Le gouvernement malien doit s’efforcer de protéger les civils et éviter de poser des actions qui stigmatisent certaines communautés en les assimilant aux djihadistes.
Le 23 mars 2019, la violence dans le centre du Mali a pris une ampleur inédite. Une attaque contre le village d’Ogossagou, dans la région de Mopti, dont les auteurs présumés appartiendraient au groupe armé de l’association des chasseurs “Dan Nan Ambassagou”, et qui s’est soldée par la mort de 157 civils, tous issus de la communauté peule. Au lendemain du massacre, le gouvernement malien, réuni en Conseil des ministres extraordinaire, a procédé à une réorganisation au sein de la hiérarchie militaire et à la dissolution de l’association Dan Nan Ambassagou, revendiquant leur appartenance à la communauté dogon.
Les décisions du gouvernement, diversement accueillies au sein de l’opinion publique, visent à insuffler une nouvelle dynamique au processus de stabilisation dans le Centre. Le principal défi demeure toutefois la mise en œuvre d’actions concrètes sur le terrain afin de garantir la protection des civils, de ramener la cohésion sociale et d’accélérer le processusde Désarmement, démobilisation et réinsertion (DDR). Lancé en décembre 2018, le DDR a pour objectif, notamment la récupération de toutes les armes acquises illégalement et d’offrir des voies de sortie aux combattants des groupes extrémistes violents.
L’attaque du 23 mars, en visant également des combattants du groupe armé de Sékou Bolly qui avaient déposé les armes, pourrait porter un préjudice significatif au processus de DDR. Ce dernier groupe, composé essentiellement de peuls, se revendique aussi du Mouvement pour le salut de l’Azawad (MSA), partie prenante de l’accord pour la paix issu du processus d’Alger, signé en 2015.
Depuis le début de l’année 2019, le centre du Mali est le théâtre d’une recrudescence de la violence contre les populations civiles. L’attaque de Koulogon peul, le 1er janvier, avait fait près d’une quarantaine de morts. Les forces armées maliennes sont, elles aussi, la cible d’opérations terroristes d’envergure. En témoigne celle du 17 mars contre une base militaire à Dioura qui a tué près de 30 personnes. Elle a été revendiquée par le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), principale coalition « djihadiste » créée en mars 2017 et à laquelle appartient la katiba Macina.
La katiba Macina est dirigée par Hamadoun Kouffa, qui avait été donné pour mort en novembre 2018 avant de réapparaître dans une interview vidéo en arabe, en février dernier. Le 20 mars 2019, dans une traduction audio en fulfulde qui lui est attribuée, le chef djihadiste dément non seulement sa mort, mais critique aussi certaines réponses de l’État dans la gestion de la crise dans le Centre, notamment le processus de DDR.
L’une des forces de cette katiba réside dans sa capacité à s’implanter en milieu rural en exploitant les failles dans la gouvernance. Dans ces zones, les populations ont un accès limité à la justice et bénéficient de peu ou pas de protection pour elles et leurs biens (principalement le bétail). En outre, une crise de confiance profonde s’est progressivement installée entre elles et les forces de défense et de sécurité.
Le centre du Mali est constitué d’une mosaïque de communautés avec des modes de vie et des appartenances socioprofessionnelles distinctes qui sont souvent à l’origine des conflits dans la zone. Ainsi, les Dogons, les Dafings, les Bamanans, les Markas ou les Nonos sont traditionnellement sédentaires. Les Peuls et les Bozos, notamment, fondamentalement nomades, sont en partie devenus semi-nomades ou sédentaires en raison, entre autres, des aléas climatiques et des politiques de développement normatives privilégiant la sédentarité au nomadisme.
Les groupes extrémistes violents prospèrent dans les zones où l’État est absent ou contesté. Dans un contexte de tensions liées à l’accès aux terres cultivables et aux pâturages, exacerbées par le dynamisme démographique, les groupes extrémistes violents instrumentalisent aussi les conflits tout en se portant garants de l’ordre social. C’est le cas, par exemple, dans le delta central du Niger où la katiba Macina intervient depuis 2015 dans plusieurs localités pour résoudre des conflits souvent anciens liés à l’accès aux ressources agropastorales.
