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Mali : le journalisme et la vie sans sel

A l’occasion de la journée mondiale de la presse, il semble pertinent de revenir sur les conditions dans lesquelles travaillent les journalistes dans certaines rédactions au Mali : sans contrat, sans salaire…Certains journalistes ne vivent que du nom du journal. Voici un article écrit en 2014. Il contient des réflexions que je souhaite repartager. 

Cela peut choquer – mais il n’empêche ! – de dire que c’est grimper à l’arbre de la naïveté que d’espérer vivre du métier de journaliste. Surtout dans un pays où l’on a déjà fait de la lecture son ennemi numéro un que l’on combat avec le même acharnement qui a poursuivi Oussama Ben Laden ou Mouammar Kadhafi.

D’ailleurs, dans les potins entre étudiants, nous aimons nous taquiner en disant que « si tu veux cacher une chose précieuse au Malien, mets dans le livre ! ». Une boutade qui provoque toujours une salve de rires, parce qu’elle colle fort bien à la réalité et permet à quiconque de se rendre compte des raisons de la sécheresse intellectuelle qui s’est installée dans le pays et qui se répand comme une lèpre.

Dans une telle situation, il est bien facile de deviner que pour le journaliste, la vie n’est vraiment pas de sel ou de repos. Il y a quelques jours, je lisais « L’œil du reporter » (*) où la chroniqueuse Françoise Wasservogel s’est employée à brosser le tableau de l’emploi des jeunes. On y lit un tableau sombre, car il présente une jeunesse aux prises de l’injustice sociale, du népotisme, de la précarité.

Et pourtant, « l’article 19 de la Constitution du 25 février 1992 garantit l’égal accès des citoyens à l’emploi ».

Résultat, « la déception est un sport national » ; les jeunes heureux d’avoir décroché un diplôme, leurs familles, la société qui les a vus grandir n’ont récolté que déception du fait de l’entêtement de la classe dirigeante à descendre encore plus dans le puits de la corruption, du népotisme, du favoritisme et que sais-je encore.

A ce constat assez éloquent sur la détresse à laquelle toute une jeunesse est en proie, il faut ajouter qu’un nombre fort considérable de jeunes réussissent la traversée de l’université avec à la clé un diplôme. Le métier de journaliste est devenu un recours unique. On l’embrasse, pour la plupart, sans conviction aucune en ayant en tête ce dicton :

« Quand on n’a pas ce qu’on aime, on prend ce qu’on a ».

En disant cela, j’ai bien conscience de remuer le couteau dans la plaie, mais le fait est que la majorité de ces jeunes journalistes dits « reporters » ne font pas honneur à cette profession ; ils méritent aussi d’être accusés. D’une part, il y en a qui, bien que travaillant dans un hebdomadaire, s’exténuent à couvrir trois à quatre événements en un seul jour. Le plus souvent sans avoir été invités, l’essentiel pour eux étant d’empocher… D’autre part, nous avons ceux qui, pendant les pauses-café, se ruent sur les tables couvertes de boissons. On les appelle : les prédateurs pour les premiers, les adeptes du « journalisme alimentaire » pour les seconds.

On me dira, à raison d’ailleurs, que c’est le seul moyen de tirer son épingle du jeu, compte tenu du fait que dans l’immense majorité des rédactions, hormis deux à trois journalistes qui sont payés, tous les autres vivent du « nom » du journal. Et c’est peut-être la seule raison qui pourrait arracher au modeste chroniqueur que je suis un salut pour mes jeunes confrères qui croient dur comme fer que le meilleur viendra, qu’ils finiront tôt ou tard par prendre le chemin de la réussite.

Mais le chemin de la réussite n’est pas court. Combien sont-ils aujourd’hui de journalistes, dans l’aurore de leur carrière, à se débattre dans la toile d’araignée de l’inquiétude (pour l’avenir) ? Combien sont-ils étranglés dans des tunnels de peur ? Ils sont nombreux et, sans se lasser, continuent de recevoir du directeur de publication des leçons sur les vertus de la patience. Patience ! Patience ! C’est cela qui me prend aussi la tête et c’est pourquoi d’ailleurs je suis entré dans une colère farouche lorsque mon ami, Boubacar Yalkoué, m’a informé qu’il venait de démissionner de son poste de rédacteur en chef à La Nouvelle Patrie et qu’avant de le laisser partir, son directeur lui a dit ceci :

« Tout ce que je te conseille, c’est d’être patient dans la vie ! ».

Oui, c’est vrai que « tout vient à point nommé à qui sait attendre », mais quand on est dépassé dans la patience le mieux est de reculer, cela permettra de mieux sauter. Et c’est ce qu’a fait Boubacar en démissionnant. « Je ne tenais plus, moralement surtout ! », m’a-t-il confié le vendredi dernier. Aucun estomac, disent les Autrichiens, n’est satisfait par de belles paroles. Et la plus grande erreur de nombre de « dirpub » (directeur de publication) est d’exiger en permanence de ces jeunes journalistes qu’ils continuent de fournir encore et encore des papiers sans leur faire en retour un beau geste !

On peut remplir les pages de toutes les gazettes du pays pour exprimer la déception que je partage avec nombre de confrères, jeunes, nantis d’un diplôme supérieur, mais cela ne servirait à rien. Surtout que pour moi, comme pour eux, ce métier est devenu une passion. Et pour finir, j’aimerais citer cette phrase d’un ami, journaliste et essayiste, Akram Belkaïd :

« J’ai choisi de faire le journalisme, c’était cela ou travailler. »

(*) Bonjour, ça va ? Oui, ça va, et toi ? ça va…à la malienne !, Le Reporter du 14 mai

Boubacar Sangaré

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