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Le rôle des femmes dans les groupes extrémistes violents en Afrique de l’Ouest

Les groupes visent des objectifs stratégiques en incluant ou en excluant les femmes de leurs opérations.

Impliquées dans de nombreuses attaques perpétrées par Boko Haram dans le bassin du lac Tchad, les femmes semblent jouer un rôle moins direct dans les actions du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), actif dans plusieurs pays sahéliens. La différence de posture de ces groupes quant aux rôles qu’ils attribuent aux femmes, interpelle sur leurs motivations à inclure ou exclure ces dernières de leurs opérations.

Depuis sa création, en mars 2017, le GSIM, fusion de quatre groupes terroristes notoires actifs au Mali – Ansar Dine, Katiba Macina, Al-Mourabitoune et Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) au Sahara – a mené de nombreuses attaques au Mali, au Burkina Faso et au Niger.

Ce groupe a revendiqué l’attaque du 14 avril 2018 contre la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) et l’opération française Barkhane dans la région de Tombouctou. Après cette attaque, l’ancien commandant de la force française, le général Bruno Guibert, a évoqué l’implication d’une femme kamikaze.

L’État islamique en Afrique de l’Ouest n’aurait déployé jusqu’à présent que des kamikazes masculins, mais cela pourrait changer

Deux semaine après, un communiqué du GSIM a démenti cette allégation, indiquant que selon son approche doctrinale les femmes ne participent ni aux opérations ni aux combats. Le groupe mentionne aussi que la « nation musulmane » dispose encore de suffisamment d’hommes vaillants prêts à combattre.

Contrairement au GSIM, dans la région voisine du lac Tchad (Cameroun, Nigéria, Niger, Tchad), Boko Haram est connu pour le recrutement – souvent forcé – de femmes dans ses rangs, y compris pour mener des opérations kamikazes. Entre avril 2011 et juin 2017, le groupe a perpétré au moins 434 attentats-suicides, dont 244 par des femmes.

Dans le cas de Boko Haram, l’implication des femmes remonte au début des années 2000. Pour le fondateur du groupe, Mohammed Yusuf, encourager l’adhésion de femmes répondait à un double objectif : élargir la base des membres du groupe et former les femmes à devenir à la fois des épouses pour les insurgés et des mères pour la prochaine génération de combattants. Cette stratégie visait aussi à inciter plus d’hommes à rejoindre le groupe.

Sous la direction de Abubakar Shekau, qui a pris la tête du mouvement à la mort de Mohammed Yusuf en 2009, le groupe a enlevé de nombreuses femmes et filles. Alors que certaines femmes ont volontairement rejoint le groupe, d’autres ont été enrôlées de force. Le groupe aurait ainsi enlevé plus de 2 000 femmes et jeunes filles entre 2014 et 2015.

Les femmes jouent des rôles de soutien tels qu’informatrices, lavandières et cuisinières pour des groupes extrémistes au Mali

Au départ, il apparaît que cette stratégie a été élaborée en représailles à l’arrestation par le gouvernement nigérian en 2012 de membres de familles de militants de Boko Haram, dont les épouses de Shekau.

Plus récemment, la faction de Shekau a utilisé des filles et des femmes, et en particulier les filles de Chibok enlevées le 14 avril 2014, comme outil de propagande et de publicité pour attirer l’attention internationale et exiger auprès du gouvernement nigérian une rançon et des échanges de prisonniers.

En dépit des démentis du gouvernement, les spéculations demeurent quant à un éventuel paiement de rançon pour la libération des filles de Chibok et de celles de Dapchi, enlevées le 19 février 2018 par la faction séparatiste du groupe, l’État islamique en Afrique de l’Ouest, dirigée par Abu Musab Al-Barnaoui.

Certains groupes extrémistes refusent d’utiliser ouvertement les femmes dans des attentats-suicides afin de conserver le soutien des populations locales

Des femmes et filles enlevées ont été mariées à des combattants dans le but d’attirer des recrues masculines. Boko Haram a également utilisé des filles et des femmes comme kamikazes, leur présumée « nature non violente » les rendant moins suspectes.

Depuis la scission de Boko Haram en août 2016, la faction dirigée par Al-Barnaoui n’aurait déployé que des kamikazes masculins. Au regard de l’évolution des rôles attribués aux femmes par le groupe duquel il s’est détaché, cette position de la faction d’Al-Barnaoui pourrait évoluer dans les années à venir.

Contrairement à la faction de Boko Haram dirigée par Shekau, qui est critiqué pour les nombreuses exactions perpétrées de manière indifférenciée sur les populations locales, l’apparent refus du GSIM d’utiliser des femmes dans des attaques kamikazes pourrait s’expliquer par la nécessité de conserver le soutien des populations au sein desquelles le groupe est implanté.

Bien que le groupe ait nié avoir eu recours à des femmes dans les combats, un rapport publié par l’Institut d’études de sécurité a montré que les femmes jouent des rôles de soutien importants dans les activités des groupes terroristes au Mali. Elles sont par exemple informatrices, lavandières ou cuisinières. De plus, en juillet 2018, les services de renseignement maliens ont arrêté une femme accusée d’avoir fourni des engrais utilisés par la Katiba Macina, membre du GSIM, pour fabriquer des explosifs.

L’implication des femmes répond également à des considérations d’ordre pratique. AQMI aurait encouragé ses combattants à se marier au sein des populations locales du Nord Mali afin de s’implanter parmi elles et obtenir leur soutien.

Mokhtar Belmokhtar, l’un des dirigeants du groupe, aurait épousé quatre femmes de différentes familles touaregs et arabes bérabiches afin d’élargir son réseau d’influence. Cela aurait permis à AQMI non seulement de s’intégrer au sein des communautés mais aussi de garantir, grâce à ces alliances, la protection et le soutien de la population locale pendant l’occupation du Nord du Mali et au-delà.

L’implication des filles et femmes dans les groupes extrémistes violents présente des avantages stratégiques et opérationnels importants pour ces groupes. Il est important de comprendre les objectifs stratégiques que les groupes cherchent à atteindre en incluant ou en excluant les femmes de leurs rangs et de leurs opérations, ainsi que les différents rôles qu’ils leur assignent. C’est seulement ainsi que pourront être développées des stratégies adaptées, pour prévenir et contrer l’implication des femmes dans ces groupes.

Jeannine Ella Abatan, Chercheure, ISS Dakar

Cet article a d’abord été publié sur le site de l’Institut d’études de sécurité (ISS)

Les points de vue exprimés dans l’article sont ceux de l’auteure et ne reflètent pas nécessairement ceux de Sahelien.com