L’anthologie de la poésie malienne parue aux Editions La Sahélienne est la toute première dans son genre. L’ouvrage de 184 pages est dirigé et présenté par l’écrivain et poète Ismaila Samba Traoré avec la préface assez outillée du professeur Oumar Kanouté, homme de lettres et leader politique qui le fixe dans son contexte.
Cet ouvrage vient à point nommé car aujourd’hui plus que jamais, la poésie a sa place au Mali et en Afrique. Parce qu’elle est facteur de cohésion sociale et de partage des diversités culturelles. En ces temps de crises, la poésie permet à l’homme de se retrouver. Elle apaise les cœurs, apporte la joie de vivre, incite à l’humanisation, favorise la paix et permet d’aller à la rencontre de l’Autre. La poésie éduque, elle permet de connaître sa propre culture et celle des autres. Elle contribue à la promotion des valeurs identitaires et de l’inter culturalité.
Autant de raisons pour saluer l’édition de ce précieux ouvrage et du Festival international de poésie en perspective. Au Mali la tradition de la lecture le cède à l’oralité. La poésie est dite, à l’instar des maîtres de la parole, les dyali qui constituent la synovie de l’entente sociale.
Je ne peux résister au plaisir de comparer cette anthologie à une vieille roulotte qui a mis plus de cinquante ans à atteindre sa destination. En effet, depuis le 17 Janvier 1959 avec le regroupement du Sénégal et du Soudan au sein de la Fédération du Mali, avec Modibo Keita comme chef du gouvernement et Léopold Sédar Senghor comme président, un projet d’anthologie fédérale fut conçu par Senghor impressionné par la puissance du verbe de notre espace géographique commun. Le chantre de la Négritude, lors d’une de ses visites officielles à Bamako, en formulera le désir au Président Modibo Keita qui chargera le doyen des poètes Mamadou Gologo du projet. L’initiative démarra avec Siriman Cissoko enseignant et de Matié Traoré, agent technique des Postes et Communication, Siguino Sanogo, agent d’agriculture, Sian Samaké de la subdivision de Bamako.
L’éclatement de la fédération du Mali aura raison du projet. Mais une quinzaine d’années plus tard Abdoulaye Ascofaré publie son premier recueil « Domestiques le rêve » dont la fraîcheur du langage donne soif à lire les poètes de sa génération. Il décide de travailler au montage d’une anthologie mais le projet sera en butte à de nombreuses difficultés.
Par leur facture, les poèmes de l’anthologie d’Ismaila Samba Traoré sont comparables à des fruits naturels, mûris à l’arbre, sans précipitation. Nourris de Soleil et de pluie, ils ont pris le temps qu’il faut à l’idée pour germer, s’enraciner et devenir une idée force. Voilà pourquoi l’idée du Président Senghor voulait que cet ouvrage épousât l’art de dire des dyali de chez nous. Eux qui savent déclamer les hauts faits marquant la vie de la communauté, ses espérances, ses angoisses et ses tristesses. Régulateur social, démiurge, orfèvre du verbe, ces maîtres de la sémantique sont à la fois craints et adulés de tous.
Le poète de cette anthologie est un chantre qui dit, qui se dit, qui s’écrit, qui se décrit, qui dit l’Autre et ses relations au monde. Le poète de cet ouvrage a un sens poussé de la sonorité dans le mot, du rythme dans le vers, de l’hermétisme voulu dans l’image. Un don qui fait de certains poètes et poétesses d’excellents paroliers ou chansonniers, parce qu’ouverts à la musique dans les compositions des vers, dans les jets et rejets.
Mon ancien étudiant Ismaila Samba Traoré a travaillé sur cette mosaïque poétique pendant deux ans et il a réussi le pari d’aligner les œuvres de trente-huit poètes de différentes générations. Il ne serait pas exagéré de dire que le poète, chercheur et éditeur qu’il est a offert à notre pays un patrimoine littéraire avec lequel il va falloir compter.
Fondateur des Editions La Sahélienne Ismaila Samba Traoré est un ancien cadre de l’administration, ancien membre de cabinets ministériels, ancien Président de l’Union des écrivains maliens et Secrétaire Général de l’Union des poètes et Ecrivains Africains. Actuellement, il assure la Présidence de Pen-Mali et du Mouvement Malivaleurs qui sont partenaires avec « La Sahélienne » dans l’édition de cette anthologie. Cet ouvrage respire profondément le Mali tant sur le plan spatial que temporel. Car il puise dans les écrits anciens, qui datent des 15 et 16 siècles.
L’anthologie de la poésie malienne présente le paysage varié d’une grande preuve d’amour, celui de la terre natale qui lie l’âme d’un peuple à ses origines, à ses souffrances, à ses angoisses et à ses rêves et angoisses par rapport à l’humanité. Le souffle poétique malien, l’originalité et les références culturelles maliennes révèlent ici au monde d’autres manières d’écrire, de s’écrire, de se dire et de dire l’autre. Ainsi le lectorat de ce recueil savoureux découvre des styles différents dans l’art d’évoquer et de suggérer les sensations, les impressions, les émotions, utilisant fort à propos les sonorités, les rythmes, l’harmonie des mots et des phrases, les images etc.…
Le lecteur accède à une poésie conceptuelle qui campe la grisaille que traverse le vécu social malien. Et nous comprenons que le poète dit ce qu’il peut, car l’émotion est chargée par la dénonciation de la pauvreté, des déficits de gouvernance, du mal vivre malien et par extension de la misère humaine.
L’Anthologie répond à l’attente du lectorat sur plusieurs plans importants
-le niveau de langue qui est fondamental dans l’expression poétique
– le prise en charge des préoccupations de la société qui se reconnaît à travers ses poètes
– l’ouverture au monde, par la magie du verbe de l’univers cosmique malien
Cette anthologie est une lettre de créance qui signe la mise en orbite de nos auteurs sur la galaxie poétique du monde. Pour développer de nouvelles utopies qui feront que l’homme ait conscience de son pouvoir. Car le rêve de la poésie c’est de remettre à sa place ce qui est en permanence sur le piédestal. Mais hélas, triste le pays qui ne sait pas distinguer les perles de son patrimoine.
Cet ouvrage qui apparaît comme un arc-en-ciel de mots vient à son heure afin que soient équipés les maîtres, élèves, étudiants en littérature, les centres culturels et les bibliothèques des écoles.
Par le Professeur Gaoussou DIAWARA