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Mali: la médiation de la dernière chance ?

La contestation post-électorale reflète une crise de gouvernance beaucoup plus profonde.

Les présidents de cinq pays ouest-africains (la Côte d’Ivoire, le Ghana, le Niger, le Nigeria et le Sénégal) sont attendus ce jour à Bamako, au Mali, dans le cadre d’une médiation placée sous l’égide de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Leur mission s’inscrit dans le prolongement de celle menée la semaine dernière par l’ancien président nigérian, Goodluck Jonathan, qui n’avait pas permis de trouver une issue consensuelle à la crise politique qui secoue le pays depuis le 5 juin 2020.

L’élément déclencheur de cette crise a été la proclamation par la Cour constitutionnelle, le 30 avril, des résultats définitifs des élections législatives. En cause, le renversement de l’issue du scrutin dans 31 circonscriptions, considéré par certains comme largement favorable au parti présidentiel, le Rassemblement pour le Mali, et à ses alliés.

Cette contestation post-électorale reflète en réalité une crise de confiance et de gouvernance beaucoup plus profonde. Elle s’est greffée à un front sociopolitique déjà en ébullition, caractérisé par des grèves persistantes dans les secteurs de la santé, de la justice et de l’éducation. Elle intervient également dans un contexte de mobilisations citoyennes répétées visant à dénoncer la dégradation de la situation sécuritaire, notamment avec les massacres récurrents de populations civiles dans le centre du pays et, plus récemment, la gestion critiquée de la crise sanitaire liée à la COVID-19.

La contestation en cours est portée par le Mouvement du 5 juin-Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP). Dans un mémorandum daté du 30 juin, le mouvement a exigé le renouvellement des membres de la Cour constitutionnelle, la dissolution de l’Assemblée nationale et la mise en place d’un organe législatif de transition avec un Premier ministre doté des pleins pouvoirs choisi par le M5-RFP et qui ne pourra pas être démis par le président.

Si la cohésion du M5-RFP est liée à l’inimitié envers le président Keïta, ce mouvement n’en demeure pas moins le véhicule contestataire d’une grogne sociale qui n’a rien de passager

En l’espace d’un mois, le président Ibrahim Boubacar Keïta a prononcé quatre discours à la nation pour proposer le dialogue, la mise en place d’un accord politique sur trois ans visant à mettre en œuvre les recommandations du Dialogue national inclusif (DNI) de décembre 2019 et la nomination d’un gouvernement d’union nationale.

Le mémorandum a été déclaré caduc le 9 juillet à la suite de l’échec des discussions entre les deux parties, amenant ainsi le mouvement à lancer un appel à la « désobéissance civile » jusqu’à la démission du président Keïta. Le bilan officiel des manifestations de la fin de semaine du 10 juillet fait état de 11 morts, de plus d’une centaine de blessés et du saccage de nombreux biens publics symboliques tels que l’Assemblée nationale et les locaux de la télévision nationale.

Le M5-RFP est une coalition hétéroclite composée de partis politiques de l’opposition (dont certains leaders ont été ministres du président Keïta) et d’organisations de la société civile, notamment issues de milieux religieux. L’influent Imam Mahmoud Dicko, ancien président du Haut conseil islamique du Mali, est à la fois la figure de proue et la caution morale de la contestation.

Les membres du mouvement ont ainsi des aspirations diverses. Certains semblent vouloir profiter de l’occasion pour revenir dans le jeu politique ; d’autres cherchent à se positionner dans la perspective des prochaines élections présidentielles, prévues en 2023. S’il est vrai que le M5-RFP apparaît comme une coalition de circonstance dont la cohésion est liée à l’inimitié envers le président Keïta, il n’en demeure pas moins le véhicule contestataire d’une grogne sociale qui, elle, n’a rien de passager.

La personnalisation de la crise malienne ne doit pas faire oublier qu’elle repose sur des décennies de mauvaise gouvernance

Les actions concrètes dans le sens d’un apaisement et la décision controversée d’abroger le décret de nomination des juges de la Cour constitutionnelle encore en fonction afin de renouveler celle-ci sont intervenues de manière tardive et restent rares. Pour le M5-RFP, le président Keïta cristallise les rancœurs et les déceptions. Cependant, cette personnalisation des problèmes ne doit pas faire oublier que la crise malienne repose sur des décennies de défaillance politique et de mauvaise gouvernance.

Étant donné la tournure violente prise par les événements et au regard de l’échec des multiples tentatives internes de médiation, l’intervention de la CEDEAO apparaît nécessaire. La mission de bons offices de la semaine dernière a été l’occasion pour l’organisation sous-régionale de réaffirmer son opposition à tout changement anticonstitutionnel de gouvernement et de proposer des pistes de sortie de crise. Il s’agit essentiellement de la recomposition de la Cour constitutionnelle, de la résolution du litige concernant les 31 sièges contestés à l’Assemblée nationale et d’une répartition du pouvoir à travers la formation d’un gouvernement d’union nationale sur la base de pourcentages établis.

Ces propositions ont été rejetées par le M5-RFP, qui les juge contraires à la Constitution malienne et reproche à l’organisation sous-régionale un parti pris en faveur du président Keïta. Si un consensus entre les différents protagonistes n’a pas encore été atteint, la présence de la mission de la CEDEAO a tout de même permis de faire baisser la tension dans la capitale malienne et de préparer le terrain à l’arrivée de la délégation présidentielle.

Alors que le M5-RFP annonçait le 20 juillet la suspension de son appel à la désobéissance civile en prélude à l’Aïd el Kebir (Tabaski), une fenêtre d’opportunité de dix jours vient de s’ouvrir. Elle devrait être mise à profit pour trouver une solution consensuelle à la crise afin d’éviter une reprise des confrontations violentes qui risquent d’engendrer un saut dans l’inconnu.

L’urgence devrait consister à poser les bases d’un processus politique qui rendrait irréversible la mise en œuvre de profondes et indispensables réformes de gouvernance

Les cinq présidents qui feront le déplacement doivent être conscients du préjugé défavorable qui entoure leur venue au Mali, et prouver que la CEDEAO n’est pas un « syndicat de chefs d’État » qui se soutiennent et se protègent mutuellement.

Étant donné le contexte politique et sécuritaire, tant sur le plan national que régional, la préoccupation principale doit être d’empêcher un vide constitutionnel. Une répartition de postes sur la base de pourcentages par catégorie d’acteurs ne suffira toutefois pas pour répondre aux aspirations profondes des populations.

La recherche de solutions devra prendre en compte le besoin d’amélioration du quotidien des Maliennes et des Maliens, ainsi que la nécessité d’instaurer un nouveau contrat social. Les recommandations de sortie de crise que formuleront les cinq présidents devront être concrètes et rapidement applicables, elles devront notamment s’appuyer sur les acquis du dialogue national inclusif.

L’urgence devrait consister à poser les bases d’un processus politique fondé sur une feuille de route qui rendrait irréversible la mise en œuvre de profondes et indispensables réformes de gouvernance pour éviter au Mali et à la région un nouvel épisode d’incertitudes.

Lori-Anne Théroux-Bénoni, Directrice régionale, ISS Dakar, Ibrahim Maïga, chercheur principal, Nadia Adam, chargée de recherche, et Boubacar Sangaré, chargé de recherche, ISS Bamako

Cet article est d’abord paru sur le site de l’Institut d’études et de sécurité