Les Maliens sont à deux mois d’une élection présidentielle qui doit définitivement sortir leur pays de sa longue crise et rendre irréversible la mise en œuvre de l’accord pour la Paix et la réconciliation.
A Bamako, «l’ Accord d’Alger » est toujours dans les éléments de langage et le séjour des Ifoghas dans la capitale reste une bonne « une » pour la télé nationale. Mais le curseur s’est dangereusement déplacé du Nord vers le Centre du pays. Or le Centre du Mali est tout sauf le centre de nulle part. C’est au contraire, une partie vitale de l’espace national. Il est la porte incontournable sur le Nord. S’il est récessif aujourd’hui, il reste d’un grand potentiel économique et au plan humain et historique, il constitue une saisissante vitrine du pays. Depuis 2014 où Hamadoun Kouffa, fondé de pouvoir d’Iyad Ag Ali, y déclencha un pseudo-jihad qui aura fait à ce jour près de 800 morts. Début 2015, ce cheval de Troie d’Ansardine fait trembler le Centre.
Il règle le compte aux oulémas qui ne veulent pas de son islam, limogent des chefs de village et attaque à plusieurs reprises l’armée à Nampala dans la Région de Ségou puis Tenenkou dans la Région de Mopti.
Kouffa, le nom le plus partagé
Tout lui sourit. Il n’a pas les contreforts imprenables de Tegargar. Mais il a l’hydrographie pour lui. Infréquentable à cause de la crue fluviale pendant cinq bons mois de l’année, le cœur du Macina- est vite sanctuarisé. Au fil des mois et des ans, c’est la série noire : enlèvements d’agents de l’Etat, endoctrinements, recrutements de mujjahidine, jugements par les cours de charia, mines anti personnel, embuscades, clashes avec les forces de défense, voiles et restrictions drastiques des loisirs. Avec la nomination du sécurocrate Soumeylou Boubeye Maiga comme Premier ministre, la mise en place des forces du G5 et l’opérationnalisation du plan de sécurisation du Centre, on s’attend à des résultats rapides. A deux mois de la présidentielle de tous les enjeux, ce n’est pas encore le cas. Les Famas se déploient certes sur le terrain mais il n’est pas évident que le président du parti au pouvoir puisse aller battre campagne chez lui à Diondiori, privé d’école et de radio depuis un an que les hommes de Kouffa y ont pris pied. Dernier baroud : le préfet de Tenenkou, ville-verrou du G5 qui a été enlevé voici un mois, même si le rapt a eu lieu dans la juridiction de Mopti. Ce qui est encore plus parlant ! Le Delta comme on appelle la zone inondée, reste une conquête des jihadistes. Le désarmement des milices ? Annoncé à grand renfort de communiqués, cette mesure est loin d’atteindre la masse critique.
La partie exondée de la Région de Mopti n’est pas épargnée. Les terroirs du Seno Mango et du Gourma sont entrés eux aussi en ébullition surtout à partir de 2016 et l’onde de choc de l’insécurité qu’ils induisent touchent désormais la bande sahélienne du voisin burkinabé.
Koro brûle au propre et au figuré
A l’intérieur du Seno Mango, la palme de l’horreur absolue peut être décernée au Cercle de Koro, niche tranquille où les jihadistes de Dioungani et la milice dogon de Dana Ambassagou ont pignon sur rue. A un jet de pierre des positions d’une armée nationale portée en triomphe par les citoyens, le pouvoir et l’opposition même si elle est prise à partie en privé par ceux qui savent son palmarès ! « Koro est une tragédie dans la tragédie », aime à se lamenter un député de cette zone.
La commune dont il est originaire sert d’abri depuis avril à des agro-pasteurs peuls dont les villages ont été incendiés par la milice de dozos ou chasseurs dogon du nom de Dana Ambassagou en avril et après. Une première vague de déplacés, majoritairement femmes et enfants, était arrivée à Bamako en mai. La deuxième vague qui était annoncée ce jeudi 7 juin a été plutôt dirigée sur Bankass où elle sera prise en charge par l’administration.