Les multiples attaques contre les civils et les assassinats ciblés sont les conséquences, parmi d’autres, de l’incapacité de l’État à assurer pleinement sa mission de protection des personnes et de leurs biens. Cette situation a conduit les communautés à développer des mécanismes d’autodéfense, qui se traduisent par la prolifération de groupes armés à base communautaire, dans le Centre.
Les organisations de défense des droits humains indiquent que les opérations militaires de lutte contre le terrorisme ont durement touché les populations, en raison des arrestations arbitraires et des exactions à l’encontre des civils. Ainsi, à la mi-février, une vingtaine de membres de la communauté peule auraient été tués lors d’opérations dans la commune de Mondoro. Ces actes ont contribué à détériorer les rapports entre les populations civiles et les forces armées.
En 2017, le gouvernement malien a adopté le Plan de sécurisation intégré des régions du Centre (PSIRC), combinant des actions de sécurité à celles de développement. La persistance de l’insécurité, au vu des récents événements, démontre que ces réponses demeurent insuffisantes.
Lors de son passage à l’Assemblée nationale en janvier 2019, le Premier ministre Soumeylou Boubèye Maïga a préconisé d’associer les opérations militaires au redéploiement de l’administration dans les zones affectées par les conflits. Il a aussi plaidé pour l’instauration d’un mécanisme de dialogue intercommunautaire et la relance du DDR. Le 4 janvier, à Koulongo peul, le président de la République annonçait la tenue prochaine d’un forum régional pour la réconciliation et la paix dans le centre du Mali.
Cependant, ces concertations locales ne pourront à elles seules contribuer à faire cesser les violences. La société civile et les organisations non gouvernementales mettent en œuvre leurs propres initiatives et les participants aux rencontres ne sont pas forcément les plus légitimes.
Les populations locales sont, d’ailleurs, très critiques envers cette accumulation d’initiatives de dialogues communautaires, menées de façon cloisonnée, avec peu ou pas de résultats, et qui ne semblent pas être connectées à des processus décisionnels en mesure de changer la donne sur le terrain.
Les dialogues communautaires peuvent contribuer à apaiser les tensions et désamorcer les conflits. Mais ils ne doivent pas se faire au détriment de la justice. Les organisations de défense et de protection des droits humains et la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) peuvent apporter leur aide en documentant des cas concrets et en mettant en œuvre une justice transitionnelle.
Le gouvernement malien devrait s’attacher à placer la protection des populations civiles au cœur de son action. Dans le cadre des opérations antiterroristes, il importe aussi d’éviter de stigmatiser certaines communautés, notamment les Peuls, en les assimilant aux djihadistes. L’État doit démontrer sa volonté et sa capacité à lutter contre l’impunité pour prévenir de futurs massacres tels que celui d’Ogossagou.
Le désarmement effectif de tous les groupes armés s’impose, notamment pour éviter de nourrir une perception de partialité. La nomination d’un haut représentant du chef de l’État pour le Centre devrait être envisagée pour assurer la coordination des actions du gouvernement, y compris le PSIRC, qui est multisectoriel.
Sans une volonté politique plus manifeste et sans stratégie sur le long terme, il sera difficile de résoudre la crise dans le centre du Mali. Au cours des prochaines semaines, le gouvernement devra démontrer que les décisions prises lors du Conseil des ministres extraordinaire du 24 mars ne sont pas simplement des effets d’annonce, mais qu’elles traduisent la ferme volonté de changer la donne sur le terrain dans un contexte où l’instabilité affecte non seulement le reste du pays, mais aussi les pays voisins.
Boukary Sangaré, Chercheur, ISS Bamako
Cet article a d’abord été publié sur le site de l’Institut d’études de sécurité (ISS)