfets, maires ou encore des agents des eaux et forêts sont menacés ou assassinés. Même certains chefs coutumiers n’ont pas été épargnés. Plus de musique, plus de football, plus d’école et le port du voile obligatoire pour les femmes. C’était le début d’une crise qui allait durement affecter une grande partie des localités du Centre du pays dont le village de Kouakourou, chef-lieu de la commune de Kewa.

« Résister ou se soumettre »

Tout commence le 02 septembre 2017, au lendemain de la fête de Tabaski. Des hommes armés à motos, sont entrés dans le village pour disperser, à coup de cravache, les jeunes filles et garçons qui faisaient la fête. «J’étais présent sur les lieux quand ils rentraient. Ils ont parcouru tout le village jusqu’au bord du fleuve et sont revenus par la suite. A leur retour, ils avaient des fouets. Ce jour, comme c’était la fête, traditionnellement, les jeunes garçons et les jeunes filles, durant les deux ou trois jours de la fête, sortent ensemble pour aller saluer les parents, amis et connaissances. Ils sont venus les disperser avec leurs fouets. Mais comme les jeunes étaient très nombreux, certains n’ont pas voulu partir, beaucoup les ont suivis », se souvient Moussa Kondo, ancien maire et conseiller du chef de village de Kouakourou.

Cette altercation entre les djihadistes et les jeunes du village en grand nombre qui ont refusé de se soumettre était tout simplement « impardonnable ». Les djihadistes, mécontents, sont allés voir le chef du village en le menaçant de l’enlever. « Après la prière du crépuscule, devant la mosquée, les vieux se sont réunis pour dire trop c’est trop. Depuis trois ans, aujourd’hui, vous (les djihadistes) êtes là, vous avez chicoté les jeunes et les vieilles personnes. Aujourd’hui, vous dites que vous allez amener aussi notre chef. Nous ne serons jamais d’accord. L’appel est lancé à tout le village, pour que ces gens-là, ne rentrent plus dans notre village. Le coup est parti comme ça. Nous sommes sortis la nuit, tous les jeunes, mais pratiquement les gens n’avaient pas d’armes. Certains avec des gourdins, des haches, des coupe-coupes, nous sommes sortis comme ça », souligne Moussa Kondo.

 « Chaque soir, armés de nos simples bâtons, coupe-coupes ou haches, nous organisions des patrouilles à l’intérieur du village. Nous avions peur mais, il fallait résister », ajoute Ali N., un habitant de Kouakourou.

Les djihadistes ne sont plus revenus dans le village mais s’en sont pris aux moyens de subsistance des populations. Le 06 septembre 2017, ils ont brûlé les 12 motopompes utilisées pour l’arrosage des périmètres irrigués du village et emporté 178 bœufs de labour. Durant plusieurs mois, Kouakourou fera partie des villages assiégés par les djihadistes. « C’est l’existence même de Kouakourou qui était menacé », dira un habitant.

Face à la situation, les autorités ont dépêché, dans un premier temps, une unité des forces spéciales pour faire le constat avant de se retirer. Par la suite, un détachement de la garde nationale prendra la relève le 8 septembre 2017. Plus tard, le nouveau camp militaire sera construit grâce à l’appui de la Mission onusienne au Mali (MINUSMA).

Le Premier ministre d’alors, Abdoulaye Idrissa Maïga, accompagné d’une forte délégation a effectué une visite dans ce « village martyr » pour rassurer les populations en novembre 2017.

Un périmètre irrigué près de Kouakourou © S. Kondo / Sahelien.com

Malgré la présence des Forces armes maliennes, la mobilisation des autorités et des ressortissants du village, ainsi que la mise en œuvre du plan de sécurisation intégrée des régions du Centre, les terroristes ont continué à maintenir la pression aux alentours du village. « Même pour le bois de chauffe, une fois par semaine, les militaires nous accompagnent à quelques kilomètres pour en chercher », nous indique Yaouro Nientao, une habitante.

Le 14 décembre 2018, plus d’une vingtaine de pécheurs ont été enlevés à Tawana à juste 5 km de Kouakourou. Plus personne ne peut donc s’aventurer à plus d’un kilomètre du village y compris les pêcheurs. Plus personne ne peut venir dans le village pour la foire hebdomadaire. La population a survécu grâce aux dons de vivres de l’Etat et surtout  de l’aide des ressortissants de ce village vivant à Bamako. « En dehors du collectif, chaque ressortissant a quadruplé son apport pour sa famille », précise M. Kondo.

A plusieurs reprises, les militaires maliens en patrouille dans la zone ont eu des accrochages avec les djihadistes. L’usage des engins explosifs improvisés (EEI) dans le Centre du pays par les groupes armés terroristes, a fait au moins un mort, le 25 février 2018, près de Kouakourou, lorsqu’une charrette a heurté une mine.

Pendant ce temps, sur le fleuve Niger, les groupes armés terroristes fouillaient les pirogues, à la recherche d’habitants de Kouakourou voulant se rendre à Mopti. Sept personnes ont même été enlevées en mars 2018 vers le village de Saouna, à quelques kilomètres de Mopti. Parmi elles, trois habitants de Kouakourou et quatre autres ouvriers venus pour la construction du camp militaire.

Le blocus était quasi-total. Plus d’une fois, les bateaux de la compagnie malienne de navigation ont été pris pour cibles dans les environs de Kouakourou. Les terroristes se positionnaient sur les berges et ouvraient le feu sur ces appareils.

Pendant deux ans à Kouakourou, les nuits furent longues. Avec la présence des Donso, le déploiement de l’armée malienne et les pourparlers initiés par des leaders communautaires de part et d’autre, une certaine accalmie règne aujourd’hui à Kouakourou et dans le delta intérieur du Niger.

Sory Kondo, de retour de Kouakourou

*Réalisé avec le soutien du Programme Sahel de l’IMS, financé par DANIDA.