La veille, une petite centaine de ces dozos arpentaient le marché de Koprona où enfle la rumeur très insistante qu’ils ont décidé d’ y installer leur « camp », ce qui selon un connaisseur de la zone, leur permettrait de lorgner sur le Cercle de Bankass, et de « poursuivre le travail de nettoyage ethnique ». L’expression est de plus en plus répandue, utilisée abondamment par les Peulh et quelques Dogons. Elle renvoie notamment aux incendies de villages sous les auspices de Dana Ambassagou. Au total, ce sont onze hameaux peulh qui auront été brûlés ces quatre derniers mois. A cela, il faut ajouter les animaux enlevés et les meurtres. « Il est fort possible que le calcul de la milice dogon soit de pousser les Peulh à quitter la zone pour faire main basse sur leurs terres » analyse un chercheur originaire du Centre. Comme quoi, les clashes du jour imputables à des groupuscules peuvent déboucher sur un conflit interethnique bien plus sérieux en ce qu’il remettrait durablement en cause le vivre en commun multiséculaire entre Peulh et Dogon. Et toute la problématique sera bien plus aigüe après la présidentielle que celle-ci puisse se dérouler de manière optimale au Centre ou qu’elle ne puisse y être tenue que de manière restreinte. Une autre affaire. Pour l’instant, les Peulhs jurent qu’ils ne sont pas des étrangers et que les plaines leur appartiennent, les Dogons résidant, assurent-ils, sur le plateau. Vrai ou faux, la zizanie est née entre ces deux communautés, causant l’exil de plusieurs centaines de Peulh au Burkina Faso et depuis peu à Bamako. En tout cas, signale un ressortissant de Koro, il n’y a plus qu’un seul gros hameau peulh dans ce Cercle à être épargné. Jusqu’à quand ? L’occasion est, en tout cas, idéale pour Hamadoun Kouffa. Dans son prêche du 8 avril via Whatshapp, l’insurgé invite tous les Peulh à le rejoindre. Avec l’éloquence qui le caractérise, il argumente :« le combat pour le jihad est devenu secondaire à côté de celui devenu indispensable de se battre pour la survie menacée de l’ethnie peulh ». Et plusieurs « sons » véhiculés par les réseaux sociaux essaient de battre le rappel des troupes peulh. Localement et à l’international. Au Sénégal et en Mauritanie, les poularophones ( ceux qui s’expriment en peul) s’émeuvent régulièrement.
Enfants de chœur pour autant ?
Ce sont des activistes de l’ethnie peulh qui ont commencé les incendies de villages dogons : Saberé, Korogourou, Enémé et d’autres. Le fait n’est pas nié. Et qu’on aime l’entendre ou non, le jihadisme du Centre s’appuie sur les ressorts identitaires peulh, renvoyant à l’époque quelque peu mythifiée de la Dina au début du 19è siècle. Il est aussi un fait que la région a connu un fort afflux de Peulh Tollobe depuis avril dernier. Pour les milieux initiés, ce mouvement s’explique certes par les revers que ces guerriers ont subis vers Menaka mais aussi par une espèce de contrat de solidarité intra-ethnique. « Nous sommes venus défendre les Peulh civils », déclarent-ils sur les réseaux sociaux. Autre fait indéniable, si à l’origine les vagues de jhadistes venues au Centre étaient des étrangers, aujourd’hui, les troupes sont des enfants du terroir, donc neveux, fils et frères d’individus connus, des voisins souvent, des gens qu’on fréquentait sur les marchés, sur les prés et dans les champs. Ce qui ne fait pas de ceux-ci des jihadistes pour autant. Sauf à verser dans le délit de faciès. Du reste, les raisons pour lesquelles les fils, neveux et frères basculent dans la violence et partent du côté des troupes jihadistes sont à étudier et intégrer. En tous les cas, « Peulh n’est pas forcément jihadiste et nous ne pouvons accepter plus longtemps d’être entre le marteau de l’Etat en l’enclume des jihadistes », entend-on souvent au siège de Tabital Pulaaku, l’organisation culturelle peulh basée à Bamako. La colère est vive. Depuis 2015, les « Peulh » sont plus de deux cent à avoir été transférés pour présomption de terrorisme devant le procureur qui les relaxe le plus souvent faute de preuves. Curieuse situation : les Peulh généralement appréhendés accusent les jihadistes, estiment qu’ils souffrent également de l’action de ceux-ci et déclarent que dans leurs rangs les terroristes ne comptent pas que des Peulh. L’identité de certains des kamikazes à Bamako, Ouaga, Bandiagara le prouve. Pourtant, terrorisme au Centre égale Peulh. Rien n’est plus dangereux que ce raccourci qui fait l’affaire de Kouffa. Même les médias les plus professionnels s’y perdent. « Par exemple, quand Ansardine commet un forfait, il n’est pas fait la moindre mention aux Touareg. Quand c’est au Centre, au Burkina ou vers Menaka, c’est annoncé comme une attaque peulh ». L’universitaire burkinabé qui déplore cet amalgame est peulh lui aussi et donc condamné au silence.
Sinon, il passe « pour un communautariste ». Et puis le politiquement correct, les médias se sont passés le mot, c’est toujours d’interviewer un peulh et son contradicteur. « Comme si on ne pouvait pas interviewer Primo Levy sans donner la parole à Hitler », constate un avocat malien. Les dramatiques développements de Koro, Diafarabé, Bulli Keesi et ailleurs font craindre le pire. Veillée d’armes fatale ? Difficile à dire. Le Mali est une très vieille nation dont les composantes aiment vivre en harmonie, se consolent les observateurs. Même quand tout le monde crée sa milice ? Car c’est le cas récent de l’ASS, une milice armée qui se déclare résolument pour la défense des Peulh et qui revendique déjà quelques attaques.
La question la plus immédiate est aujourd’hui est de savoir les localités du Centre où on peut véritablement tenir le scrutin présidentiel, c’est-à-dire une campagne par la présence physique des candidats, des bureaux de votes qui ouvrent et des documents correctement acheminés.
Adam ThiamLes points de vue exprimés dans l’article sont ceux de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement ceux de Sahelien.com.